Par Damaris Muhlbach
Publié le 8 juin 2012
Le temps des émergences achevé, se développe celui de l’organisation de la cité, dans son environnement protestant alors en cours d’élaboration.
Ce temps est d’abord un temps d’affrontements confessionnels, en raison de divergences existant entre les réformateurs eux-mêmes, mais aussi dans un souci d’affirmation face au catholicisme.
C’est aussi celui de la confirmation de la place de Strasbourg dans l’Europe protestante, à la fois comme terre d’accueil, mais aussi comme capitale de la spiritualité et de l’enseignement centrée sur la diffusion et la défense de la Réforme.
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Deux Diètes ont lieu à Spire en 1526 et 1529 concernant les questions religieuses liées à la Réforme.
D’ailleurs, afin de parvenir à un accord doctrinal, un colloque rassemble, du 1er au 4 octobre 1529, des théologiens à Marburg. Parmi eux Zwingli, Bucer, Luther et Mélanchthon.
En effet, des divergences demeurent concernant la Cène (présence réelle du Christ pour les uns, autour de Luther, symbolique pour les autres). Ces divergences empêchent les Strasbourgeois de signer les articles de Schwabach (confession de foi rédigée par Luther), ce qui sera au départ un frein à leur entrée dans la ligue en cours de constitution, mais aussi à la signature de la confession d’Augsbourg, et les rapprochent des villes suisses de Zurich, Bâle et Berne.
Confessio Augustana Argentinensis
Epistolarum eucharisticarum Libri primi Epistola quarta ad Clarissimum Jureconsultum Doctorem Bernardum Botzemium - Jean Sturm, 1581
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 487684)
L’empereur Charles Quint convoque à nouveau un Diète l’année suivante, pour régler le problème confessionnel. Les protestants viennent alors en ordre dispersé :
Aucune des trois ne trouve grâce aux yeux de l’empereur, qui répond par une réfutation et somme les protestants de retourner dans le giron de l’Eglise romaine.
Par conséquent, les princes évangéliques et les villes de Haute Allemagne se groupent en 1531 dans la Ligue de Smalkalde à laquelle la ville de Strasbourg va se rattacher en 1532, sous l’impulsion de Jacques Sturm.
Deux ans plus tard, menacé sur d’autres fronts, l’empereur concède une trêve en attendant la convocation d’un concile. Selon François Wendel, l’établissement d’institutions ecclésiastiques bien définies, cohérentes et fondées sur une doctrine précise devient en effet nécessaire et urgent aux protestants de Strasbourg.
Convoquée par le Conseil de la ville à la demande de Bucer, Capiton, Hédion et Zell, cette assemblée est présidée par 4 délégués du Magistrat. Le synode se prononce en faveur de la Tétrapolitaine et d’une Ordonnance ecclésiastique qui verra le jour en 1534.
Suite à cela, on demande aux anabaptistes, qui refusent de se réconcilier avec l’Église de quitter la ville dans les 8 jours.
Kirchenordnung
Wie es mit der Lehre Gœttliches Worts, und den Ceremonien Auch mit anderen dazu nothwendigen Sachen, In der Kirchen zu Strassburg, biss hieher gehalten worden, Vnd fuerohin, mit verleihung Gœtttlicher Gnade, gehalten werden soll , Strassburg : Jost Martin, 1598
Coll. Médiathèque protestante - Fondation Saint-Guillaume (P16-459)
Cette ordonnance disciplinaire règle l’organisation de l’Église de Strasbourg :
Concorde de Wittenberg
Rapprochement de Bucer et Luther , 1536
© Archives de Strasbourg (1 AST 182, f°1)
Bucer, qui souhaite avant tout l’unité entre les protestants, multiplie les contacts : il se rapproche des thèses luthériennes concernant la Cène ; ce rapprochement permet d’ailleurs l’entrée de Strasbourg dans l’alliance défensive de la Ligue de Smalkalde (1531).
Ce rapprochement est couronné par la Concorde élaborée en 1536. Mais il ne parvient pas à associer les Suisses à ce rapprochement.
La tentative de rapprochement avec les catholiques est importante, en particulier dans les années 1540-1541, car on s’est rapproché de leurs conceptions concernant la Cène et les cérémonies extérieures ont retrouvé de l’importance chez les protestants.
Les réformateurs strasbourgeois, Bucer, Capiton et les deux Sturm participent alors à plusieurs colloques, Bucer faisant d’ailleurs partie des rédacteurs du livre de Ratisbonne. Mais, même si le dialogue est possible avec l’évêque Guillaume de Honstein, et surtout son successeur Erasme de Limbourg, le dialogue échoue en raison des obstacles liés à la Cène et à l’autorité de l’Église.
Dans les années 1530-1540, Strasbourg est véritablement au cœur de la Réforme.
La ville joue un rôle de premier plan dans la diffusion et la défense de la Réforme qui passe tant par l’accueil de gens formés, conseillés, que par des voyages, en particulier de Bucer, pour aider au développement des églises évangéliques en Allemagne et en Suisse (par exemple de 1529 à 1547 il est le conseiller le plus écouté du langrave de Hesse) ; cette influence est aussi perceptible auprès des évangéliques de France, en Bohème ou en Europe du Nord et de l’Est.
