Par Nicolas Schreck
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La ville de Mulhouse connaît une précoce prise en charge des affaires scolaires, à la suite du constat dressé par le professeur Achille Penot, pour la Société industrielle de Mulhouse, en 1828. Le maire André Koechlin organisa un enseignement primaire municipal, bien avant les réformes de Guizot. La première école communale de Mulhouse ouvre ses portes le 17 octobre 1831.
Comment les politiques municipales ont pu accompagner la croissance démographique d’une ville industrielle en adaptant l’offre à l’essor des effectifs, à desservir l’ensemble des nouveaux quartiers de la ville, enfin à étendre l’éducation, de la maternelle aux écoles primaires supérieures ou encore à généraliser le droit à l’éducation aux filles ?
Le Président, en rappelant au conseil municipal les communications qui lui ont été faites au sujet de la nécessité de pourvoir à l’insuffisance des édifices consacrés à l’instruction primaire, lui expose que la commission de viabilité à laquelle cette importante affaire a été renvoyée, s’est activement occupée de cette affaire, et il donne la parole au rapporteur de cette commission qui s’exprime ainsi :
Messieurs,
Dans votre dernière séance, vous avez reconnu, à la suite du rapport présenté par M. Riss sur l’insuffisance absolue de nos Écoles primaires, l’opportunité d’établir pour la prochaine rentrée des classes du côté du faubourg de Bâle, une des écoles de quartier dont la construction a été prévue dans l’emprunt que la ville a été autorisée à contracter et vous avez chargé votre commission de viabilité de vous faire des propositions à ce sujet.
Le premier point à résoudre est celui de la superficie qu’il convient de prévoir pour cette école ; M. Riss conclut à la nécessité d’y consacrer 50 ares, avis que partagent aussi M. le Maire et votre commission de viabilité.
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Rapport Riss fait au conseil municipal. Procès-verbaux du conseil municipal de Mulhouse, 31 janvier 1870.
Le texte est conservé aux Archives municipales de Mulhouse
(DIa1, tome du 3/07/1869 au 20/09/1872, p. 73-76).
La décision précédente prévoyait le don d’un terrain par l’industriel Jean Dollfus, de 2500 m2, visant à permettre la construction d’une troisième église catholique au quartier de la Chaussée de Dornach.
Ce document est d'importance car il témoigne :
Adopté, le projet est financé, pour le terrain et la construction, sur l’emprunt de 1 200 000 francs que la ville a contracté.
Chronologie des principales constructions scolaires à Mulhouse entre 1829 et 1922. Les établissements d'enseignements maternelle, primaire, supérieur, technique et professionnel sont organisés selon un code de couleurs spécifique.
Années | Nombre d'écoles | Nombre de classes | Effectifs des élèves | Population de Mulhouse |
---|---|---|---|---|
1831 | 1 | Garçons : 4 - Filles : 4 | 340 | 13 300 |
1842 | 1 | Garçons : 7 - Filles : 8 | 1 400 | 29 000 (stat. de 1841) |
1867 | 4 | 56 | 3 215 | 58 873 (stat. de 1866) |
1872 | 5 | 85 | 4 011 | 52 892 (stat. de 1871) |
1875 | 6 | 107 | 5 757 | 58 892 |
1880 | 7 | 126 | 6 048 | --- |
1885 | 7 | 147 | 7 565 | 69 759 |
1890 | 7 | 157 | 8 208 | --- |
1896 | 8 | 182 | 8 919 | 82 986 (stat. de 1895) |
1900 | 9 | 199 | 9 500 | --- |
1902 | 11 | 204 | 9 751 | 94 498 (stat. de 1905) |
OBERLE Raymond. Le patrimoine scolaire de Mulhouse. Andolsheim : L'Ill graphique, 2002 (Collections Mulhousiennes).
Années | Nombre de classes | Effectifs des élèves |
---|---|---|
1834 | 4 | --- |
1846 | 5 | 620 |
1861 | 12 | 1 820 |
1888-1889 | 19 | 3 233 |
1899-1900 | 21 | 3 822 |
1905 | 24 | 4 030 |
1914 | --- | 4130 |
OBERLE Raymond. Le patrimoine scolaire de Mulhouse. Andolsheim : L'Ill graphique, 2002 (Collections Mulhousiennes).
