Par la MAERI
Publié le 1er octobre 2010
Cet écrivain critique n’a cessé de réfléchir à son rapport avec la langue natale, à la nature du parler alsacien et plus généralement à la situation alsacienne. (Adrien Finck)
Claude Vigée
Portrait anonyme, v. 1960
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 666922)
Claude Vigée, né Claude Strauss à Bischwiller en 1921, est issu d’une famille juive. Sa première langue fut le dialecte alsacien. L’enseignement obligatoire du français pasteurisé, correct mais tout à fait standard à l’école a conduit pour lui à la dévalorisation de sa langue natale. Avec son grand-père maternel, vers 1905, il apprend à parler le judéo-alsacien dont il se servira pour exprimer, comme ses aïeux le faisaient, des nuances de pensées et des sentiments autrement inexprimables. Lors de ses études au lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg, il s’essaie à la poésie.
Mais il est bientôt contraint par la guerre de quitter l’Alsace pour Toulouse, où il étudie la médecine. Là, il est profondément choqué par un article de Paris-Soir intitulé Le Statut des Israélites. Les Juifs français sont formellement déclarés hors-la-loi par le gouvernement légal de l’État français. Il participe clandestinement à l’organisation de la résistance juive (Armée juive) et ajoute à son patronyme le nom de Vigée avec lequel il publiera ses poèmes pendant la seconde guerre mondiale.
La suite des événements le conduit à s’exiler aux États-Unis. Il y apprend l’anglais, fait son doctorat en lettres et enseigne la littérature française dans diverses universités américaines. En 1960, il décide de quitter la sécurité de la vie américaine avec sa femme alsacienne pour enseigner à l’université hébraïque de Jérusalem. Aujourd’hui Claude Vigée vit en Israël et revient régulièrement dans son Alsace natale.
Le cahier Langue et Culture Régionales n°14 propose aux enseignants et aux élèves de l'option LCR, mais également à un public élargi, de (re)découvrir, en 57 pages, l'écrivain Claude Vigée par le biais d'une sélection de textes originaux fortement liés au parcours de son auteur. Le choix de ces textes est ainsi opéré selon plusieurs périodes de la vie de l'auteur : "une enfance en Alsace", "l'exil", "le retour" et "fidélité alsacienne". Des notes, suggestions et éléments bibliographiques, en fin d'ouvrage, permettront d'approfondir l'étude des textes présentés.
Un texte d'Adrien Finck - réédition numérique du cahier Langue et Culture Régionale n°14.
Niveau(x) : Collège, lycée, grand public.
Édition : CRDP de l'académie de Strasbourg.
Ce document est librement téléchargeable. (PDF - 57 pages - 10,11 Mo)
Hinter versteinertem Bach
Die starren Winterweiden.
Das Warten ohne Welt, das wir erleiden,
Ist das noch wirklich Leben ?
Wollen wir lebend das Leben meiden ?
O tote Welt der Freuden
Nach der wir trostlos streben...
Hier wird uns nicht einmal der Tod zum Scheiden.
Claude Vigée, Le Soleil sous la mer, 1972
Dort unde
Bie Dalhunde
Do griènt e Wiidebaam:
Dort het min Herz sich gfunde
Wie üss’eme düschdre Draam.
Uff mini Schulder laisch din Kopf,
Un miner Fénger drillt sich
Wie d’Sunn um dine Zopf!
Claude Vigée, Du bec à l’oreille, 1977
(…) Sur cette terre aride où, dans le sel des larmes,
Ne descendit jamais une goutte de pluie,
Le reste de l’exil vient comme la rosée.
Après tant d’abandons, de misère et de ruines,
Ce pays est vivant par la grâce d’un peuple,
Où régnèrent mille ans déserts et pestilence,
Manières de cailloux, marécages mortels,
Et cirques décharnés dont le calcaire est nu
Comme les os blanchis sur le crâne édenté.
Quel monde célébrer, langue de notre perte ?
Quel triomphe vêtir de la pourpre des ruines ?
Haut dans le froid, le linge des nuages
Claque sur la maison dans l’orage d’hiver.
Vent de Jérusalem, tu cours dans la montagne
Comme le grondement du jour qui doit venir. (…)
Claude Vigée, Le Soleil sous la mer, 1972