Par Pascale Erhart, Enseignante au Département de Dialectologie alsacienne et mosellane de l'Université de Strasbourg
Publié le 21 novembre 2011 - Mis à jour le 15 octobre 2012
Auteur : Pascale Erhart, Enseignante au Département de Dialectologie alsacienne et mosellane (UdS)
Niveaux d'enseignement et de formation : Collège et Lycée
Couverture spatio-temporelle : Toutes périodes
Domaines disciplinaires et transversaux : Langues et Culture Régionales, Français
Resumé : Alors que la fête du village (Massti) bat son plein et que tout le monde est allé danser, deux vélocipédistes en tenue (Velocipedist und Velocipedistin) arrivent avec un pneu crevé et cherchent de l’aide auprès du garçon de l’auberge (Doni).
Celui-ci porte deux canards gagnés par Yerri, qui les a confiés à Seppl, qui les a confiés au Dr Freundlich, qui les a confiés au Maire, qui les a enfin confiés à Doni…
Propositions d'utilisation : L'étude des dialogues et des langues présentes dans cette scène conduit à considérer l'attitude des personnages et l'importance de la langue utilisée. Une approche des procédés comiques utilisés est également esquissée.
Mots-clefs : Théâtre / Dialecte / Allemand standard / Français
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Pièce de Gustave Stoskopf (1869-1944) qui, à partir de 1898, devient un auteur de théâtre comique et l’un des fondateurs du théâtre alsacien, dont l’œuvre s’inspire de l’occupation allemande. Il joue à merveille de ces situations ambiguës nées de la cohabitation entre Alsaciens et Allemands.
D’r Herr Maire (1898) est sa pièce fétiche. Elle met en scène un maire respectueux des autorités qui refuse sa fille à un honorable Doktor germain pour lui préférer un cycliste français. Elle sera applaudie par l’empereur lui-même, interdite par les nazis, et critiquée par les Français. Il y fait preuve d’une observation très fine des mœurs et des caractères.
15. AUFTRITT
Doni, ein Velocipedist und eine Velocipedistin von rechts
Velocipedist
Eh bien zut ! Voilà mon pneu qui est crevé ! Sont-ils bêtes ces paysans de mettre des clous dans leurs souliers, je ne comprends pas, on devrait leur défendre cela.
(Den Garçon erblickend, der die Enten möglichst den Blicken der Velocipedisten entzieht.) Heh, dites donc, garçon, mon pneu qui est crevé…
Doni
Hä ?
Velocipedist
Je dis : mon pneu qui est crevé, ne pourriez-vous pas nous soigner une voiture pour nous conduire à la gare.
Doni
Hä ? (Mit stärkerer Betonung)
Velocipedist
Si vous pouvez nous soigner une voiture ? – Ob Sie uns e Fuehr b’sorje könnte, um unser Velo an d’nächscht Isebahn ze führe ? – (Für sich.) Sont-ils bêtes !
Doni
Ae Hä !
Velocipedist
Isch diss alles, was ‘r franzöesch könne ?
Doni
Oui Messier !
Velocipedistin
Je meurs de soif !
Velocipedist
Bon… Mais d’abord apportez-nous deux bocs, nous mourons de soif !
Bringe Sie uns zwei Schöpple, m’r vergehn for Durscht, awer gschwind, Sie sotte schun wid’r do sin !
Doni
Zwei Schöpple ? Im Aeueblick ! Nur for e Moment !
(Drückt dem Velocipedisten die zwei Enten in die Hand, der sie ganz sprachlos nimmt ; Doni eilt davon.)
1. Quelles sont les langues présentes dans cette scène ? À quoi servent-elles ? qui parle quoi ?
2. Comment le Velocipedist se représente-t-il les paysans ?
L’exclamation Sont-ils bêtes !, présente deux fois dans cette scène, révèle l’écart entre deux modes de vie, celui du vélocipédiste citadin et des paysans villageois. La phrase Je ne comprends pas, on devrait interdire cela en est révélatrice : dans l’esprit du citadin, les sabots/souliers à clous sont inutiles en ville et dangereux pour les vélos, alors qu’ils sont nécessaires à la vie paysanne du village à l’époque.
