Publié le 7 mars 2011
Les cartes rassemblées ici, réalisées spécifiquement pour l'enseignement, traitent de l'histoire de l'Alsace, depuis les temps préhistoriques jusqu'à l'époque contemporaine.
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Carte Marie-Georges Brun, 2010
Cette carte, qui n’est évidemment pas exhaustive, montre les sites les plus importants découverts et fouillés à ce jour, sachant que de nombreux chantiers de fouilles sont en cours.
Le terme Paléolithique correspond à la période la plus ancienne de la présence de l'homme sur la terre. Ce terme recouvre la totalité de l'ère quaternaire qui débute aux environs de 1,8 million d'années, période à partir de laquelle se manifestent les premières détériorations climatiques qui s'accentueront pour donner une suite de périodes de glaciations. Le Paléolithique commence en Europe aux environs de 1,8 million d'années et se termine vers 8 200–8 000 avant J.-C. avec la glaciation de Würm. À partir de 8 200 débute la période interglaciaire appelée Holocène, pendant laquelle se succèdent le Mésolithique, le Néolithique et les Âges des métaux (cuivre ou chalcolithique, bronze, fer).
Le Paléolithique est subdivisée en trois périodes : le Paléolithique ancien (1,8M à 300 000 ans), le Paléolithique moyen (300 000 à 35 000 ans) et le Paléolithique supérieur, auquel est associé l’Épipaléolithique (35 000 à 8 500). À ces phases correspondent à peu près les phases de l’hominisation et de l’évolution humaine : Homo erectus au Paléolithique ancien, Néandertal au Paléolithique moyen et Homo Sapiens au Paléolithique supérieur. Il est bien entendu que les limites de ces périodes sont plus ou moins marquées et restent très indicatives : plus elles ont proches de notre ère, plus elles se précisent.
Les industries du Paléolithique sont rares en Alsace, dispersées dans les énormes accumulations de lœss, caractéristiques d'une grande partie de la vallée rhénane. La série la plus continue, quoique très pauvre, provient des différentes lœssières d'Achenheim, près de Strasbourg, le seul site paléolithique important de l'Alsace. Antérieurement à la période néolithique, l’Alsace n’est pas une zone de peuplement préhistorique important, étant donné les conditions climatiques et géographiques assez malsaines à l’époque. C’est essentiellement un territoire de passage.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Cette carte, non exhaustive, montre les sites les plus importants découverts et fouillés à ce jour. Elle ne tient pas compte de la vingtaine de chantiers de fouilles menées actuellement par l’INRAP sur les chantiers alsaciens de la LGV.
À la différence du Paléolithique, le Néolithique alsacien, représenté par d'abondantes trouvailles de sépultures et de restes d'habitats, est particulièrement riche.
La néolithisation de l’Alsace a été effectuée par un courant de colonisation progressant le long de la vallée du Danube, véhiculant la culture à céramique linéaire connue aussi sous le nom de Rubané. Le front de colonisation de ces Danubiens progresse d’un kilomètre par an en moyenne. Ce déplacement d’est en ouest s’effectue en fait par bonds, de génération en génération, et implique un accroissement démographique important et une division des communautés, dont un petit groupe se détache et va fonder, vingt à trente kilomètres plus loin, un nouveau village. Aussi, en France, le Rubané d’Alsace est-il le plus ancien. Il semble de plus que, étant donné la présence de deux styles céramiques distincts, deux courants différents du Rubané aient colonisé l’Alsace : celui venant du Bade-Wurtemberg, qui a colonisé la Haute-Alsace, et celui venant des vallées du Neckar, du Main et du Rhin, la Basse-Alsace.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Cette carte n’est évidemment pas exhaustive mais elle s'attache à montrer les sites les plus importants découverts et fouillés à ce jour. Elle ne tient notamment pas compte de la vingtaine de chantiers de fouilles menées actuellement par l’INRAP sur les chantiers alsaciens de la LGV.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Au début du deuxième millénaire apparaissent le cuivre puis le bronze, importés au début par des marchands ambulants venus du sud de l'Europe. On distingue cette période de la précédente grâce aux documents écrits appartenant à des peuples voisins déjà entrés dans l'Histoire. Ce sera donc la Protohistoire.
