Par Damaris Muhlbach
Publié le 8 juin 2012
La Réforme protestante trouve, en Alsace, une terre propice à son épanouissement : drainée par les influences de l'humanisme rhénan et l'imprimerie naissante, elle voit émerger des prédicateurs qui reprennent, en y apportant des nuances, le message de Luther.
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Portrait de Luther par Hans Baldung
Portrait Hans Baldung, XXVII Predig neulich Usgangen, Strasbourg, Schott 1923. Extr. de LIENHARD Marc. « La Réforme à Strasbourg ». In LIVET Georges et RAPP Francis (dir.). L’histoire de Strasbourg des origines à nos jours. Tome II : Strasbourg des grandes invasions au XVIe siècle. Strasbourg : DNA, 1981, p. 364
Coll. Dernières Nouvelles d'Alsace
C’est dans un espace nourri, drainé par l’humanisme rhénan, que se développe la Réforme protestante.
En effet, Jean Rott estime que c’est un truisme de dire que la Réforme n’est pas un phénomène de génération spontanée ; au contraire, le terrain dans lequel elle s’est développée était préparé depuis de longues années, et d’abord du point de vue religieux.
Dans une période où le clergé est critiqué par les laïcs (concubinage des prêtres, chasse aux prébendes, cumul), la vie religieuse est cependant intense. Jean Geiler de Kaysersberg (1445-1510), prédicateur à la cathédrale, fustige lui-même les abus, tout en cherchant dans un même temps à propager une piété simplifiée, soutenu dans cette démarche par son ami, l’humaniste Jacques Wimpheling. En effet, cette vie religieuse intense s’inscrit dans une période de développement de l’humanisme chrétien, inspiré d’Erasme qui est fondé sur le retour aux sources (ad fontes) et met aussi en éveil l’esprit critique. D’ailleurs, pour répondre à l’attente des milieux éclairés, de nombreuses traductions de la Bible en allemand sont alors réalisées, la première à Strasbourg datant de 1466.
Ces éléments là seuls ne suffisent cependant pas à expliquer l’établissement de la Réforme protestante à Strasbourg. Il faut aussi porter les regards l’impact des 95 thèses sur la population, puisque dès 1518, des réactions sporadiques contre les indulgences sont attestées dans la ville, puis sur la manière dont seront reçues les idées réformatrices dans cette cité.
Pour Francis Rapp, [au] total, l’humanisme posa plus de questions qu’il ne proposa de solutions. À l’inquiétude qu’il avait semée, ce fut dans une Europe en crise, la théologie qui fournit des réponses.
La percée du mouvement évangélique se fait d’abord grâce à l’imprimerie : dès 1519 des écrits de Luther sont imprimés et diffusés dans la ville de Strasbourg ainsi que des ouvrages interprétant sa pensée : De la liberté chrétienne connaît ainsi trois éditions entre 1520 et 1524, quant aux Loci communes de Mélanchthon, première dogmatique protestante, ils sont imprimés plusieurs fois entre 1523 et 1525, et ceci malgré l’édit de Worms du 26 mai 1521 interdisant l’impression et la diffusion des écrits luthériens. En 1523 et 1524, 600 impressions sortent des presses strasbourgeoises de Schurer, Schott et Knobloch, ce qui permet aux thèses protestantes d’être propagées par des prédicateurs de renom.
Mathieu Zell
Ill. Théodore de Bry, 1650
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 619944)
Justification par la foi, sacerdoce des croyants et autorité de l’Écriture seule, ces thèmes du message de Luther sont repris, avec des nuances, par différents prédicateurs :
Mathieu Zell (1477-1548)
Curé à la cathédrale, Mathieu Zell est le premier porte-parole du mouvement évangélique à Strasbourg.
Dès 1521, il prêche selon les idées de Luther - critiquant en particulier la tyrannie de l’Église -, ce que lui reproche rapidement sa hiérarchie.
En 1522, accusé de donner l’absolution trop facilement, de négliger certaines tâches liturgiques, de remettre en cause la distinction prêtre - laïc et de s’en prendre au culte de la vierge, il doit comparaître devant le vicaire épiscopal. Sa réponse, il la donne alors dans une apologie, la Christliche Veranwortung, parue en 1523. D’ailleurs, comme il n’avait plus accès à la chaire de la cathédrale, les menuisiers de Strasbourg lui en avaient construite une en bois, amovible, en 1522.
Martin Bucer
Portrait Charles Winter, 1864
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 725377)
Martin Bucer (1491-1551)
Dominicain originaire de Sélestat, gagné aux idées de Luther lors d’une rencontre avec lui en 1518, Martin Bucer, réfugié excommunié, arrive à Strasbourg en 1523 pour servir la cause évangélique.
Il souhaite modifier les institutions, tout en donnant une place centrale lors de la célébration du culte à la prédication et veut s’inspirer de l’Ancien Testament pour fonder une cité chrétienne, dans laquelle règnerait l’union entre pouvoir civil et ministres du culte.
Plus fortement que Luther, il insiste sur la morale.
Il attache aussi une grande importance à l’action de l’Esprit, ce en quoi il s’éloigne de Luther ; il s’éloigne d’ailleurs aussi de lui pour sa conception de la Cène, longtemps proche de celle de Zwingli, car pour lui l’important au départ est son côté symbolique pour le croyant : pour Bucer, il y atteste de sa foi, s’unit aux autres croyants et renouvelle sa consécration à Jésus en partageant le pain et le vin.