Le vélocipédiste fait ainsi preuve d’une attitude hautaine et méprisante par rapport au mode de vie paysan, qu’il associe par ailleurs à la mauvaise maîtrise du français des villageois, représentés ici par Doni. Ce sentiment de supériorité se traduit par les ordres qu’il donne à Doni, awer gschwind, Sie sotte schun wid’r do sin !. Remarquons que ses ordres sont donnés en alsacien, ce qui lui assure de se faire comprendre, mais qui témoigne aussi de la bonne maîtrise du dialecte par le citadin (voir question suivante).
3. Le Velocipedist ne parle-t-il que français ? Doni ne comprend-il que l’alsacien ? Quels sont les rapports de chacun à ces deux langues ?
À la fin du XIXe siècle, la grande majorité de la population alsacienne parle un dialecte, comme Doni. Seule une partie de l’élite citadine/bourgeoise parle le français, qui est resté une langue de culture et un symbole de prestige après l’annexion à l’Empire allemand. La situation linguistique de l’époque peut être caractérisée par une opposition urbanité/ruralité, l’urbanité étant principalement rattachée à une couche sociale cultivée et aisée, et associée au français, tandis que la ruralité tend plutôt vers la conservation du dialecte. En effet, comme le souligne Dominique Huck (p.174), l’espace rural, représenté par le village est implicitement postulé par Stoskopf comme l’espace conservateur des traditions (voire de la tradition), or celui-ci commence à être ébranlé par des forces extérieures. Ce choix l’amène à englober les représentations qu’ont les ruraux et les habitants de la ville d’eux-mêmes et des autres, qu’elles soient clichés, stéréotypes ou constructions plus nuancées.
Cependant, le vélocipédiste, se rendant compte qu’il n’est pas compris par le garçon, est bien obligé de s’exprimer en dialecte, et de montrer par la même occasion qu’il maîtrise aussi cette langue. Il s’obstine cependant à continuer à parler en français, quitte à répéter ses phrases en alsacien, ce qui semble être pour lui un moyen d’affirmer sa supériorité.
Quant à Doni, il n’a probablement qu’une compétence limitée du français, avec lequel il n’a que peu de contacts dans sa vie quotidienne et dans son travail à l’auberge du village, où tout le monde parle a priori alsacien. Cette compétence finit par surgir dans l’échange, avec sa réponse enjouée Oui Messier, mal prononcée. Cela dit, on peut se demander si Doni ne feint pas de ne pas comprendre, pour contraindre son interlocuteur à s’exprimer dans la même langue que lui et le faire descendre de son piédestal…
4. Que pensez-vous de l’expression Si vous pouvez nous soigner une voiture ?
Cette expression est ensuite traduite par le vélocipédiste lui-même en alsacien : Ob Sie uns e Fuehr b’sorje könnte, autrement dit, le terme français adéquat serait procurer ou trouver une voiture, et non pas soigner qui correspond à un autre sens du verbe alsacien b’sorje (en allemand : besorgen).
Deux hypothèses peuvent expliquer cette mauvaise traduction :
5. Étudiez les procédés comiques de la scène
De manière générale, c’est le décalage entre deux modes de vie et deux langues qui provoque le rire dans cette scène.
Références :
HUCK, Dominique (1998) : D'r Herr Maire (1898) de Gustave Stoskopf : entre ethnologie et littérature : les Alsaciens en auto-représentation. In : Recherches germaniques, 28, p.163-190.
STOSKOPF, Gustave (1898) : D'r Herr Maire : Lustspiel in drei Aufzügen von G. Stoskopf. Gundershoffen : Jaggi-Reiss L (18e éd, 1935), 116 p.
Auteur : Pascale Erhart, Enseignante au Département de Dialectologie alsacienne et mosellane (UdS)
Niveaux d'enseignement et de formation : Collège et Lycée
Couverture spatio-temporelle : Toutes périodes
Domaines disciplinaires et transversaux : Langues et Culture Régionales, Français
Resumé : Dans cet extrait de la revue du Barabli Un wenn’s Katze räjt de 1947, on fait le procès de Lämpele, lampiste analphabète, personnage plutôt minable, et rabatteur occasionnel du Gauleiter Wagner
Propositions d'utilisation : Étudier les formes d'humour utilisées, la manière dont la critique se dissimule derrière les mots, les expressions et la langue employée…
Mots-clefs : Théâtre / Dialecte / Allemand standard / Français
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Pièce de Germain Muller, né le 11 juillet 1923 à Strasbourg et décédé en 1994. En novembre 1946, Germain Muller crée à Strasbourg le cabaret satirique De Barabli qui, en 42 ans d’activité, a brocardé de nombreux hommes politiques régionaux et nationaux, a mis le doigt sur les dysfonctionnements de l’administration, sur les modes et les snobismes. Germain Muller est mort à Strasbourg en automne 1994.
