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La difficile reconnaissance
du statut d’incorporée de force pour les femmes

Par Laure Balzano

Publié le 1er octobre 2010

Le combat pour la reconnaissance du statut d’incorporée de forceRevenir au début du texte

La reconnaissance des femmes ayant été incorporées dans le R.A.D et le K.H.D. a été longue et difficile après-guerre.

Résidence surveillée

Nous avons été bien accueillies en arrivant au centre de rapatriement de Hayange en Moselle. Après un bon repas, j’ai été examinée par un médecin pour une visite médicale d’usage. Puis ce fut le tour des interrogatoires par des officiers français. Après leur avoir expliqué : je viens de Tchécoslovaquie, j’étais militaire et incorporée de force dans l’armée allemande, l’officier français qui ne comprenait rien à mon incorporation de force tapa avec son poing sur son bureau et me traita de nazie, alors que j’étais une victime de la barbarie nazie. Je n’ai jamais été traitée de cette manière. Jamais je n’oublierais. Je l’ai gros sur le cœur. Après tant de souffrances, je reçois ma carte de rapatriée. Je constate que je suis condamnée à résidence surveillée. C’est un Français qui osa me traiter de cette manière. Le 25 mai 1945 je rentre à Reiningue dans ma famille et fais la déclaration d’arrivée à la mairie. Monsieur le Maire était présent et est devenu furieux quand il a vu que ma carte comportait la mention résidence surveillée. Il m’a dit de lui donner ma carte et qu’il allait s’en occuper. Je n’ai jamais été inquiétée après ses démarches. Heureusement que j’étais bien connue dans mon village comme n’ayant jamais appartenue à aucune formation politique

Témoignage écrit de Mme Barrièras Anne-Charlotte, 2002

Une véritable bataille

J’ai un certificat de la mairie nécessaire pour obtenir le certificat d’incorporée de force. La mairie de Jebsheim a été détruite en 1945 et avec elle les Archives mais j’ai reçu un certificat de la mairie attestant qu’il était de notoriété publique que j’avais été incorporée de force dans les formations militaires le 9 novembre 1944. On nous a attribué le titre de personnes contraintes au travail, ce que nous n’étions pas. Depuis 1950, j’étais dans l’association de l’ADEIF [Association des Évadés et Incorporés de Force]. J’étais à chaque réunion, mais jamais jamais il n’était question des femmes. Il m’est arrivé de lever le doigt plusieurs fois sans qu’on me donne la parole. La moitié de la salle était presque déjà sortie lorsque enfin je pouvais parler. J’ai demandé pourquoi est-ce que nous ne parlions pas des jeunes filles incorporées de force. On m’a répondu que ces jeunes filles s’étaient mariées et que leurs maris ne désiraient pas qu’elles en parlent. Les hommes disent que nous n’étions pas des militaires alors comment se fait-il que nous soyons inscrites dans les archives Wast [Service des archives de l'armée allemande]. (...) Il fallait batailler.

Témoignage oral retranscrit de Mme Clausen Marguerite, datant du 8 novembre 2002 (Mme Clausen est présidente de l’association des incorporées de forces féminine du Haut-Rhin)

Une longue attente pour la reconnaissance

1962 : attestation provisoire pour qualité de personnes contraintes au travail en territoire ennemi.
1986 : démarches pour l’obtention de la reconnaissance d’incorporées de force.
8 février 1991 : certificat portant reconnaissance de la qualité d’incorporée de force dans l’armée allemande.
20 novembre 1991 : carte de Combattant et retraite de combattant.

Témoignage écrit de Sœur Madeleine Richert (Sœur de Ribeauvillé) datant du 25 février 2003

Une reconnaissance tardiveRevenir au début du texte

Ce n’est qu’en 2008, plus de soixante ans après les événements, qu’une convention a été signée à Strasbourg entre le secrétaire d'État à la Défense et aux Anciens Combattants Jean-Marie Bockel et la Fondation Entente Franco-Allemande (FEFA) chargée de répartir les 250 millions de marks (128 millions d'euros) entre les différentes victimes de l’incorporation de force notamment.

Cette convention prévoyait l’indemnisation à hauteur de 800 euros des 5 800 Alsaciens et Mosellans, surtout des femmes, encore vivants qui avaient été enrôlés de force dans le Reichsarbeitsdienst et le Kriegshilfsdienst.

Pour information, le 28 juin 1984, le comité directeur de la FEFA s'est réuni et a fixé le montant de l’indemnisation forfaitaire par incorporé de force ayant été affecté dans une unité combattante (homme ou femme) à 7 500 francs (soit environ 1 140 euros). Les versements ont été effectués entre 1984 et 1987. C’est au cours de l’été 1987, après encaissement des trois tranches de l’indemnisation, que l’idée d’un versement complémentaire prend forme. Les incorporés dans le RAD-KHD, hommes et femmes, ne sont toujours pas indemnisés mais le comité directeur de la FEFA décide le 1er février 1988 de verser une somme complémentaire aux incorporés dans l’armée allemande qui est fixée le 31 mai 1989 à 1 600 francs (soit 240 euros environ).

Incorporées de force par le IIIe Reich, les Malgré-elles enfin indemnisées

Plus de soixante ans après, nos souffrances sont enfin reconnues, a confié Germaine Rohrbach, présidente de l'Association des anciens incorporés de force [du Bas-Rhin], âgée de 82 ans, qui regrette malgré tout la modicité de la somme, jugeant que 1.000 euros auraient été un minimum. Il est injuste que les femmes n'aient pas été indemnisées avant, a regretté Ady Rivet, présidente des Incorporées de force de la Moselle. Si l'attention a d'abord été focalisée sur les soldats Malgré-nous, ces femmes ont su faire entendre leur voix, a estimé Bockel, même si des désaccords, des tensions de même que la question du devenir de la FEFA ont pu parasiter le dossier ces dernières années. Créée en 1981 et présidée depuis 2002 par l'ancien ministre André Bord, la Fondation entente franco-allemande était notamment chargée d'indemniser les Malgré-Nous via le versement par l'Allemagne de 250 millions de marks (128 millions d'euros). Critiquée par les associations d'incorporés RAD-KHD qui l'accusaient de freiner leur indemnisation, la FEFA devrait désormais se tourner vers des projets favorisant l'entente franco-allemande.

(Voir l'article complet sur les les Malgré-elles enfin indemnisées).

Extrait du journal Le Point, 17 juillet 2008 (AFP)

En complément, se reporter aux articles de journaux mentionnés dans le dossier sur la seconde guerre mondiale et traitant de la tardive reconnaissance des femmes incorporées de force par les hommes politiques et l'opinion publique (remises de médailles, indemnisation...).