Bucer conciliateur
Vergleichung D. Luthers und seins gegentheyls par Martin Bucer, 1518
Photo et coll. BNU Strasbourg
Dans le document ci-contre, où il fait une comparaison entre les thèses de Zwingli et de Luther, Martin Bucer affiche sa volonté de conciliation.
Kaspar Hédion (1495-1552)
Venu de la cathédrale de Mayence, où il avait succédé à Capiton, Hédion est, à partir de 1523, prédicateur de la cathédrale de Strasbourg.
Kaspar Hédion
Ill. Théodore de Bry, 1650
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 619940)
Actualité des textes de l'Ancien Testament
Hosea der Prophet der Kirchen zu Straszburg - Capiton, 1527
Coll. Médiathèque protestante - Fondation Saint-Guillaume (P-16.78,3)
Wolfgang Köpfel, dit Capiton (1478-1541)
Capiton est originaire de Haguenau.
Docteur en théologie, il adhère aux idées de la Réforme en 1523, dont il devient un des représentants à Strasbourg, participant à de nombreuses diètes et rencontres.
Dans le titre du commentaire d'Osée (ci-contre), il est question de l'actualité du texte pour Strasbourg.
Capiton
Éd. K.-J. Truebner, 1914
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 718041)
Des laïcs deviennent aussi, de fait, prédicateurs, tels Karsthans ou Clément Ziegler, maraîcher strasbourgeois qui prêche à Strasbourg et dans la région d’Obernai.
Dans ce texte, Jean Sturm, même s’il ne s’établira à Strasbourg qu’en 1537, évoque les réformateurs du mouvement évangélique triomphant en 1524, et ceci, dans le cadre de sa lutte contre Pappus.
Les gens du peuple, là, étaient plus nombreux à s’assembler que les savants, mais ce qui était remarquable chez Matthias c’était la probité : peu de temps après se joignit à eux Antonius Firnius, alors curé de Saint-Thomas, le premier prêtre dans notre cité qui prit femme. Ce commencement, Martinus Bucerus le manqua de peu, et dès que lui arriva à Strasburg, ils entreprirent de poser des bases plus fermes à l’Évangile de l’Église : il fut suivi aussitôt par Capiton, qui avait quitté le cardinal de Moguntiacum Mainz Mayence, auprès de qui il tenait le premier rang dans la chancellerie du conseil : on l’appelait le Chancelier. De la même ville arriva alors Gaspar Hedio d’Ettlingen, docteur de théologie diplômé de Bâle. De Bâle aussi sortit Ioannes Oecolampadus, vieil ami de Capiton.
STURM Jean. In VALENTIN Jean et LEBEAU Jean-Marie. L’Alsace au siècle de la Réforme (1481-1621).
Textes et documents. Nancy : Presses Universitaires de Nancy, 1985, p. 134.
Traduction Jean-Michel Walter - CRDP d'Alsace, 2011.
S’il n’existe pas de règle absolue en ce qui concerne l’accueil fait au message évangélique, on observe néanmoins que l’origine sociale des Strasbourgeois a pu jouer un rôle :
Notre Magistrat, lorsqu’il eut suffisamment longtemps tout observé, tout considéré : lorsqu’il constata la foule des gens qui suivaient les assemblées : et la fréquence de ces assemblées : comme il sentait les moeurs des citoyens s’amender, et plus qu’auparavant s‘adoucir : comme de plus [il voyait] une partie importante du Sénat embrasser cette doctrine: il concéda la liberté de l’Évangile dans tous ses temples : il donna un local aux écoles dans notre collège auprès [de l’Église] des Dominicains: il réduisit les prébendes : ceux des moines qui quittaient les monastères, il leur donna le droit de citoyen : il leur permit de prendre femme : ceux qui étaient restés dans les monastères, il leur alloua une pension annuelle jusqu’à la fin de leur vie : il confia aux administrateurs des monastères les biens ecclésiastiques : lesquels furent conservés intégralement dans notre ville et distribués soit aux pauvres soit aux ministres de l’Eglise, pour le plus grand nombre et en [juste] proportion, ainsi que pour payer les taxes.
STURM Jean. In VALENTIN Jean et LEBEAU Jean-Marie. L’Alsace au siècle de la Réforme (1481-1621).
Textes et documents. Nancy : Presses Universitaires de Nancy, 1985, p. 134.
Traduction Jean-Michel Walter - CRDP d'Alsace, 2011.
Pour le Magistrat (c'est-à-dire les institutions du pouvoir), enfin, ce qui est fondamental, c’est le Gemein Nutz, l’utilité publique, comprise comme une combinaison d’idéaux antiques revalorisés par l’humanisme et un héritage chrétien ; c’est donc avant tout à ce titre qu’il mène son action.
Dans le même temps, la Réforme protestante apporte beaucoup au Magistrat : il y gagne la mainmise sur les institutions, la propriété et le personnel ecclésiastique. Sa politique s’inscrira donc à la fois dans la continuité de comportement, tel qu’il existait précédemment, mais aussi dans les changements qu’apportent les bouleversements du temps :
- En 1523 : le Magistrat promulgue un édit sur la liberté de prédication, incitant les prédicateurs à prêcher le message évangélique,
- En 1529, il demande aux 300 échevins de se prononcer concernant la suppression de la messe.
Enfin, en ce qui concerne la gestion de la ville, il ne faut pas négliger l’importance du Stettmeister Jacques Sturm.