Une question : la culture alsacienne, c'est quoi ?
Bouxwiller : maison traditionnelle Photo Pierre Kessler, 2010 Document CRDP d'Alsace
Le fait culturel vécu en Alsace dans toutes les dimensions, linguistiques, artistiques
et psychologiques que présente cette province.
La culture alsacienne est le prolongement sur un même territoire de la culture
française et de la culture allemande. De ce fait, elle a vocation de réunion, non
d’exclusion.
Elle est la façon alsacienne d’assimiler les deux cultures et de favoriser leur
osmose. Elle est sublimation des contradictions nées de ce côte-à-côte
De ce fait, elle est la culture du « vivre ensemble », de la tolérance, du respect
des différences. Elle est à la fois enracinement et ouverture sur le monde. En quoi elle
est une culture d’avenir..
L’origine de la culture alsacienne réside donc dans le fait qu’elle se vit dans
trois expressions linguistiques : le français, les dialectes parlés en Alsace et
l’allemand.
Quelques dates et événements
Vers 300 avant J.-C., les Celtes peuplent l’Alsace ; on ne parle qu’une langue
dans la région : le celtique.
Dès le 1er siècle avant J.-C., des groupes de Germains s’installent en Alsace.
En 58 avant J.-C., Jules César conquiert l’Alsace qui fera partie de l’empire
romain jusqu’à 451 après J.-C.. Le latin devient langue officielle ; le celtique
reste la langue du peuple.
En 406-407, la Gaule est envahie ; les Alamans, tribu germanique, s’installent en
Alsace. L’alémanique, un dialecte germanique, remplace le latin et le celtique.
En 496 , les Francs, un autre peuple germanique, et les Alamans s’affrontent lors
de la bataille de Tolbiac : Clovis, roi des Francs, bat les Alamans ; les Francs
s’installent dans le Nord de l’Alsace (dans l’Outre-Forêt) et y introduisent le
francique. Deux dialectes coexistent alors en Alsace (le francique, au nord de
l’Outre-Forêt, et l’alémanique) et sont parlés par la presque totalité des habitants
de la région au début du VIe siècle.
Aux VIIIe et IXe siècles, à la demande de Charlemagne, ces deux langues seront
utilisées pour christianiser les tribus germaniques.
Entre 1150 et 1250, brève constitution d’une langue « courtoise » (des
troubadours allemands) neutre et unifiée.
Au milieu du XIVe siècle, utilisation par le pouvoir politique d’une langue
écrite uniformisée, qui intègre des éléments de tous les dialectes germaniques :
l’allemand est né. A la même époque, cette langue écrite nouvelle est diffusée grâce
à l’invention de l’imprimerie et au mouvement religieux de la Réforme (traduction de
la Bible en allemand par Luther).
À partir de 1525, cette langue écrite allemande est aussi adoptée par les
écrivains et imprimeurs rhénans et alsaciens.
En 1648, après la Guerre de Trente Ans, l’Alsace est intégrée au Royaume de
France. Les textes en dialecte deviennent rares mais le dialecte continue d’être
parlé par le peuple.
Après la Révolution Française (1789), tous les dialectes sont bannis en France.
En 1871, après la guerre de 1870, l’Alsace et la Moselle deviennent allemandes.
Les Alsaciens s’expriment « officiellement » en allemand, mais aussi en français et
en dialecte.
En 1918, à l’issue de la 1ere guerre mondiale, l’Alsace redevient française. Les
petits Alsaciens apprennent le français à l’école par la « méthode directe ».
De 1940 à 1944, l’Alsace est annexée au Reich allemand ; il est interdit de
s’exprimer en français.
Après la 2e guerre mondiale, il est « chic » de parler français ; le parler
dialectal est en net recul…
Cette présentation succincte est un résumé actualisé, avec extraits, du Cahier
n°1 « Brève histoire linguistique de l’Alsace » édité par le CRDP de Strasbourg, réalisé
par André Weckmann avec la collaboration de Théodore Rieger et revu par Arlette
Bothorel-Witz et Dominique Huck.
Quelques questions et leurs réponses
Quelle est la définition d'un dialecte ?
Un dialecte est une forme de langue, une variété régionale d’une langue.
Il se compose souvent d’une multitude de variétés locales (c’est le cas des dialectes
parlés en Alsace) qui s’expliquent par des mutations linguistiques (voir plus loin).
Contrairement à l’allemand standard, il n’est ni unifié ni codifié et ne s’emploie que
rarement dans la communication écrite (poésie et théâtre essentiellement).
Un dialecte n’est pas un idiome (définition : langage particulier à une communauté, à
une région) qui se serait dégradé. Il ne procède pas de la langue nationale. Dans le
domaine germanique, par exemple, les dialectes alémanique, francique, souabe,
austro-bavarois, sorabe… sont même antérieurs à la langue allemande officielle.
D’après le Cahier n°1 « Brève histoire linguistique de l’Alsace » édité par le
CRDP de Strasbourg, réalisé par André Weckmann avec la collaboration de Théodore Rieger
et revu par Arlette Bothorel-Witz et Dominique Huck.
L’alsacien, c’est quoi ?
