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Le système castral des Ferrette

Par Marie-Georges Brun

Publié le 13 juillet 2011

Relativement étendu au regard du reste de l’Alsace, le comté de Ferrette compte, aux XIII et XIVe siècles, environ 150 villages. Ceux-ci sont possédés par les comtes en biens propres et administrés par des maires (six mairies dans la seigneurie de Ferrette, six dans celle d’Altkirch…) ou transmis à titre de fiefs à des vassaux.

L’ensemble de ces biens et possessions était quadrillé et contrôlé par de nombreuses places fortes ou fortifications, d’inégale importance. À côté de véritables châteaux bien fortifiés de moyenne montagne, munis de tous les systèmes de défenses appropriés, on trouve de nombreuses Wasserburg bien plus modestes ainsi que des simples maisons fortes, mais aussi quelques villes.

Tout cet ensemble forme un réseau relativement dense dont l’objectif premier est le contrôle et la défense du pays, mais aussi de montrer la présence permanente de l’autorité et de la justice comtale sur l’ensemble de la population, paysans et ecclésiastiques.

Châteaux à vocation militaire et stratégiqueRevenir au début du texte

Les châteaux de montagne

Les châteaux dont la vocation première est militaire et stratégique, et qui sont donc de véritables armes de guerre, se situent essentiellement en montagne, sur le front sud du Jura et dans les Vosges du sud, dans la vallée de la Thur (ou de Saint-Amarin) et de la Doller.

C’est en effet au sud et à l’ouest que les comtes de Ferrette voisinent avec leurs plus sérieux adversaires : leurs cousins Montbéliard, les comtes de Bourgogne et, surtout, les puissants évêques de Bâle. À l’ouest, là où leur territoire borde les terres des Habsbourg, le danger est pour eux beaucoup moins important. C’est donc d’abord le long du Jura alsacien que se trouvent les forteresses dignes de ce nom : Ferrette, Morimont, Liebenstein, Blochmont, Schœnenberg, Loewenburg, et plus tard Florimont, Münchenstein, Rheineck et peut-être Waldeck.

La politique comtale est claire : faire barrage aux princes-évêques de Bâle qui ne seraient pas mécontents de contrôler tout le nord du Jura et de s’implanter durablement en Haute-Alsace. Il faut en effet garder à l’esprit que, jusqu’à la Révolution française, cette dernière fait partie intégrante du diocèse de Bâle dont elle représente d’ailleurs plus des deux-tiers. Tout au long de leur histoire, les comtes tentent d’étendre leur influence politique sur les terres mêmes des évêques de Bâle : ils s’implantent durablement dans le Sorngau en héritant du château de Soyhières dès la fin du XIIe siècle et, en 1270, deviennent suzerains des nobles Munch qui possèdent un puissant château à Münchenstein, aux portes de Bâle. Ils font de même avec la Landskron dont ils sont copossesseurs avant d’être contraints d’abandonner leurs prétention sur le château (1299). De même, ils s’implantent durablement dans quelques domaines de l’Elsgau (Ajoie), au cœur même de la principauté épiscopale.

La vallée de la Doller et de la Thur

Porte de Thann, à Cernay

Porte de Thann, à Cernay
Photo M.-G. Brun, s.d.

Avec les châteaux de Montori, Rougemont et Rosemont, et plus tard celui de Belfort, les comtes veulent exercer un certain contrôle sur la porte de Bourgogne et la vallée du Doubs. Ils s’y heurtent principalement aux comtes de Montbéliard, leurs cousins, auxquels ils parviennent parviennent toutefois à arracher d’importants territoires, à savoir la seigneurie de Belfort, celle de Rougemont et celle de Delle, territoires qui passeront quelques décennies plus tard dans l’escarcelle des Habsbourg.

Le contrôle de la vallée de la Thur est essentiel pour les comtes car il s'agit d'une importante voie de passage et de commerce vers la France, par les cols d’Oderen et de Bussang. Par héritage des Eguisheim, les comtes obtiennent le débouché de la vallée sur la plaine, qu’ils contrôlent aussitôt en y édifiant l’Engelsbourg et en créant les villes de Thann et de Cernay, dont la porte de Thann est le seul vestige encore bien visible.