En complément, vous pouvez vous reporter aux textes présentés dans la version numérique de Allerlei, florilège de littérature alsacienne :
Un rappel du contexte de l’Alsace sous l’annexion au IIIe Reich ainsi que de celui de l’épuration, qui prend un sens particulier dans la région, s’impose avant l’étude du texte.
En violation de toutes les conventions internationales, le régime nazi annexe de fait l’Alsace et la Moselle au territoire allemand, par un décret de Hitler du 18 octobre 1940, dont il interdit la publication. À partir de 1940, les trois ex-départements français ne forment plus une entité propre, comme pendant la précédente annexion : le Bas-Rhin et le Haut-Rhin sont rattachés au pays de Bade (Gau Baden-Elsaß), tandis que la Moselle est officiellement rattachée à la Sarre (Gau Westmark). Ces deux Gau sont placés sous l’autorité d’un Gauleiter - Robert Wagner pour l’Alsace et Joseph Bürckel pour la Moselle - dont les pouvoirs sont considérables et ne relèvent que du Führer en personne. Ils mettent la région au pas, par le biais d’un intense processus de nazification, qui aboutit à l’incorporation de force de 130 000 jeunes Alsaciens et Mosellans dans l’armée allemande à partir de 1942.
En 1945-1946, dans le contexte du Procès de Nuremberg et de la dénazification, le Gauleiter Wagner est jugé à Strasbourg puis fusillé en août 1946 ainsi que trois autres dignitaires nazis. Dans la société civile, l’épuration judiciaire est mise en place. Elle s’exerce par l’entremise de tribunaux d’exception : la Haute cour de justice, les cours de justice, et les chambres civiques pour les actions non réprimées par le code pénal.
Le premier nom complet des chambres civiques, créées par l’ordonnance du 26 août 1945, fut sections spéciales des Cours de justice. Leur but est de juger les personnes dont les actions (de collaboration) ne sont pas punissables pénalement. Elles condamnent notamment à l’indignité nationale et punissent de dégradation nationale (exclusion des listes électorales, notamment).
Pour l’Alsace, l’épuration est une période douloureuse et malsaine, car il est difficile de distinguer clairement ceux qui ont collaboré de manière forcée et ceux qui l’ont fait volontairement.
Président : Accusé, levez-vous !
Lämpele : Ich ?...
Président : Vos noms, prénoms, âge et qualités ?
Lämpele : Hein ?
Président : Vos noms, prénoms, âge et qualités ?
Lämpele : Ah… Lämpele, Charles Antoine
Président : Gebore ?
Lämpele : Ja…
Président : Wo ? Wenn ?
Lämpele : Am… …in Lamperthe… Employé bie de Reichs…SNCF
Président : Charles Antoine Lämpele, vous savez ce qu’on vous reproche ?
Lämpele : Ja…ja…
Avocate : Monsieur le Président, mon client se rend parfaitement compte
Président : J’aimerai autant qu’il réponde lui-même. Sie wisse wàs mer Ihne vorwierft. Hàn sie nix ze saawe ?
Lämpele : (fait non de la tête)
Président : Gàr nix hàn Sie uns ze saawe.
Lämpele : Hàlt, doch, doch… Ich hàb auf höheren Befehl gehàndelt.
Président : So, sie hàn also ùff höheren Befehl gehàndelt….Sie hàn alli ùff höheren Befehl gehàndelt. De Blockleiter ùff höheren Befehl vom Zelleleiter, de Zelleleiter ùff Befehl vom Ortsgruppenleiter, der Ortsgruppenleiter ùff Befehl vom Kreisleiter, un so geht’s rùff bis zuem Hitler.
