Par Damaris Muhlbach
Publié le 8 juin 2012
Dès la fin du XVe siècle, Wimpheling avait conseillé au Magistrat de Strasbourg de suivre l’exemple d’autres villes et de prendre en mains la direction de l’instruction publique. Son disciple Jean Sturm s’intéresse à l’idée de son maître, qu’il va mettre en pratique à l’aide de Jacques Sturm.
Parallèlement, pour Martin Bucer et de nombreux théologiens – dont Luther qui avait rédigé un texte à ce sujet -, l’instruction est fondamentale, aussi pour le développement de la vie religieuse. C’est pourquoi, dès 1524, les prédicateurs demandent au Magistrat d’établir des écoles élémentaires. En 1526, une commission municipale composée de trois scolarques aidés de visiteurs contrôle les établissements scolaires.
Et surtout, en 1537, Jean Sturm, répondant à l’appel de Jacques Sturm, se joint à eux. Son objectif est de permettre l’essor de la piété, l’éloquence et la connaissance. Afin de mener à bien ce projet, l’idée est de réunir les écoles latines de la ville en une Haute École. Celle-ci est créée en 1538 et installée dans son établissement définitif le jour de Pâques 1539.
Il est préférable de réunir les écoles latines en une seule au lieu de les voir dispersées en différents établissements. En effet, de même qu’il serait déraisonnable d’attribuer à dix brebis un berger et un pâturage à chacune, si un seul lieu, un seul pâturage était suffisant, de même il ne serait pas raisonnable de répartir et de confier à plusieurs ce qui peut être fait par un seul ou par un petit nombre en un même lieu…
Texte original en latin cité dans FOURNIER Marcel. Les statuts et privilèges des universités françaises depuis leur fondation jusqu'en 1879. Tome IV : L'université de Strasbourg et les académies protestantes françaises. Paris : L. Larose, 1894. Cité dans CRDP d’Alsace. L’Alsace du passé au présent : le XVIe siècle. Textes et témoignages. Strasbourg : CRDP de Strasbourg, 1964, p. 36.
C’est pourquoi, à moins que le nombre des élèves soit tel qu’un seul établissement soit insuffisant, il est préférable que les écoles soient réunies au lieu d’être dispersées. À Liège, Deventer, Zwolle et Wesel il y a des écoles littéraires groupées en un seul lieu et réparties en classes. (…)
L’ensemble des élèves (du Gymnase des Hieronymites de Liège) était réparti en huit classes :
1) La première classe était composée d’élèves qui apprenaient à lire, à écrire, à décliner et à conjuguer. Elle était appelée là-bas, la huitième.
2) La septième comprenait ceux qui étaient formés à la syntaxe et auxquels était imposée une technique plus poussée à l’intonation. On leur proposait quelques textes faciles à comprendre tirés des poètes et des orateurs dont les sentences étaient développées et l’importance de chaque passage était expliquée clairement et parfaitement. Ces textes étaient à nouveau repris à propos d’autres sentences pour que, en quelque sorte, une voie soit frayée en vue de la composition.
3) En sixième, une heure précise était réservée aux règles de grammaire. De nouvelles règles n’étaient pas annoncées, mais celles qui avaient été apprises étaient rappelées. On ajoutait toutefois certaines qu’il était nécessaire d’apprendre mais qui auraient été inopportunes en septième. Une explication de textes plus attentive était entreprise ici. Les élèves s’exerçaient à écrire sur des thèmes communs et en prose. Ils récitaient même des vers sur des rythmes précis et imposés. Ils commençaient à apprendre leurs règles.
4) En cinquième, les règles de grammaire qu’ils avaient apprises étaient reprises. En tenant compte des auteurs qu’ils avaient étudiés, ils en ajoutaient de nouveaux. Les historiens leurs étaient expliqués. Un style plus raffiné leur était enseigné et une plus grande pratique dans la composition des poèmes. Certaines règles de grammaire grecque étaient exposées.
