Par Monique Klipfel
Publié le 1er octobre 2010
Étude sur plusieurs échelles qui, du Saint-Empire à Strasbourg, permettent de comprendre les réalités et les enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels de cette période.
Retour à Catalogue général BNPA
À l'aube du XVe siècle, l'Europe est constituée d'un ensemble d'états complexes.
Le territoire européen au début du XVe
Carte SIP
© Région Alsace - Service de l'Inventaire et du Patrimoine, s.d.
À l’est s'étend l’empire allemand.
Il s'agit d'une mosaïque complexe de plus de trois-cent cinquante entités. La Bulle d’or de 1356 (le nom vient du sceau attaché au texte) fixe les détails de l’élection impériale. Elle a lieu à Francfort-sur-le-Main. Sept princes sont électeurs et ont rang de souverains : ils sont trois ecclésiastiques (les archevêques de Cologne, Trèves et Mayence) et quatre laïcs (le roi de Bohême, le duc de Saxe, le margrave de Brandebourg et le comte palatin du Rhin).
L’empereur élu est indépendant du pape, dont la confirmation devient inutile. Ses moyens financiers sont très limités et il est à la merci de ses créanciers. Une assemblée existe, la diète de Nuremberg, et les villes libres, environ une soixantaine, participent à ses délibérations.
La papauté exerce à la fois un pouvoir spirituel sur la Chrétienté et un pouvoir temporel sur les États de l’Église. Les querelles entre les conciles et les papes sont multiples, chacun voulant affirmer son autorité sur l’autre.
Le duché de Bourgogne est quant à lui en lutte avec la couronne de France au cours de la guerre civile entre les Armagnacs et les Bourguignons (1407-1435).
À l’ouest, le royaume de France est aux prises avec la guerre de Cent Ans. Cette dernière a connu bien des flux et des reflux. Lors des périodes de répit, les soldats privés de solde vont se payer sur le pays, dont l’Alsace. La ville de Strasbourg, assiégée à plusieurs reprises, résistera.
Empereur
Vitrail , dernier quart du XIIe
Coll. Musée l’Œuvre Notre-Dame - Strasbourg
La complexité politique et territoriale de l'Alsace correspond sur bien des points à la situation de l’empire germanique : multiplicité des espaces qui dépendent de seigneurs, comme les princes allemands possessionnés d’Alsace (les Hanau-Lichtenberg), l’évêque de Strasbourg, la Décapole, Strasbourg dont l’autorité dépasse largement le cadre de ses murailles.
Strasbourg, quant à elle, affirme clairement son appartenance au Saint-Empire romain germanique en faisant effectuer un vitrail pour la cathédrale dès l’époque romane. La représentation de l’empereur en est le symbole.
Sur le vitrail un empereur, que l'on a coutume d'identifier comme étant Charlemagne, est entouré de ses ministres (peut-être Roland, qui tient l'épée). Il s'agit d'un rappel du Charlemagne représenté à Aix-la-Chapelle. Dans le cas présent, l'empereur est assis sur un trône avec les insignes du pouvoir (sceptre et globe) et revêtu de pourpre, couleur des empereurs romains. Il porte également la couronne à sept pans, symbole des murailles de la Jérusalem céleste. Les artistes et leurs commanditaires ont, en effet eu à cœur de témoigner leur attachement à l'empire.
Voir une description détaillée de l'œuvre sur le site des musées de Strasbourg.
L'isthme français n'est pas (...) l'unique isthme utilisable de l'Europe et, sauf du temps de Rome (et encore), ou au temps des foires de Champagne, il n'est pas toujours le plus fréquenté : dès la fin du XIIIe siècle, la grande voie qu'emprunte le commerce européen devient bientôt, sans discussion possible, l'isthme allemand, avec sa chaîne de villes : au sud, Gênes, Milan, Florence, Venise ; en sa zone centrale, Augsbourg, Bâle, Strasbourg, Nuremberg, Francfort, Cologne, toutes villes puissamment activées par l'exploitation des mines allemandes d'argent et de cuivre ; puis, sur la Mer du nord, Bruges, Anvers, Hambourg, voire Londres. Les Alpes, avec leurs populations actives de villageois transporteurs, les traîneaux glissant sur la neige d'hiver, ont été non pas un obstacle, mais très souvent un accélérateur des échanges.