Lämpele : Un zeller hàn er àlleweij nit.
Président : Wäre Sie net frech ?
Lämpele : Ich hàb auf höheren Befehl ghàndelt.
Président : Denne Sàtz will ich nemmi heere. Hàn Sie mich verstànde, denne Sàtz welle mer nemmi heere !
Lämpele : Jo, ich saa Ehne jo nùmme wàs des Màmsellele gsaat het, wàs ich Ihne saawe soll.
Président : So, Ehr Anwàlt het Ehne gsaat, dàss Sie des saawe selle. (à l’avocate). C’est pas très fort.
Avocate : C’est l’expression consacrée par la pratique, Monsieur le Président. Par la pratique et par l’usage.
Président : Justement, on en a abusé.
Lämpele : Ja, Herr President, Sie muen jetzt dem Màmsellele nit bees sin, sie meint’s jo nùmme guet mit m’r.
(…)
Président : Sie hàn also ùff höheren Befehl ghàndelt ?
Lämpele : Ja… Jo, wàs het m’r denn àndersch welle màche ?
Président : Résistance, mon cher…
Lämpele : Ja, wisse Sie, Herr President, von zellen het m’r vor de Libération net viel gheert…
Président : Silence, ou je fais évacuer la salle.
HIRLÉ Ronald et FAUST Dinah. Le Barabli, histoire d’un cabaret bilingue.
Strasbourg: Éditions Hirlé, 2007, p. 39-40.
(Droits réservés).
1. Quelles sont les formes d’humour présentes dans cet extrait ?
Le décalage entre le sérieux de la situation (une chambre civique) et l’attitude de l’accusé, qui semble totalement dépassé, peut constituer un premier ressort comique. Lämpele ne comprend pas les questions (Hein ?) ou répond à côté (Gebore ? Ja : ce n’est évidemment pas la réponse attendue). Il appelle également son avocate dis Màmsellele, retenant avant tout le genre de la jeune femme plutôt que son métier, ce qui porte à croire que Lämpele ne comprend pas vraiment son rôle (ou fait semblant de ne pas comprendre).
Le comique de répétition est également présent puisque l’accusé répète inlassablement la phrase soufflée par son avocate ich hab auf höreren Befehl gehandelt, qui lui revient d’un coup, ce qui montre qu’il ne fait que répéter ce qu’on lui a dit de dire sans forcément comprendre.
La principale forme d’humour dans ce texte est celle de l’humour-ironie, forme spécifiquement alsacienne, définie par A. Wackenheim comme une commutation permanente qui occupe l’espace entre l’humour et l’ironie, elle-même une forme très évoluée et raffinée de l’humour consistant à dire le contraire de ce que l’on pense (Wackenheim, 1976 : 62). Cette forme n’est pas sans rappeler celle de l’humour anglais, forme d’humour du faible, qui implique tolérance et acceptation du fait établi (par la force). Dans ce sens, cette forme particulière est révélatrice d’une absence d’espoir qui n’est pas du désespoir, donne une note dépressive à l’humour alsacien que G. Muller appelait alémanique (Wackenheim, 1976 :62).
Dans cet extrait, Germain Muller fait appel à cette technique, à plusieurs reprises, par le biais des remarques insolentes et provocatrices de Lämpele en réponse au Président.
Lämpele rompt par exemple l’effet de la longue tirade de ce dernier à propos de l’absurdité de l’expression auf höheren Befehl, en lui rappelant que le principal responsable des horreurs de la guerre, Hitler lui-même, a échappé à la justice, en disant : Un zeller hàn er àlleweij nit. De la sorte, l’auteur souligne l’absurdité de la situation dans laquelle se trouve l’accusé.
Germain Muller ironise aussi sur le rôle de l’avocate, en faisant dire à Lämpele, s’adressant au Président : Sie muen jetzt dem Màmsellele nit bees sin, sie meint’s jo nùmme guet mit m’r (il ne faut pas en vouloir à cette demoiselle, elle ne veut que mon bien), alors que tout porte à croire que celle-ci cherche surtout à se faire valoir professionnellement, et ne se soucie peut-être pas tant que ça du sort de son client.