5) En quatrième, la grammaire grecque était enseignée avec plus d’empressement. Les règles de dialectique et de rhétorique, indiquées seulement en cinquième, étaient enseignées. Les élèves ne faisaient pas simplement des exercices de style, mais après méditation et explication, ils récitaient ce qui tenait lieu de déclamation. Mais il faut que l’on prescrive ailleurs quelle doit être la règle de ce genre.
6) En troisième, les règles de dialectique et de rhétorique étaient révisées. Ensuite les auteurs grecs et les orateurs grecs étaient expliqués. On ne s’exerçait pas seulement sur des textes latins, mais également sur des textes grecs avec une application plus soutenue et une imitation plus scrupuleuse. Là encore, il faut indiquer les règles à suivre dans l’imitation et prescrire un usage précis de la langue.
7) En seconde, L’organon d’Aristote était expliqué. Les règles de rhétorique étaient parfaites. On lisait Platon, Euclide, les textes de droit. On faisait des exercices de déclamation.
8) En première l’étude de la théologie était poussée. Après proposition des questions, les disputes étaient organisées. Étaient réunis à ceux de la première, ceux qui étaient en seconde. (…)
Une telle organisation me paraît facile à établir dans cette ville. Car une fois les locaux bâtis et attribués, je ne vois pas d’autres frais à engager. (…)
Une telle création serait utile aux bourgeois, agréable aux villes et régions voisines, nécessaires aux générations futures. En effet tout l’espoir d’un État repose sur l’éducation de la jeunesse. Je ne vois pas comment le faible niveau des études répandu à travers la Germanie, pourrait être évité et écarté autrement que par une telle éducation de la jeunesse.
CRDP d’Alsace. L’Alsace du passé au présent : le XVIe siècle. Textes et témoignages.
Strasbourg : CRDP de Strasbourg, 1964, p. 36-37. Traduction de M. Kintz. Texte original en latin cité dans FOURNIER M. Les statuts et privilèges des Universités françaises depuis leur fondation jusqu'en 1879. Tome IV, n° 1977. Université de Strasbourg.
Partitionum dialecticarum
Jean Sturm, Strassburg : 1624
Coll. Médiathèque protestante - Fondation Saint-Guillaume (AS.1.37)
Pour celui qui est désormais à la tête de la Haute École, l’enseignement de la dialectique et de la rhétorique sont fondamentaux, tout comme le théâtre, qui doit permettre d’exercer la mémoire, ainsi que la diction des élèves.
Dans la seconde moitié du XVIe siècle, les représentations théâtrales de la Haute École gagnent petit à petit en renommée. Leur but est à la fois l’édification du public et la formation des élèves (mémoire, diction, élocution).
Dans son Partitionum dialecticarum, Jean Sturm exprime plus largement les principes qu'il juge importants et nécessaires en matière d'enseignement, de la huitième à la première.
Ainsi, l'école accueille de nombreux d’élèves (600 en 1545), originaires non seulement de Strasbourg, mais aussi de toute l’Europe. Et grâce à la direction de Jean Sturm, elle résiste aux difficultés du temps, comme par exemple aux conséquences du conflit entre l’empereur et les protestants.