L'invasion, autour de -1500, des Achéens en Grèce correspond à l'apparition du cycle mycénien et des tablettes de linéaire B, d'origine indo-européenne. C'est une nouvelle population, peut-être originaire du sud de la Russie, qui s'étend aussi bien vers l'ouest que vers l'est. Ce terme d'invasion ne signifie pas massacre, destruction totale, supériorité physique. II s'agit bien souvent de diffusion d'une langue, d'une technologie plus avancée, d'un système de pensée religieuse et politique.
Vers -1200, le pourtour de la Méditerranée est affecté de profonds bouleversements. La date en est donnée par la relation de la victoire en 1195 de Ramsès III sur les peuples de la mer dans le delta du Nil. II s'agit d'une nouvelle poussée attribuée par certains historiens aux Indo-Européens, qui aurait eu pour conséquence l'apparition des Doriens en Grèce, et qui précipite, en Europe occidentale, les populations d'est en ouest. On s'en rend compte, sur le plan archéologique, par la présence de sépultures dites des Champs d'Urnes. Ce sont des nécropoles de tombes à incinérations, où les cendres sont placées dans des urnes de céramique. Leur datation est de plus en plus récente à mesure qu'on se dirige vers l'ouest.
Aux environs de 750 avant J.-C., c'est-à-dire à la fin de l'Âge du Bronze, ces bouleversements ont provoqué d'immenses perturbations et surtout un très grand brassage de populations. Le bronze est le seul métal utilisé, des micro-civilisations sont fréquentes, mais reliées entre elles par une uniformité de techniques (art du métal, épées, épingles...), et surtout une absence presque totale de tombes de chefs, qui atteste une société relativement égalitaire. La forêt de Haguenau en fournit un bon exemple.
C'est à ce moment là que l'on trouve toute une série de sépultures, depuis la Hongrie où elles sont les plus anciennes, jusqu'en Languedoc, où elles sont plus récentes, tout à fait différentes de celles de la période précédente, et qui présentent trois caractères principaux : le retour à l'inhumation, la présence de harnachements de chevaux et celle de grandes épées en fer, accompagnées parfois de situles (seaux), de rasoirs ou de couteaux du même métal : c'est donc maintenant l'Âge du Fer.
Ainsi apparaît une nouvelle civilisation, où les porteurs de grande épée de fer, combattant à cheval, forment une caste de chefs, probablement les equites dont parle César, et qui va peu à peu se constituer en féodalité. Cette civilisation est celle des Celtes : il ne s'agit donc pas d'une nouvelle population, mais d'un nouveau brassage, après tous ceux déjà connus, et surtout d'une nouvelle culture, de nouvelles techniques (monte du cheval, fer, char) et d'un nouveau mode de vie (oppidum, féodalité, servage, mercenariat).
Les archéologues donnent à cette période qui va durer jusqu'à la conquête de la Gaule par César le nom d'Âge du Fer. Les cultures qui la caractérisent dans l'Europe tempérée sont successivement celle de Hallstatt (-750 à -480), site éponyme autrichien où une importante nécropole a été découverte, et celle de La Tène (-480 à -52), site éponyme suisse près du lac de Neuchâtel.
Tels sont les Celtes à l'origine, et l'étude détaillée de leur évolution depuis cette date jusqu'à la conquête de la Gaule par César permet de préciser les contacts entre ces peuples du nord des Alpes avec ceux du pourtour de la Méditerranée. L'Alsace fait partie intégrante du noyau à partir duquel cette civilisation s'est développée.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
La grande période d’expansion des Celtes en Europe (Grande-Bretagne, Grèce, Italie) s’achève en 225 avant J.-C., lorsque les Romains, après des décennies de lutte, finissent par vaincre définitivement les Celtes en Italie et à les fixer au nord de la péninsule (Bataille de Télamon). De nombreux Celtes repassent les Alpes et retournent dans leur région d’origine. Ainsi des regroupements de populations surgissent là où les Romains s'installeront plus tard (Strasbourg, Brumath) ou sur le rebord des terrasses de lœss, dont l'exploitation agricole se poursuit. Le sud de Mulhouse est également fortement peuplé, au cœur de ce passage de tout temps important, entre la Suisse, l'Allemagne du sud et la France. C'est à ce moment-là que se fondent les agglomérations dont les noms sont tous celtiques : Saletio (Seltz), Brocomagus (Brumath), Argentorate (Strasbourg), Helvetum (Ehl), Argentovaria (Horbourg), Cambete (Kembs)...