Wackenheim (1976 : 100) souligne également la fonction de rire-catharsis de cet humour spécifiquement dialectal, qui est en quelque sorte un rire de purification, thérapeutique. Il s’agit en selon lui d’un acte de rejet de sentiments mal acceptés, mal tolérés, dont nous ne pouvons nous débarrasser par des opérations mentales conscientes, de sorte que le rire devient une opération de dédramatisation. Pour Germain Muller, il s’agit ici de tourner en dérision les situations parfois absurdes auxquelles a mené l’épuration, et aussi de réconcilier les Alsaciens avec cette partie difficile de leur histoire. En les faisant rire d’eux-mêmes, qu’ils aient été juges ou victimes, il leur met du baume au cœur.
2. Quelle est la critique qui se dissimule derrière ces aspects comiques ?
Ce sketch est à l’évidence un texte satirique, c’est-à-dire une critique qui se moque de son sujet, en l’occurrence celui de l’épuration. En effet, Germain Muller dépeint et critique l’absurdité de la situation dans laquelle se trouve l’Alsace au moment de l’épuration : on fait un procès à ce Lämpele qui s’est fait enrôler plus ou moins par hasard comme rabatteur du Gauleiter Wagner. On apprendra d’ailleurs plus loin dans le sketch qu’il a d’abord agi non pas sur ordre du Gauleiter mais de sa femme !
L’auteur dénonce en quelque sorte le fait que l’on s’attaque au petit, à défaut de pouvoir s’en prendre au plus grand, dans la mesure où beaucoup d’Alsaciens engagés dans la collaboration, et dont la responsabilité était nettement plus importante, ont pris la fuite et n’ont pu être jugés. D’ailleurs, le choix du nom même est un aspect de la critique : Germain Muller transpose le lampiste français en l’appelant Lämpele pour bien montrer que c’est le lampiste, celui qui est tout au bas de l’échelle de responsabilité, qui est mis en accusation, et non les véritables responsables.
D’une certaine manière, Germain Muller fait le procès de la chambre civique elle-même, dans la mesure où il rappelle la difficulté de juger les actions des Alsaciens durant l’Annexion, en faisant demander à Lämpele : Ja… Jo, wàs het m’r denn àndersch welle màche ? (Qu’aurions-nous dû/pu faire d’autre ?).
Alors que le Président lui reproche de ne pas s’être engagé dans la Résistance, Lämpele souligne la malhonnêteté de cet argument en rappelant que la Résistance, clandestine par définition, était aussi limitée en Alsace par l’intensité des contrôles. En disant, à la fin de l’extrait : Ja, wisse Sie, Herr President, von zellen het m’r vor de Libération net viel gheert… (Vous savez, on n’en a pas beaucoup entendu parler) à propos de la Résistance, Lämpele provoque un tollé. Là encore, Germain Muller joue sur le décalage des attitudes face aux actions des Alsaciens en fonctions des périodes de guerre et d’après-guerre.
Selon Germain Muller, cette critique est nécessaire et salutaire. La critique fait d’ailleurs partie selon lui des missions du théâtre, qui ne doit pas être entravée par le pouvoir et la censure. En effet, selon lui toujours, le droit à la critique est non seulement un des droits sacrés de l’homme ; il est aussi une hygiène de l’État (HIRLÉ & FAUST, 2007 : 34).
3. Quelles sont les langues employées dans cet extrait ? À quoi renvoie leur utilisation ?
On repère trois variétés : le français, le dialecte alsacien, ainsi que l’allemand standard.
Lämpele, auparavant soumis aux autorités nazies et désormais au tribunal français, est donc pris entre deux autorités linguistiques, mais dont ni l’une ni l’autre n’est vraiment sa langue, ce qui explique sa confusion lorsqu’il répond à propos de son activité : Employé bi de Reichs… SNCF. Le passage d’un code à l’autre montre que peu importe finalement l’autorité à laquelle il est soumise, il se trouve toujours dans une position de faiblesse, de dominé.
Références :
HIRLÉ Ronald et FAUST Dinah. Le Barabli, histoire d’un cabaret bilingue. Strasbourg : Éditions Hirlé, 2007.
WACKENHEIM, Auguste. Rires et sourires en Alsace et ailleurs. Strasbourg : Culture alsacienne, L'Alsatique de poche, 1976.