Publié le 1er octobre 2010
O. Kammerer - Atlas historique d'Alsace - UHA - Société Savante d'Alsace - CRESAT, 2009
La notion de frontière au Moyen Âge relève du champ symbolique (on jette par exemple un rameau dans la rivière pour manifester son appartenance politique) ou des dispositions naturelles du paysage (un rocher, un pommier, une rivière, une construction). La frontière ne constitue pas une limite mais une zone floue, non habitée, de forêts ou marécages. Les termes qui la désignent varient : marca, limes, terminus, fines, distinctio etc. Le souci de borner et de cartographier se manifeste parallèlement à la construction du pouvoir politique, à toutes les échelles géographiques. Un territoire tenu par une autorité qui peut être un seigneur laïque ou ecclésiastique, une ville, un souverain, rassemble des hommes qui relèvent d’une même justice, doivent la même aide militaire et s’acquittent des mêmes redevances. Quand se mettent en place les États à partir du XIVe siècle, l’habitude immémoriale d’obéir au même prince autorise le marquage matériel de frontières.
C. Wilsdorf - Atlas historique d'Alsace - UHA - Société Savante d'Alsace - CRESAT, 2006
La germanisation du pays est à placer essentiellement au Ve siècle mais elle ne s’achèvera que plus tard, vers les IXe et Xe siècles semble-t-il. Peu nombreux sont les noms de lieux habités qui lui survécurent. De ceux-ci Kembs est encore celtique tandis que les autres sont généralement romains. Ainsi Colmar vient de columbarium (le colombier), Metzeral de maceriolae (les petits murs de pierres sèches), Rouffach de Rubiacum formé sur rubeus (rouge), Seppois de sapetum (la forêt de sapins), Durmenach de terminacum formé sur terminus (la limite, la frontière), Ferrette de piretum (la plantation de poiriers) en passant par la forme allemande Pfirt. La très grande majorité des noms actuels de villages évoquent les Germains qui s’installèrent ici après les Grandes Invasions et sous la domination franque. Un nombre peu élevé de localités mis à part, ils sont formés de deux éléments. Le premier est soit le nom d’une personne ou d’un peuple ou de la fonction revêtue par un individu, soit une particularité géographique. Le second élément est la désinence qui est soit ingen francisé généralement en ingue, soit heim, soit wihr et willer remontant au même mot villare ou vilare qui appartient au latin mérovingien.
Nous ne retiendrons pas ici une quatrième désinence qui est dorf (village) rendu fréquemment par court (en ancien français) ; elle ne se trouve qu’au sud du Haut-Rhin dans une zone de contact avec le parler roman. Ingen signifie en ancien allemand gens, heim signifiait – et signifie toujours – maison, habitat. Villare, qui est formé à partir du mot villa appartenant au latin classique, signifiait domaine rural. Voici quelques exemples : Crispingen (village disparu près de Wahlheim) signifie les gens de Crispus, Hésingue les gens de Hasso, Beblenheim la maison de Babilo, Turckeim la maison des Thuringiens, Ostheim la maison située à l’est, Ammerschwihr le domaine rural d’Amalric, Bischwir le domaine rural de l’évêque. Sauf Crispus qui est encore un nom de personne romain, Hasso, Babilo et Amalric sont des noms germaniques. De ces types de toponymes ceux avec les désinence ingen et heim sont les plus anciens ; ils ont été créés par la population indigène qui parlait le dialecte alémanique. Le type avec désinence villare est un peu postérieur – il est attesté depuis le VIIe siècle - et évoque la culture hybride, mi-germanique mi-romane des conquérants francs qui s’installèrent ici et donnèrent leurs noms à leurs domaines.