On assiste, jusqu'à la fin du IIe, à une réorganisation de tout le domaine celtique, des Pyrénées à l'Autriche. L'Italie est désormais fermée à la puissance celtique et les Romains, maîtres de l'Italie et de l'Espagne, leur ennemi carthaginois vaincu, contrôlent désormais les voies commerciales de l'axe nord-sud, comme la route de l'ambre. Les Celtes perdent donc non seulement le monopole des relations économiques avec les Étrusques et les pays méditerranéens, mais cessent aussi le mercenariat et les expéditions militaires.
Tout leur territoire voit la création de nouvelles places fortes, ou la réutilisation des anciennes. C'est avant tout pour mettre à l'abri des marchandises, créer des entrepôts et permettre ainsi une activité artisanale très développée (charrons, tonneliers, métallurgistes, potiers, émailleurs et verriers) plutôt que dans un réflexe de défense contre les Germains. Une politique intérieure florissante entraîne la diminution de l'importance de la classe militaire.
L'archéologie locale permet de déterminer les peuplades qui vivent en Alsace au Ier siècle av. J.-C. Les Médiomatriques occupent le Bas-Rhin, les Séquanes le Haut-Rhin, les premiers primitivement entre Marne et Meuse, repoussés vers l'est par les Belges, les seconds, vassaux d'abord des Arvernes qui disputent aux Boïens, Celtes danubiens, les fonds d'orpaillage du Rhin, puis des Eduens. Sur les Vosges, on trouve les Leuques et, au nord de la forêt de Haguenau, les Trévires.
Le coude du Rhin voit l'arrivée des Rauraques, originaires de la Ruhr et, au moment des incursions d'Arioviste, les Triboques s'installent dans un territoire limité par Schirrhein, Brumath et Schweighouse. Les sépultures triboques sont caractérisées par le rite de l'incinération et le mobilier placé avec les cendres dans une urne de céramique. La prospection montre que les places fortes celtiques ont été nombreuses, même si leur étude scientifique n'a pu être réalisée, faute de moyens. Quoiqu'il en soit, grâce aux fouilles archéologiques, on connaît les stations de La Bure et de la pierre d'Appel près de Saint-Dié, le Münsterhügel de Bâle et le Donnerberg, dans le sud du Palatinat.
En Alsace même, on peut évoquer sans risque d'erreur le col de Saverne et ses environs (Heidenstadt près d'Ernolsheim), le Mont-Sainte-Odile et le Maimont près de Niedersteinbach, à la frontière du Palatinat.
Si l'on tient compte des habitats civils, on s'aperçoit que l'occupant romain ne négligera pas l'armature celtique ; il établira ses agglomérations là où elles se trouvaient auparavant. Mais face à l'ennemi germain, il installera aussi des castella le long du Rhin, à Bâle, Kembs, Biesheim-Breisach, Rhinau ou Gerstheim, Strasbourg, Drusenheim, Seltz.
Les Médiomatriques
Les Médiomatriques sont une tribu celte établie dès le IVe siècle avant J.-C. au nord-est de la Gaule, entre le Rhin et la forêt de l’Argonne. Ils ont pour voisins, au nord, les Trévires et, au sud, les Leuques et les Séquanes. Le cœur de leur territoire se situe dans l’actuelle Moselle. En Alsace, leur territoire s’étend jusqu’au Rhin, entre la forêt de Haguenau et le Landgranben.
Leurs principaux oppida sont Divodurum Mediomatricorum (Metz), Pierrevillers-Rombas (nord de Metz), Vitry-sur-Orne (Sud de Thionville) et le Mont-Hérapel (près de Forbach).