On dit couramment que nous parlons l’alsacien en Alsace. Mais scientifiquement, notre
dialecte n’est pas l’alsacien. Il s’agit soit d’alémanique (au sud de l’Outre-Forêt)
soit de francique (au Nord de l’Outre-Forêt), deux langues parlées par les Alamans et
les Francs, deux peuples qui ont envahi l’Alsace au Ve siècle. Le terme « alsacien »
n’est apparu en France qu’après 1870 et après le rattachement de l’Alsace à l’empire
allemand.
Si l’on ne veut pas utiliser les termes « alémanique » et « francique », il convient
de parler d’ « elsässerditsch » (allemand alsacien ou d’allemand parlé en Alsace) de
même qu’en Suisse alémanique on ne parle pas le suisse mais le « schwitzerdütsch
».
En fait, ce qu’on appelle couramment l’alsacien n’est qu’une forme orale de l’allemand
parmi d’autres (le badois, le bavarois, le saxon…) dont la forme écrite est le «
hochdeutsch » ou allemand moderne.
Les dialectes alsaciens sont-ils une exception en Europe ?
Non. On parle de nombreuses langues dites « moins répandues » dans l’Union Européenne.
Selon l’UNESCO, 123 langues seraient parlées en Europe, mais parmi elles plus de la
moitié est dans une situation difficile, dont une trentaine proche de l’extinction.
Voici quelques-unes de ces langues dites « moins répandues » dans l’Union Européenne
(en suivant les aiguilles de la montre) :
Au Danemark : l’allemand,
aux Pays Bas : le frison,
en Belgique : le flamand,
au Luxembourg : le luxembourgeois et le francique,
en Allemagne : le frison, le danois, le sorabe,
en France : le flamand, les dialectes alsaciens, l’occitan, le corse, le catalan,
le basque et le breton,
en Italie : l’allemand, le ladin, le slovène, le sarde, le croate, le français, et
le grec
en Grèce : le pomaque, le slave, le turc, le valaque et l’arvanite,
en Espagne : le catalan,
au Portugal : le galicien,
au Royaume Uni : le gallois, le cornique et le gaélique,
en Irlande : l’irlandais.
Les dialectes parlés en Alsace sont ils uniquement régionaux ?
Non. Les dialectes francique et alémanique dépassent le frontières de l’Alsace : le
francique est parlé en Pays de Bade, en Palatinat, au Luxembourg ; l’alémanique est
parlé en Allemagne (Pays de Bade, Allgäu) au Liechtenstein, en Suisse (alémanique) et en
Autriche (Vorarlberg).
Quelles sont les différentes variantes du parler dialectal en Alsace
?
Aires linguistiques en Alsace d'après R. MATZEN Carte Stéphane Hibou, 2010 Document CRDP d'Alsace
Conséquence des différentes invasions (des peuples alamans et francs) au Ve siècle, il
existe plusieurs aires linguistiques en Alsace. Du Nord au Sud de la région :
Le francique rhénan lorrain au Nord-Ouest (en Alsace-Bossue),
le francique rhénan méridional ou palatin dans la région de Wissembourg,
le bas-alémanique du Nord (en Basse Alsace),
le bas-alémanique teinté de francique (à Strasbourg),
le bas-alémanique du Sud (en Haute Alsace, excepté le Sundgau),
le haut-alémanique (dans le Sundgau).
Il faut y ajouter quelques enclaves romanes dans la vallée de la Bruche et à
Orbey.
L'arc-en-ciel du dialecte alsacien ( CRDP Alsace / CC-BY-NC-SA)
Ce document sonore vous permet d'entendre un aperçu des différentes
variantes du parler dialectal.
Des mutations linguistiques expliquent la variété de
nos dialectes
Courbes isoglosses en Alsace d'après R. MATZEN Carte Stéphane Hibou, 2010 Document CRDP d'Alsace
Entre le VIeme siècle et le début du XIIeme siècle, plusieurs changements et
transformations sont intervenus qui expliquent qu’on ne parle pas les dialectes de la
même façon dans tout l’espace linguistique alsacien :
Entre 500 et 800 ap. J-C, se produit la mutation consonantique haut-allemande
(dans le sud de l’Allemagne) ; raison pour laquelle on dira Chind en
haut-alémanique (dans l’extrême sud de l’Alsace) et Kind partout ailleurs et
qu’on dira Pund et Appel en francique rhénan (Alsace-Bossue) et
Apfel et Pfund dans le reste de l’Alsace.
Entre la fin du XIeme siècle et le début XIIe siècle a lieu la monophtongaison
(définition : réduction d'une triphtongue ou d'une diphtongue à une voyelle simple)
de l’allemand moyen et des dialectes franciques qui touche différemment les
dialectes parlés en Alsace ; ainsi Bruoder devient Bruder en dialecte
francique de l’Alsace Bossue, Bröder à Bouxwiller et Strasbourg alors que la
diphtongue demeure dans Brüeder (dans la plupart des dialectes
alémaniques).
À partir du XIIeme siècle prend naissance la diphtongaison (définition :
transformation d’une monophtongue - voyelle simple - en diphtongue) dite bavaroise
(dans l’extrême sud du domaine dialectal germanique) ; elle intervient dans les
parlers de l’Outre-Forêt où l’on dit Haus au lieu de Hüs, Eis
au lieu de Is et Leit au lieu de Litt.
D’après Cahier n°1 « Brève histoire linguistique de l’Alsace » édité par le CRDP
de Strasbourg, réalisé par André Weckmann avec la collaboration de Théodore Rieger et
revu par Arlette Bothorel-Witz et Dominique Huck (2eme édition)