Mais leur objectif est bien de dominer l’ensemble de la vallée. Ils se heurtent alors aux puissants princes-abbés de Murbach, dont ils sont par ailleurs avoués pour certaines terres. Contre l’abbaye, ils édifient le château du Herrenfluh et surtout celui de Wildenstein, chargé de contrôler la haute vallée et de menacer Saint-Amarin, possession et péage sur la route du Bussang de l’abbaye. La mort d’Ulrich III, en 1324, met cependant fin au rêve d’hégémonie des comtes sur la vallée de la Thur.

Des possessions annexes

Cette troisième série de châteaux a appartenu temporairement aux comtes en leur qualité de parents des Eguisheim. En 1144, par son mariage de la partie Vaudémont du Haut-Eguisheim (Weckmund) Louis hérite et, lorsque meurt la dernière de Eguisheim en 1225, le comte de Ferrette, s’estimant héritier légitime, s’empare d’une partie des biens de la défunte, parmi lesquels les châteaux de Hohnack et de Wineck-Katzenthal.

Ces châteaux restent en possession des comtes de Ferrette jusqu’en 1271. Le Wineck est alors donné à l’évêque de Bâle et rétrocédé à titre de fief pour passer ensuite aux Habsbourg. Le Hohnack est pris en 1279 par le fameux Anselme de Ribeaupierre et intégré aux possessions de cette famille. Quant au Weckmund, il reste aux mains des comtes en qualité de vassaux de l’évêque de Strasbourg et passe, en 1324, aux Habsbourg.

La plupart de ces châteaux, dont le rôle premier est militaire, appartiennent en propre aux comtes ou ont été construits par eux, tout comme les villes qu’ils ont créées. Les autres sont confiés à des vassaux nobles relativement puissants au premier rang desquels les Morimont-Moersperg, les Sogern (Soyhières), les Munch oules Blochmont. Quant au château d’Altkirch, création de Frédéric II, il sert essentiellement de capitale politique au comté, bien mieux situé que Ferrette. Cc’est une citadelle dont les remparts servent en même temps à protéger la ville.

Châteaux secondaires, châtelets et maisons fortesRevenir au début du texte

Dans les régions du comté situées à bonne distance des zones potentielles de conflits, les châteaux et autres édifices à vocation défensives sont bien plus modestes. Il s’agit en effet de modestes châtelets de type Wasserburg, souvent sans donjon, ou de maisons fortes sans remparts ou fossés.

Ces châteaux sont détenus à titre de fiefs par des familles de petite noblesse qui n’ont en rien, puisque vassales des comtes, la puissance des familles nobles de Basse-Alsace (De Werd, Rathsamhausen, Fleckenstein, Géroldseck…). Le plus souvent, elles ont pour seul souci de faire fructifier leurs biens. L’histoire à retenu quelques noms de ces nobliaux : les Reinach, Flaxlanden, Eptingen, Munch, Zu Rhein, Reich…

Peuvent être cités :

De tous ces châteaux ne restent que fort peu de traces, ou des édifices très fortement remaniés comme Durmenach, Heidwiller ou encore Hirtzbach.

ConclusionRevenir au début du texte

Tout au long de leur existence, les turbulents comtes de Ferrette sont parvenus à constituer et, surtout, à maintenir un comté assez important, le plus étendu de Haute et de Basse-Alsace.

Malgré d’incessants conflits, souvent très locaux, ils se sont montrés capable de maintenir une certaine prospérité dans la région, grâce notamment à un maillage serré de petits seigneurs, ministériels et avoués locaux, de prieurés et de couvents, de villes et de maisons fortes.

En 1351, lorsque s’éteint Jeanne de Ferrette, la dernière de la lignée, mais mère des Habsbourg, le comté de Ferrette constitue l'une des pièces majeures des possessions de ses nouveaux maîtres, appelés à devenir la plus puissante dynastie du Saint-Empire et de l’Europe pour les trois siècles à venir.