Le nom Médiomatrique signifie ceux au milieu des Eaux-Mères, sans doute car ils étaient situés entre les rivières Matrona (Marne) et Matra (Moder), portant le nom de la déesse mère. Au moment de l’invasion des confédérés germains d’Arioviste, les Médiomatriques sont contraints de quitter la Basse-Alsace où s’installent les Triboques : les Vosges centrales et du nord font désormais office de frontière.
En 52 avant J.-C., ils participent au soulèvement des Arvernes et envoient quelques milliers d’hommes au secours de Vercingétorix. Leur capitale, Metz, joue sous l’empire romain un important rôle de centre militaire et stratégique.
Agriculteurs-éleveurs, les Médiomatriques s’enrichissent particulièrement en exploitant le sel dans la vallée supérieure de la Seille et en en faisant commerce. Pour pratiquer leurs échanges, ils frappent des monnaies de type Alexandre. Les plus anciennes datent du IIe siècle avant J.-C. La société médiomatrique repose sur une oligarchie de chevaliers et grandes familles commerçantes et une organisation sociale très hiérarchisée basée sur le travail des paysans et de nombreux esclaves.
Les Séquanes
Les Séquanes sont une tribu celte de l’est de la Gaule installés depuis le IVe siècle avant J.-C. entre la Saône (alors appelée Sequana, qui signifie en celte la bonne source, Su-ik-wana) et la ligne de crête du Jura, et jusqu’à la limite du Landgraben alsacien (pratiquement tout le Haut-Rhin actuel). Les Séquanes contrôlent donc un vaste territoire comprenant la Franche-Comté, la Bresse, le Jura, les Vosges du sud et le Sundgau.
Leur capitale est Visontio (Besançon) et leurs places fortes Epomanduodurum (Mandeure, près de Montbéliard), Segobodium (Seveux, au nord-ouest de Besançon) et Luxovium (Luxeuil). Les Séquanes ont pour voisins, au nord, les Leuques et les Médiomatriques, à l’est les Helvètes, et à l’ouest et sud, les Eduens, avec lesquels ils sont en lutte perpétuelle pour l’hégémonie en Gaule celtique, d’autant que vers 120 avant J.-C. Rome avait mis fin à la grande puissance celte, celle des Arvernes. Dans cette lutte contre les Eduens, les Séquanes obtiennent l’alliance des Arvernes et la neutralité de Rome. Mais ils sont vaincus par les Eduens. Ils font alors appel, vers 70, au chef d’une coalition Suève d’outre-Rhin, Arioviste, dont l’objectif était de s’installer sur la rive gauche du Rhin, et dans un second temps de progresser vers le sud. Déjà d’ailleurs, les Triboques, qui font partie de la coalition suève, s’étaient installés en Haute-Alsace.
Avec l’aide des Suèves, Séquanes et Arvernes défont les Eduens. Pour prix de son alliance, Arioviste réclame alors une partie du territoire Séquane et s’installe en force en Haute-Alsace, aux environs de 63-62.
Séquanes, Arvernes et Eduens se réconcilient alors et décident de rejeter Arioviste de l’autre côté du Rhin. Mais ils sont défaits à Admagetobriga (Magstatt ?) : cette victoire ouvre à Arioviste un vaste territoire au sud de l’Alsace… et aiguise ses ambitions. Rome s’émeut alors et contient par la négociation Arioviste à la Porte de Bourgogne. Mais, vers 58, les germains Harudes passent le Rhin et poussent Arioviste à s’engager dans la vallée de la Saône. Au même moment, les Helvètes, eux aussi sous la pression des Germains, engagent une migration vers le sud-ouest de la Gaule où ils ont l’intention de s’installer. Le druide éduen Diviciacus en appelle alors à Rome. L’ambitieux Jules César, nommé proconsul de la Gaule, choisit le prétexte de cette migration pour déclencher la guerre. Il bat les Helvètes en juin 58 à Bibracte (ouest d’Autun), les refoule à l’est du Jura, puis part vers le nord, s’empare du pays des Séquanes en occupant Besançon et vainc Arioviste et les Suèves en septembre sur l’Ochsenfeld. Ses légions passent l’hiver chez les Séquanes, désormais soumis aux Eduens, les Gaulois les plus fidèles à César. César installe les Rauraques sur le Haut-Rhin, aux dépens des Séquanes.
