Par Marie-Georges Brun
Publié le 1er juillet 2011
Le comté de Ferrette tire son nom d’un château du sud de la Haute-Alsace que quelques documents latins nomment Phirrete, Fierritum, Ferreta. Ce nom provient du latin piretum, signifiant verger de poirier et il semble qu’à l'époque romaine une tour de guet ait été construite sur le haut de la butte dominant cette petite cluse du Jura. Plus tard, Les Allemands lui donnent le nom de Pfirt et les Français celui de Ferrette.
Le comté, qualifié de dynastia et dominium (seigneurie, domaine, Herrschaft) du temps des comtes puis de comitatus (comté, Grafschaft) lorsqu’il devient la propriété des ducs d’Autriche, est, entre le XIe et le XIIIe siècle la principale puissance du Sundgau, avec lequel il ne faut cependant pas le confondre. Si, au Moyen Âge, le Sundgau désigne en effet l’ensemble de la Haute-Alsace, il est aujourd’hui une région aux limites assez imprécises entre la frontière suisse, le Rhin, la porte de Bourgogne et la région de Cernay-Mulhouse.
Il est extrêmement difficile de se faire une idée de ce qu’était, au temps de leur puissance, les possessions des comtes de Ferrette et l’étendue de leur territoire, en raison notamment :
Toutes ces raisons expliquent les difficultés à établir avec précision le territoire que couvrait le comté de Ferrette au Moyen Âge. On peut cependant en décrire les contours et l’évolution générale.
En héraldique, le blason des comtes est décrit de gueules aux deux bars adossés d'or. Les deux bars adossés dans les armoiries rappellent le nom de la ville de Bar-le-Duc en Lorraine, capitale du comté puis cité ducale barroise d'où la famille des Ferrette est issue. Ces armoiries constituent, encore de nos jours, l'emblème de la ville de Ferrette.
Au moment de sa création, en 1125, le comté de Ferrette s’étend le long des contreforts nord du Jura, entre la porte de Bourgogne et la ville de Bâle.
Vers 1146, à la mort de son beau-frère Ulrich d’Eguisheim, Thierry Ier hérite d’une partie de ses possessions, à savoir l’entrée de la vallée de la Thur jusqu’aux portes d’Ensisheim . Il constitue ainsi les seigneuries de Ferrette, d’Altkirch et de Thann, qui forment le noyau historique du comté. Il hérite également d'une partie du château de Haut-Eguisheim (château de Vaudémont) et des châteaux de Hohnack et de Wineck-Katzenthal.
À sa mort, en 1160, le comté est un grand territoire bordé à l’est par la Hardt, au sud par les territoires de l’évêché de Bâle, à l’ouest par les Vosges et la Lorraine, au nord enfin par la vallée de la Thur et par une ligne allant de Cernay à la forêt de la Hardt, à hauteur de Wittenheim.
En épousant Agnès de Sogern (Soyhières), son fils Louis II (1160-1190) étend le comté dans la vallée de la Birse, aux portes de Delémont, et lorgne du côté de l’abbaye de Moutier-Grandval, dont il est l’avoué pour quelques villages.
Le comté s’agrandit encore notablement sous Frédéric II. En 1218, celui-ci hérite d’une partie des biens des Zähringen sur la rive droite du Rhin (le Brisgau) et devient comte de Fribourg, titre et biens qu’il abandonne en 1222 au fils de sa belle sœur, Eginon V d’Urach. Cependant, il s’implante solidement dans l’Ajoie (Elsgau), où il devient suzerain de quelques seigneurs de la région de Porrentruy et dans le pays de Delle.
Le comté est alors assez puissant pour inquiéter ses voisins et d’incessants conflits ne secouent la région. Il s'agit, le plus souvent, de petites querelles féodales, mais d’autres sont de véritables guerres. La plus importante d'entre elles est celle de la succession des Eguisheim qui, entre 1227 et 1230, ravage toute la Haute-Alsace et se termine en bataille rangée à Blodelsheim. Elle marque la fin de la puissante politique de la famille, qui abandonne ses prétentions sur l’Elsgau et les terres des Eguisheim en Moyenne-Alsace.
En 1271, ces conflits obligent le comte Ulrich II, totalement ruiné, à vendre le comté à l’évêque de Bâle qui les lui rétrocède immédiatement, mais à titre de fief. Ainsi, légalement, les comtes abandonnent leur indépendance et reconnaissent l’évêque comme suzerain.
L’acte de vente, conservé, est une excellente source permettant de se faire une idée ce qu’était le comté au XIIIe siècle. Il rassemble : le château et la ville de Ferrette, les châteaux de Sogren (Soyhières), de Blochmunt (Blochmont), de Lewenberc (Loewenburg), de Morsberc (Morimont), Liebenstein, le château et la ville d’Altchilche (Altkirch), Ameratswilre (Ammertzwiller), Sphebach (Spechbach), Hohennac (Hohnack), Winnecke (Wineck), une courtine dans Cernay avec ses attenants, tant dans la ville qu’au dehors… les cours de Turlestorff (Durlinsdorf), de Buchswilre (Bouxwiller), de Ruodensbach (Riespach), d’Altkilche (Altkirch) avec les fermes qui en dépendent, de Sphebach (Spechbach), d’Ameratswilre (Ammertzwiller), de Brunnehoubten (Burnhaupt), Schweichusen (Schweighouse), les villages de Tanne (Thann) et de Domarkilche (Dannemarie), avec les hommes, avocaties, les vignes, les champs… et généralement toutes les choses qui nous appartiennent par droit de propriété, à quelque droit et à quelque titre qu’elles soient énumérées, à l’exception du château de Schonenberg et de la cour de Illevurt (Illfurth).
Ainsi au XIIIe siècle, malgré les déboires et les défaites, le comté garde une certaine importance.
Le successeur de Frédéric, Thibaud (1275-1310), malgré des choix politiques hasardeux, parvient à agrandir encore le domaine comtal en acquérant des terres à Heimsbrunn, Delle, Boncourt…
C’est son fils Ulrich III (1310-1324) qui porte le comté à sa plus grande extension. Il reçoit en dot, de son épouse Jeanne de Montbéliard, les importantes seigneuries de Montreux (Münsterol), de Rougemont et de Belfort. De plus, il tente de s’approprier la vallée de Saint-Amarin en construisant notamment le château de Wildenstein, mais s’y heurte à la puissance des abbés de Murbach et doit finalement renoncer. C’est donc curieusement au moment où le comté atteint sa plus grande extension que la famille des comtes disparaît avec Jeanne de Ferrette.
Par mariage, l’ensemble des biens de la famille passe ainsi aux Habsbourg pour former, avec leurs autres possessions alsaciennes (partie est du Sundgau, val de Villé…), l’Autriche Antérieure. Les Habsbourg assurent dès lors au Sundgau une paix et une prospérité durable, certes troublée par quelques sévères conflits, alors que le reste de l’Alsace continue ses luttes féodales et bientôt religieuses qui l’amènent, au début du XVIIe siècle, à la terrible guerre de Trente ans.