Collegium Argentinense
Grav. Jacques von der Heyden, Page de titre de l'œuvre de Jacob Wimpheling, 1651
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 702652)
Strasbourg, avec en particulier la création de la Haute École en 1538, est alors une capitale de la spiritualité et de l’enseignement. Si au départ l’attention s’était portée sur les écoles latines, confiées aux soins d’Othon Brunfels et Jean Sapidius, puis sur les écoles primaires, on en vient enfin à l’idée de grouper les différents établissements en un seul, qui comprendrait :
Jean Calvin
Portrait , s.d.
Coll. privée du Chapitre de Saint-Thomas (Strasbourg)
En 1538, Calvin appelé par Bucer vient à Strasbourg comme pasteur de la communauté française de la ville et pour enseigner à l’école qui vient d’être créée. Il loge d’abord chez Capiton, ensuite chez Bucer, avant de s’installer dans sa propre maison. Il s’établit là, se marie avec Idelette de Bure, et obtient le droit de bourgeoisie.
Durant son séjour, il vit modestement, étant même au départ obligé de vendre certains de ses livres pour pouvoir subsister. À partir de 1539 néanmoins, sa situation s’améliore légèrement, grâce au florin hebdomadaire qu’il perçoit pour son enseignement à la Haute École.
Il enseigne alors la théologie à la Haute École et rédige plusieurs ouvrages d’importance capitale : son Commentaire sur l’épître aux Romains, la deuxième édition de l’Institution de la religion chrétienne. Durant son séjour strasbourgeois, il est d’ailleurs en contact avec Jean Sturm, scolarque, Jacques Sturm, Stettmeister, ou Wolfgang Capiton, et surtout Martin Bucer, avec lequel il a une proximité réelle (comme par exemple en ce qui concerne l’enseignement de la double prédestination, celui de la conception de l’Église ou de la Cène).
Souviens-toi bien de ce que je désire surtout rencontrer une compagne. Je ne suis pas de la race insensée de ces amants qui, une fois pris par la beauté d’une femme, couvrent de baisers jusqu’à ses défauts. La seule beauté qui me séduit est celle d’une femme pudique, complaisante, pas fastueuse, économe, patiente, que je puis enfin espérer être soigneuse de ma santé.
Lettre à Farel du 19 mai 1539.
Cité par LIENHARD Marc. "Expériences humaines, élan théologique et vie d'église : Calvin à Strasbourg (1538-1541)". In Revue d'Histoire et de Philosophie Religieuses, 2009, Tome 89, n°4, p. 454.
Voir l'article de Marc Lienhard dans son intégralité sur le site de la RHPR.
Psaume 51
Recueil officiel de Genève, 1562
Coll. Musée virtuel du protestantisme français
L’héritage strasbourgeois est particulièrement visible dans la liturgie, dans l’importance donnée à la prédication et au chant des psaumes.
En effet, dans le psautier publié par Calvin en 1539, douze psaumes sont de Clément Marot et sept sont de Calvin. La musique du psautier est écrite par deux compositeurs strasbourgeois, Mathias Greiter et Clément Dachstein, qui sont également les auteurs de la mélodie du Psaume 68, mis en vers par Théodore de Bèze, Que Dieu se montre seulement.
Le site du musée du protestantisme français, produit par la Fondation Pasteur Eugène Bersier avec le concours scientifique de la Société de l'Histoire du Protestantisme Français, donne accès à de très nombreuses ressources en ligne, que nous vous invitons à découvrir. Voyez par exemple la page relative à la musique religieuse, qui consacre notamment des notices aux chants des psaumes, aux psautiers et aux orgues.
Que Dieu se montre seulement,
Et l’on verra dans un moment
Abandonner la place.
Le camp des ennemis épars,
Épouvanté de toute part,
Fuira devant sa face.
On verra tout ce camp s’enfuir,
Comme l’on voit s’évanouir
Une épaisse fumée.
Comme la cire fond au feu,
Ainsi des méchants, devant Dieu,
La force est consumée. [...]
Psaume 68 (dit Psaume des batailles)
traduit par Théodore de Bèze et mis en vers par Clément Marot (XVIe)
Les prédicateurs strasbourgeois sont soucieux de faire de Strasbourg une cité sainte :
Les protestants ayant refusé de reconnaître l’autorité du Concile de Trente, Charles Quint déclenche en 1546 la Guerre de Smalkalde. Elle se solde par la victoire de Mühlberg (avril 1547). Les Strasbourgeois sont alors divisés entre :
Le 21 mars 1547, Jacques Sturm se met à genoux devant l’empereur, acceptant ainsi ses conditions : retrait de la Ligue de Smalkalde, paiement de 30 000 florins, fourniture de munitions et serment d’allégeance.
Suite à la victoire contre la ligue de Smalkalde, une Diète est réunie à Augsbourg (sept. 1547-juin 1548). Bucer refuse d’accepter les décisions connues sous le nom d’Interim : la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres sont concédés, mais le culte est rétabli sous sa forme ancienne, le pouvoir juridique et doctrinal des évêques reconnu. La question de justification par la foi n’est, quant à elle, quasiment pas évoquée.
Les échevins strasbourgeois votent alors l’Interim, tout en engageant des négociations avec l’empereur et l’évêque afin d’en atténuer certaines stipulations. Quant à Bucer, qui s’y opposait véhément, il est congédié le 1er mars 1549 et finira ses jours en Angleterre en 1551. Finalement, la ville accorde à nouveau sa protection décennale au Chapitre de Saint-Thomas et à certaines paroisses et le culte catholique est rétabli en plusieurs endroits, dont la cathédrale.
Ainsi se termine une époque d’intense rayonnement de Strasbourg tant sur le plan cultuel que scolaire, culturel et social.