Lorsque les Arvernes, fédérés par Vercingétorix, entrent en révolte contre César, les Séquanes entrent dans l’alliance, alors que les Eduens restent beaucoup plus prudents. Ils fournissent plus de 10 000 hommes à l’armée gauloise qui tente de briser le siège d’Alésia en 52. Vaincus, ils sont progressivement romanisés.
Les Rauraques
Les Rauraques sont une tribu celte établie à l’origine dans la vallée de la Ruhr (Raura), sur le cours supérieur du Rhin. Entre 120 et 105 avant J.-C., toute la Rhénanie en en proie à de sérieux troubles provoqués par la migration des Cimbres et des Teutons qui vont traverser une grande partie de l’Europe occidentale avant d’être anéantis par les Romains de Marius. Ces bouleversements poussent les Rauraques à quitter leur pays d’origine : ils s’installent sur l’extrême nord du territoire des Séquanes (Sundgau) et dans le nord-ouest de la Suisse actuelle (coude du Rhin).
En 58 avant J.-C., menacés directement par les Suèves et les Harudes, ils participent, aux côtés des tribus helvètes, à la grande tentative de migration vers le sud-ouest de la Gaule, mais sont défaits par César à Bibracte et refoulés sur leur territoire d’origine.
Après la victoire de César sur Arioviste, les Romains les installent comme auxiliaires sur l’ancien territoire des Séquanes en Alsace, l’actuel Haut-Rhin, et sur tout le nord-ouest de la Suisse. Avant la colonisation romaine, leur place forte principale se situait près de Bâle. Sous la domination romaine seront fondées Augusta Rauricorum (Kaisersaugst), en 43 avant J.-C. par Lucius Munatius Plancus, Argenluaria (Artzenheim), Argentovaria (Horbourg) et Basileia (citée pour la première fois en 374).
Les Leuques
Les Leuques sont une tribu de la Gaule du nord-est installés dans une région délimitée au sud par la Seine, à l'ouest par la Marne et à l’est par la crête des Vosges. Ils se sont sans doute installés dans la région en même temps que les deux autres grandes tribus de la région, Médiomatriques et Trévires, aux confins des Ve-IVe siècles avant J.-C.
Les grandes cités leuques sont l’oppidum de Boviolles (près de Ligny en Barrois, Meuse), capitale des Leuques au moment de la conquête de César (Les Romains développeront à proximité la grande cité de Nasium – Naix-aux-Forges), Tullum, l’actuelle Toul, les oppida de la colline de Sion et de La Bure près de Saint-Dié, Essey-lès-Nancy, Sorcy, Gourzon, à la limite du territoire séquane.
La société leuque est divisée en trois classes sociales bien distinctes : le clergé avec ses druides très influents, l’aristocratie guerrière et le peuple avec ses paysans et artisans. Le commerce tient une grande importance dans l’économie : il est basé principalement sur le sel et l’étain, et les échanges se font principalement avec les Grecs et les Romains. Contrairement aux Médiomatrique, les Leuques sont amis de Rome dès avant la conquête de César. Lors de l’invasion des tribus germaniques aux ordres d’Arioviste, les cités leuques se rangent naturellement du côté de Rome et fournissent à César blé et hommes. Rome les considère donc comme alliés et leur accorde une grande autonomie. La culture romaine n’aura aucun mal à pénétrer les cités leuques : le site de Grand, dans les Vosges, est un bel exemple de cette romanisation.
Les Trévires
Les Trévires forment la tribu celte la plus puissante de l’est de la Gaule (Luxembourg, Ardennes, vallée inférieure de la Moselle…), où ils sont installés depuis le Ve siècle avant J.-C. En Alsace, ils sont installés jusqu’à environ 60 avant l’ère chrétienne sur un petit territoire, l’actuel Outre-Forêt, au nord de la forêt de Haguenau.
Leur première capitale se trouvait à Tieltelberg (au nord-est de Longwy). Elle sera transférée à l’époque gallo-romaine à Augusta Treverorum, l’actuelle Trèves. Leurs autres places fortes sont Wallendorf (Sud-ouest de Bitburg), le Donnersberg (nord de Kaiserslautern), le Martberg (Mons Martis) sur la Moselle (Cochem) et le célèbre Hunnenring à Otzhausen (sud-est de Trèves).