Ces chiffres ne tiennent compte que des salles d’asiles privées, issues de l’action de Dames patronnesses et secondées par la ville. D’autres écoles sont ouvertes, en particulier par les sœurs de Ribeauvillé (2 écoles), par des particuliers (la salle d’asile d’Henriette Weill), par des entrepreneurs au sein des usines…
Effectifs des élèves | |
---|---|
Écoles primaires (y compris Dornach) | 10 905 |
Écoles maternelles | 3 340 |
École moyenne de garçons | 870 |
École moyenne de filles | 600 |
OBERLE Raymond. Le patrimoine scolaire de Mulhouse. Andolsheim : L'Ill graphique, 2002 (Collections Mulhousiennes), p. 14.
Malgré cette politique de constructions, les écoles de Mulhouse continuent de souffrir d’une surpopulation scolaire, avec près de 50 élèves par classe, imposant d’avoir recours à des édifices privés, rue Thénard et rue du Bourg, d’organiser l’accueil des élèves d’une manière alternée…
Les filles ont conquis très précocement le droit à l’éducation dans la Cité du Bollwerk. Une école primaire leur est réservée, dès 1831. L’égalité est inscrite dans la loi, en 1867 (Victor Duruy). 1 413 filles vont à l’école en 1867 et une École spéciale leur est destinée, permettant aux filles de prolonger leur scolarité après la limite légale des 13 ans. L’École spéciale devient la Höhere Töchterschule, avec un cursus scolaire long de sept années, une sorte d’École normale.
Des nouvelles considérations plaident pour de nouvelles écoles, menées après 1867 par le Comité d’utilité publique de la Société industrielle de Mulhouse :
De 1870 à 1918, l’enseignement secondaire est resté limité à Mulhouse (document 6).
Les familles industrielles sont réticentes à un enseignement secondaire, préférant placer leur enfant en particulier en Suisse, le destiner à des filières plus industrielles ou encore pour les familles catholiques, confier leur enfant au collège de Zillisheim. Pourtant, un nouvel édifice est construit, servant d’école intermédiaire, de 1879 à 1882 (rue Jacques Preiss). En 1896, le Gymnase ne compte que 254 élèves, les classes préparatoires qui y mènent seulement 104. On atteindra à peine les 500 élèves à la veille de la première guerre mondiale.
Doc. 5. L'école du soir
J. Mieg-Koechlin le maire, 22 novembre 1875
Coll. Archives de Mulhouse (RI Ca 10)
Pendant cette période, diverses entreprises financent et organisent un enseignement au sein des usines (document 5).
Écoles de la seconde chance, ces écoles du soir proposent un enseignement complet, classique, non professionnel. Il est implanté dans un certain nombre d’écoles de la ville.
Il n’y aura jamais de culture intellectuelle et jamais il ne se souciera d’en avoir, il sera instruit, remarquablement informé, aura tout ce dont il aura besoin pour son action du moment, mais le goût désintéressé des choses de l’esprit lui restera étranger… Il n’aura reçu d’autre instruction que celle de l’école primaire. L’expérience de la vie, les voyages lui vaudront des connaissances infiniment plus précieuses. Son bagage de culture livresque… demeurera simple : les quatre règles, le calcul de l’intérêt, la comptabilité, quelques solides notions de géographie.
SIEGFRIED André. Mes souvenirs de la IIIe République, mon père et son temps, Jules Siegfried (1836-1922). Paris : Éd. du Grand Siècle, 1946, p. 6-7.
(Droits réservés).
L’enseignement primaire municipal était réalisé principalement à Mulhouse au sein de l’École centrale, une vaste construction édifiée avant les lois Guizot.
L’architecture choisie alors en 1837 pour l’École centrale manifeste le souci des autorités de Mulhouse, en particulier du maire André Koechlin, de revendiquer un modèle mulhousien : utilisation d’une vaste parcelle, plans confiés à l’architecte Sauvestre, édifice en forme de U, gigantisme de l’édifice, de vastes salles de classes, avec des hauts plafonds à 3,2 m. Le bâtiment est agrandi en 1857 (surélévation), sans arriver à réduire les fortes densités scolaires. L’école compte, vers 1887, près de 60 classes.
À partir de 1866, avec l’ouverture de la première école de quartier, l’école Oberkampf, seuls les élèves des classes supérieures continuent à fréquenter l’École centrale, véritable vitrine scolaire de Mulhouse. Cette suprématie de l’école est abandonnée en 1905, toutes les écoles de quartier recevant dès lors les élèves de toutes les classes.
L’École centrale continua à bénéficier d’aménagements durant le Reichsland : ouverture de salles spécialisées (gymnastique, 1891), équipement de douches (1906) et de WC à chaque étape (1912).
Un album réunissant des documents historiques sur les trois écoles de Mulhouse au temps de la vague des constructions scolaires (années 1860 et 1870) présentées ici : l'école Koechlin, la salle d'asile de la rue Saint Michel et la Mittelschule. Ces dessins et plans sont extraits du fonds des Archives de la ville de Mulhouse.