F. Braudel, L’identité de la France, Paris, France Loisirs, mars 1986, p. 252
Une fois débarrassés de la tutelle de l’évêque et quasiment indépendante de l’autorité de l’empereur, les Strasbourgeois vont se livrer à de multiples de querelles internes entre patriciens et métiers. L'une des plus célèbres est le conflit qui opposa deux familles : les Zorn et les Mullenheim.
En 1332, quatre semaines après Pâques, le mercredi 20 mai, jour de banquet de la Table ronde ou de Martsche (nom des bourgmestres patriciens), éclata une querelle (Geschtölle) dans la rue Brulée entre deux lignages, les Zorn et les Mullenheim. L’affrontement fit deux morts parmi les Mullenheim et sept parmi les Zorn… À la suite de cette querelle, les patriciens bourgeois et les gens de métiers craignirent que les deux parties ne fissent appel aux seigneurs du pays et que la ville fut occupée par eux…
(Après bien des discussions) le pouvoir passa des mains des nobles (herren) en celle des métiers (antwercke) ce qui était bien nécessaire, car les nobles commetttaient bien des excès envers eux.
Chronique de Closener dans Die Chronicken der oberrheinischen Städte, Strassburg, éd. C. Hegel, Leipzig, 1870, p. 122-123
Deux ans après est institué le Schwörtag, cérémonie au cours de laquelle les Strasbourgeois vont jurer fidélité à leur constitution.
D’autres crises vont éclater comme la guerre de Dachstein, dont le terme va marquer la victoire définitive des métiers en 1422.
La constitution connaîtra plusieurs remaniements pour éviter la prééminence d’un métier ou d’un homme mais elle n’évitera pas l’accession au pouvoir d’une oligarchie de certains métiers (merciers, orfèvres, bateliers…).
Lettre de serment (Schwörbreif)
Lettre , 14 janvier 1413
© Archives de Strasbourg (AA 61/8)
Ce document est un acte officiel. Le premier date de 1334 et le dernier de 1482. Il consacre la prépondérance des corporations (Zünfte).
Ce serment a été rédigé sur parchemin avec un soin qui dénote son importance. Les premiers mots que l’on parvient à distinguer (In Gottes Namen Amen, au nom de Dieu Amen) marquent la solennité du serment.
En couleur figurent les armes de Strasbourg (d’argent à bandes de gueules), qui apparaissant sur la bannière du chevalier en armes, sur l’ange du milieu et sur l’écu de l’ange du haut.
Au Schwörtag, qui avait lieu au commencement de chaque année, après le renouvellement du Magistrat, tous les citoyens de la ville âgés au moins de 18 ans, étaient tenus de prêter serment à la constitution. Dès le matin, devant le portail principal de la cathédrale, était dressé un vaste échafaudage, recouvert d’un baldaquin et tendu de riches tapisseries. Sur la galerie de l’estrade était déroulé un grand parchemin contenant la constitution revêtue du grand sceau de la ville, de celui des membres de la noblesse, de celui des corporation et métiers….
Chaque corporation, chaque députation étaient accueillie par des fanfares. Quand l’horloge avait sonné 9 heures, les huissiers du sénat imposaient silence à l’assemblée. Le secrétaire de la Chambre des XV donnait lecture de la constitution. Les nouveaux habitants prêtaient ensuite serment de fidélité aux institutions de la cité.
Henri Welschinger, dans Histoire de l’Alsace de Pierre Haas, Istra, 1946
Il n’existe pas de chiffre exact sur le nombre de juifs à Strasbourg à cette époque. Cependant, leur présence est attestée car des lettres de sauvegarde avaient été accordées moyennant finances.
Bûcher des juifs
Grav. Sébastien Munster, 1628
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 620485)
Les récentes découvertes archéologiques dans la rue du même nom démontrent la présence d’une synagogue, d’une école et de bains rituels. En 1349 la peste noire se répand en Alsace et, très vite, le bruit court que les juifs en sont responsables. Beaucoup d’entre eux s’étaient réfugiés à Strasbourg. Mal leur en avait pris car rapidement, sous la pression de leurs débiteurs, ils furent accusés de transmettre la maladie.
On estime à environ deux mille (selon Closener) ceux qui furent entassés sur un échafaud et brûlés. Quelques mois plus tard, avec l’été, la peste va toucher Strasbourg et on évalue à 15% de la population la proportion de morts.
Désormais les juifs n’auront plus l’autorisation de s’installer dans la ville. Ils pourront y faire des affaires mais devront sortir de la ville au moment où sonnera la Judenblos (ou Grüsselhorn).