Les Trévires sont essentiellement des agriculteurs-éleveurs. Un bas relief trévire montre qu’ils avaient inventé une moissonneuse poussé par des animaux. Ils ont la réputation d’excellents éleveurs de chevaux.
Bousculés par l’invasion des Suèves confédérés par Arioviste dans les années 70-65 avant J.C., les Trévires refluent vers le nord-ouest, abandonnant aux Némètes le nord de l’Alsace. Lorsque César intervient en Gaule, ils se rangent du côté de Rome et servent d’auxiliaires de cavalerie. Mais en 54, suite à des dissensions internes, ils se retournent contre César qui mettra deux ans à les soumettre.
À l’époque romaine, Trèves devient une ville très importante de la partie occidentale de l’Empire, notamment sous Dioclétien et ses successeurs.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Le début de la colonisation romaine : les castella drusi
Après la victoire de César, la présence romaine reste assez lâche et la mainmise romaine sur le pays ne s’effectue que lentement. Dans un premier temps, Rome se contente d’assurer la sécurité de la frontière rhénane grâce aux auxiliaires némètes, triboques et rauraques. La seule grande colonie romaine est alors Raurica (Augst), près de Bâle, fondée en 44 avant J.-C. L’occupation n’est donc pas systématique, car il n’y a apparemment plus de troubles : la paix règne et les produits circulent sans problème.
La colonisation effective et systématique débute entre 16 et 14 avant J.-C. Pour les Romains, l’occupation de la frontière du Rhin n’est qu’une étape pour la conquête de la Germanie. Aussi, à partir de -15, le long du Rhin, le général d’Auguste, Nero Claudius Drusus ,est chargé d’ériger des forts, bases de défense et points de départ des futures expéditions. Il y a une bonne cinquantaine de ces castella drusiana du lac de Constance jusqu’à Nimègue, dont une dizaine en Alsace : Basileia (Bâle), Arialbinium (Bourgfelden), Cambete (Kembs), Stabula (Bantzenheim-est), Mons Brisiacus (Vieux Brisach), Olino (Biesheim-Kunheim), Argentorate (Strasbourg), Castellum Drusi (Drusenheim), Saletio (Seltz), Concordia (Lauterbourg). À Argentorate, le castrum, établi dans l’actuel centre ville, sert à l’Ala Petriana, un corps de cavalerie.
En même temps, les Romains mettent en place un réseau de voies de communications en utilisant les voies préexistantes et en en créant de nouvelles, établissent un cadastre et classent les terres en diverses catégories. Ces terres sont réparties en lots et distribuées à des vétérans de l’armée, à des colons venus des régions de la Gaule narbonnaise, de la Gaule cisalpine ou du Proche-Orient, ou à des indigènes. Enfin, les Romains s’établissent dans les agglomérations que les Celtes avaient jadis créées : ainsi des cités romaines, les Vici, sont créées dans les localités celtes sur des critères d’urbanisme romain. L’exemple le plus frappant est celui de Brocomagus (Brumath).
Le réseau routier est relativement dense et préfigure le réseau routier moderne : trois grands axes nord-sud traversent le pays : la voie du piémont, de Wissembourg à Belfort, la voie de la plaine correspondant en gros à l’actuelle RN 83 et la voie longeant le Rhin ; d’ouest en est les axes les plus importants sont ceux reliant Argentorate à Divodorum (Metz) par Saverne, l’axe Mons Brisiacus – col du Bonhomme – Lorraine et au sud l’axe Basileia – Divodorum par le col de Bussang…
Les Triboques
Les Triboques (lat. Triboci) sont un peuple celto-germanique faisant partie de la coalition d'Arioviste lorsque les Suèves sont appelés en renfort par les Séquanes afin de battre les Eduens de Bourgogne. Une fois la victoire acquise à Admagetobriga (vers 60 avant J.-C.), les Triboques s’installent en Basse-Alsace.