Vue générale de l'école de quartier
Dessin J.-B. Schacre, 1874
Coll. Archives de Mulhouse (MIV Ba 8)
L’école Koechlin est l’une des trois écoles de quartiers construites au cours des années 1860 (avec Oberkampf et l’école de la rue Saint Michel). Le plan permet de saisir l’implantation de l’école, au sein du quartier de la cité ouvrière, à la lisière de l’extension urbaine de la banlieue.
L’école occupe une parcelle limitée (39,25 x 65,6 m), avec deux bâtiments (une école des garçons et une école des filles). Une vaste cour, avec clôture, sépare les garçons des filles.
Les bâtiments, semblables, offrent deux classes par niveau. Un bâtiment spécifique, pour le concierge, est édifié au sein de la cour et les WC sont implantés au fond de la cour.
L’école Koechlin subit l’augmentation de la population du quartier, passant de douze à dix-huit classes (en 1880), puis vingt-trois (1894) et vingt-quatre (1908)… De nombreux équipements rencontrés ailleurs y font défaut : absence de classe spécialisée, de douches, de salle de gymnastique… Dès 1890, les classes sont mixtes. L’école reçoit l’ensemble des niveaux des classes primaires dès 1904.
Façade principale de la salle d'asile
Anonyme, s.d.
Coll. Archives de Mulhouse (64 TT 597 a2)
Le quartier de la Fonderie reçoit, à la fin des années 1850, deux écoles, une salle d’asile et une école primaire, sur un même site. Le projet est en grande partie financé par l’évergétisme industriel, via une souscription privée.
La salle d’asile est sur deux niveaux. Elle possède de vastes salles (14 m x 7,5).
Agrandi en 1875, l’établissement scolarise en 1896-1897 plus de 400 élèves.
Façade de la Mittelschule
Dessin J.-B. Schacre, 1874
Coll. Archives de Mulhouse (MIV Ba 10)
La Mittelschule est improprement appelée école moyenne. Elle est en fait un établissement d’enseignement professionnel, des métiers du commerce, qui s’inscrivait entre les classes de l’école primaire et l’enseignement secondaire.
La construction qui y est réalisée est la première manifestation architecturale du changement politique. Le bâtiment est vaste, avec plus de 50 mètres de façade ou de côté, à la jonction de nouveaux choix, tout en recherchant à adapter au mieux l’édifice aux besoins mais aussi aux héritages. L’architecte J.-B. Schacre respecte le plan en U (comme l’École centrale), propose de vastes salles prévues pour accueillir près de 50 élèves. Des salles spécialisées ont fait leur apparition : salles de physique et de chimie, salle de conférence, bibliothèque, salle de chant, salle de dessin, quatorze salles de classe, un logement pour le directeur. En 1878 est ajoutée une salle de gymnastique.
Cette école disparaîtra de l’architecture scolaire lors du retour à la France.
Un grand nombre d’écoles a été réalisé par l’architecte Jean-Baptiste Schacre (1808-1876). Ce dessinateur des Ponts et Chaussées est recruté par Nicolas Koechlin comme architecte, en charge de la réalisation des gares de la ligne de chemins de fer de Strasbourg à Bâle (1838). Il s’installa comme architecte à Mulhouse en 1841, avant d’obtenir par concours le titre d’architecte-voyer de la ville de Mulhouse (1843). Le projet qui le fit remarquer proposait d’édifier une salle d’asile (novembre 1843).
Comme fonctionnaire municipal, il était en charge des travaux de constructions et de réfections de la ville, mais également de la voirie (pavage, curage des canaux ou encore couverture de la rue de la Sinne (1856-1866)).
Outre les multiples édifices religieux mulhousiens (synagogue, Saint-Étienne catholique, Saint-Étienne protestante) et divers bâtiments de service (bains et lavoirs publics), de diverses banques (Caisse d’épargne de la rue Sainte-Claire), ou encore le cimetière, la ville lui confia la réalisation de toutes les salles d’asile (rue Franklin, rue du faubourg de Bâle, rue Saint Michel), des diverses écoles primaires des quartiers (Oberkampf, Saint Michel, Kœchlin), de divers agrandissements d’écoles, de l’école professionnelle… Il mit en œuvre divers styles, du néoclassicisme au néo-gothique. Il devint membre tardivement de la Société industrielle, en 1863.
Comme membre du Conseil départemental des bâtiments civils, il connut une carrière départementale, réalisant en particulier des églises, des mairies, mais aussi les écoles des communes de Flachslanden, Frœningue, Luemschwiller, Riedisheim, Rixheim.