Pierre Dasypodius, professeur et vice-recteur, fait une description de l’enseignement à la Haute École en 1556 :
[...] [Il] y a deux sortes d’élèves, ceux qui suivent les cours publics et ceux qui fréquentent les classes latines. Les premiers entendent les leçons des professeurs de théologie, de physique, de droit civil, d’art oratoire, de mathématiques et des trois langues hébraïque grecque et latine ; les seconds forment neuf classes et sont répartis dans des salles séparées, de manière à ne pas se gêner les uns les autres. (…)
Le but de ceux qui, sur l’ordre du sénat et des scolarques, ont organisé l’école a été d’établir le programme des études de telle sorte que les enfants acquièrent le plus tôt possible la connaissance des arts qui développent la faculté oratoire et sont, pour ce motif appelés logiques : la grammaire, la dialectique et la rhétorique […]
En neuvième donc, la classe inférieure, les enfants ignorent encore les lettres. Comme dans une ville d’une si grande étendue ces enfants sont fort nombreux, deux maîtres sont employés dans cette classe : l’un commence par les éléments et mène ses élèves jusqu’à la lecture courante, l’autre leur enseigne à tracer des lettres et les exerce à décliner et à conjuguer des paradigmes ; il ne laisse passer dans la classe qui est au-dessus de la sienne que ceux qui possèdent ces connaissances. C’est là un travail pénible sans doute, mais d’une incontestable utilité…Mais pendant que ces exercices se poursuivent, on ne néglige pas de faire apprendre aux élèves des vocables et leur signification, je veux dire leur équivalent en allemand. (…)
En sixième, un plus grand effort est demandé au maître et aux élèves. En effet, après la répétition de la partie étymologique, on passe au régime des verbes, c’est-à-dire à la syntaxe élémentaire…De plus, les éléments de la langue grecque sont enseignés dans cette classe… Une heure par jour est consacrée à cette étude. Les élèves apprennent à lire, à décliner, et à conjuguer ; mais il n’est pas possible d’aller plus loin [...]
Le maître de la seconde classe enseigne la dialectique…(…) En première, enfin, on achève l’étude de la dialectique.
Les examens
Un enfant, même doué médiocrement, peut s’en rendre maître (de la dialectique), ainsi que des deux langues, en peu d’années, car il n’y a que les élèves bornés et absolument incapables qui restent dans une classe au-delà d’un an ; ils passent, pour le moins chaque année d’une classe dans une autre , jusqu’à ce qu’ils soient admis aux cours publics , et ceux qui sont doués d’une intelligence dépassant la moyenne sont promus parfois au bout de six mois.
Je ne veux pas oublier de mentionner ici que deux fois par an dans les sept classes inférieures et une fois au printemps dans toutes les classes , les élèves sont soumis à un examen. Des inspecteurs constatent les progrès des élèves dans les différentes classes et accordent avec plus ou moins d’éloges la promotion à ceux qui paraissent avoir atteint le degré de connaissances approprié à leur âge.
L'enseignement de la religion
Il est incontestable que l’école ne consacre pas moins d’attention à la religion qu’aux autres disciplines, j’entends à la religion pure, primitive et apostolique : les élèves les plus jeunes apprennent à la connaître, les jours fériés, par leur catéchisme, les plus âgés et les plus avancés, par la lecture des Evangiles et des Epîtres des apôtres. En effet, ceux qui ont établi cette école avec beaucoup de peine et à grand frais veulent une jeunesse non seulement lettrée, mais aussi pieuse.
CRDP d’Alsace. L’Alsace du passé au présent : le XVIe siècle. Textes et témoignages.
Strasbourg : CRDP de Strasbourg, 1964, p. 44-46. Extrait de ENGEL Charles. L'école latine et l'ancienne académie de Strasbourg. Strasbourg - Paris, 1900, p. 74-84.
Les cours sont particulièrement développés dans trois domaines, à savoir le droit, la médecine et la théologie. D'autres disciplines, cependant, sont aussi mises à l'honneur, comme les mathématiques par exemple.
Responsio, de missa, matrimonio et iure Magistratus in Religionem
Vuolfgango Capitone, Strassburg : 1537
Coll. Médiathèque protestante - Fondation Saint-Guillaume (P-16.45b)
La Réforme est fille de l’imprimerie (M. Lienhard).
Tous les imprimeurs strasbourgeois, à une exception près, se rallient à la Réforme, publiant surtout des ouvrages d’humanistes et des classiques grecs et latins, ainsi que dans une très large mesure des oeuvres protestantes. À cela il faut ajouter des manuels scolaires, livres d’histoire, biographies, ouvrages scientifiques et livres catholiques.
Les auteurs de premier plan sont Bucer, Capiton, Brunfels, Jean Sturm (156 écrits), des chroniqueurs, un historien : Sleidan ou encore l’écrivain Fischart.