Lorsque Jules César intervient en 58, bat Arioviste et le repousse au-delà du Rhin avec ses Suèves, le sort des Triboques semble réglé. Mais le proconsul romain leur demande de rester, voire de renforcer leur établissement rive gauche du Rhin, et leur fixe en contrepartie la mission de garder la frontière et de barrer la route aux invasions barbares potentielles.
Aussi la limite du pays Médiomatrique est-elle repoussée à l’ouest des Vosges du nord (Alsace Bossue) et les Triboques s’installent en nombre dans toute la région comprise entre le sud de la forêt de Haguenau et le Landgraben. Brumath (Brocomagus) devient chef-lieu de la cité des Triboques et par la suite capitale administrative des Romains.
La grande majorité de la population médiomatrique reste sur place mais est mise sous tutelle. Par la suite arrivent des fonctionnaires, des marchands, des colons de régions déjà fortement romanisées (Italie, Grèce, Asie Mineure...) qui s'intègrent progressivement dans le territoire des Triboques : ce mélange d'apports méditerranéens avec le fonds indigène donne alors peu à peu naissance à la civilisation gallo-romaine.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Le camp et la ville civile
À l’endroit où le Rhin resserre son cours mais tout en étant encore relativement large (entre 3 et 5 km en fonction de ses divagations) et où l’Ill et la Bruche forment un chapelet d’îles au milieu de marécages plus ou moins salubres, les Romains installent sur une terrasse avancée et non menacée par les inondations, en 12 avant J.-C., sous le règne d’Auguste (27av.–14 ap. J.-C.), un castrum devant assurer la sécurité sur la frontière nouvellement établie : Argentorate.
C’est un détachement militaire venu de Mayence, alors centre militaire de la Germania Superior, l'aile de cavalerie Ala Gallarum Petriana qui se charge de construire le camp sous les ordres de Nero Claudius Drusus (38–9 av. J.-C.), général en chef des armées du Rhin, qui par ailleurs est chargé de créer d’autres forts tout au long du Rhin. Le site choisi constitue un nœud de communication intéressant grâce aux voies fluviales et terrestres qui y sont nombreuses, même s’il est relativement hostile, car constitué principalement d’une zone inondable et donc propice à l’action de la malaria.
Le camp est implanté à l'extrémité de la terrasse lœssique dominant les terrains inondables à la confluence de l'Ill et de la Bruche avec le Rhin. Ce premier camp occupe un espace rectangulaire assez petit, autour de la cathédrale, entouré d'un rempart de terre et de bois que longe un fossé. Le camp va notablement évoluer au fil des ans et des évènements (il sera détruit et reconstruit 9 fois en 463 ans d’existence), et va déterminer dès son existence toute l’histoire de la ville.
Rapidement s’installent près du camp de nombreux civils (familles des légionnaires, commerçants, artisans, boutiquiers de toute sorte), principalement le long de deux axes, parce que les terrains sont surélevés et donc non inondables, et mieux protégés que les autres puisque situés dans la zone contrôlée par la légion :
- L'axe rectiligne partant vers le nord depuis l'entrée du camp, située entre les actuelles rue du Dôme et place Broglie en direction de Schiltigheim
- L'axe rectiligne partant vers l'ouest, qui s'appellera Route des Romains suite aux nombreuses découvertes archéologiques faites dans le faubourg.
La Légion VIII Augusta
Le nom de la Légion VIII Augusta est indissociablement lié à celui d’Argentorate. La première mention à la légion VIII est faite par César dans la Guerre des Gaules. Avec la VII, la IX et la X, elle participe à la conquête de la Gaule pendants quatorze années (58-45). Elle est engagée dans les batailles de Bibracte, de l’Ochsenfeld, sous le commandement de Labienus (58). Puis elle se bat contre les redoutables Belges, achevant la conquête de la Gallia belgica. On la retrouve à Avaricum et à Gergovie en 52. Elle participe enfin au siège d’Alésia et y gagne le titre de [i]Gallica[i].
Plus tard, devenue Legio Augusta, elle se bat entre 6 et 9 ap. J.-C. dans les Balkans et sur le Danube, aux ordres de Tibère.
En 70, la VIII est rappelée en service sur le Rhin afin de réduire une révolte des Lingons et de pacifier la Haute- Germanie. Fin 70, c’est chose faite, et la VIII s’installe à Mirebeau-sur-Bèze à 25 km à l’est de Dijon, le camp qu’elle y édifie devant contrôler les Lingons, Eduens et Séquanes.
Vers 90, après un soulèvement des légions XIX et XXI sur le Rhin, férocement réprimé par l’empereur Domitien (81-96), la VIII reçoit l’ordre de quitter ses cantonnements de Mirebeau pour s’installer à Argentorate. Ce déplacement répond aux nouveaux objectifs des Flaviens : étendre l’Empire sur la rive droite du Rhin et donc disposer d’une garnison immédiatement en arrière de la nouvelle frontière que Cornélius Clemens vient d’établir entre Rhin et Danube en s’emparant des Champs Décumates.
La VIII participe à la réalisation d’une liaison stratégique entre le Main inférieur reliant Augusta Vindelicorum (Augsbourg) à Mogontiacum (Mayence), et donc Argentorate à la Rhétie, évitant ainsi un long détour par le coude du Rhin et le cours supérieur du fleuve. S’intégrant à ce nouveau dispositif, la Legio VIII Augusta rétablit l’ancien camp de la Légion II Augusta, partie pour la Grande-Bretagne en 43, et pratiquement détruit lors des évènements de l’année 69. Un rempart de terre, remplacé ensuite par un mur de basalte, protège cette forteresse, d’une superficie de vingt hectares (530 x 275 m). Autour de ce camp s’installe rapidement puis se développe un vicus de canabae avec toutes les activités artisanales (fer, cuivre, bronze, cuirs, poteries…), les boutiques et les marchés destinés à subvenir aux besoins d’une armée sédentaire mais aussi les tavernes, les lupanars, les lieux de spectacles variés... tout un univers dont les seuls revenus dépendent du pouvoir d’achat de la VIII. Argentorate devient rapidement une ville prospère d’environ vingt ou trente mille habitants nécessitant de grands travaux d’aménagement et de production de matériaux de constructions dont la légion va se charger :
- Elle construit un aqueduc de 28 km entre Kuttolsheim et le camp, avec un dénivelé de soixante mètres et une pente régulière de 2% : il approvisionne les thermes légionnaires, les maisons des officiers, les fontaines.
- Pour ce faire, elle crée une tuilerie légionnaire dans le vicus de Strasbourg-Koenigshoffen, produisant plus de 8500 tubes en terre cuite -de 65 cm de long pour 30 cm de large- pour réaliser l’ouvrage fait d’une double conduite. L’atelier produit également des tuiles estampillées qu’elle fournit par voie d’eau à de nombreux forts du limes et aux villes de la Germanie inférieure, de la Rhétie ou des Pays-Bas... Il fournit enfin les poteries ordinaires utilisées à Argentorate et aux alentours.
- La VIII exploite aussi des carrières : grès rose à la Champagnermühle près de Reinardsmunster et au Koepfel dominant Saverne ; grès gris dans la région de Mackwiller, poudingue au Mont-Sainte-Odile, granite à Dieffenthal et Scherwiller.
- Sous Hadrien (117-138), elle aménage les bords de l’Ill pour installer un port fluvial qui devint la clef de la navigation sur le Rhin. Elle contrôle ainsi tout le trafic, comme le laisse supposer la stèle dédiée à Rheno Patri par son légat Oppius Severus.
À partir du IIIe siècle, l’histoire de la légion est moins connue. Sous Dioclétien (284-305), elle est toujours active sur le Rhin, défendant la frontière contre les incursions germaniques. En 401, la Légion VIII Augusta est sans doute retirée du Rhin par Stilicon et part en Italie pour y combattre l’invasion des Wisigoths d’Alaric. Dernière trace en 420, où est mentionnée en Italie une unité Octaviani, peut-être une unité de la Legio VIII.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
La création du duché
Après Dagobert (629-639), le royaume mérovingien s’affaiblit et se divise (Austrasie, Neustrie, Bourgogne, Aquitaine), ce qui profite à l’Alsace, intégrée au royaume d’Austrasie. Ainsi se constitue, vers 640, le Duché d’Alsace, créé par les rois francs pour assurer sur le Rhin la sécurité face au duché de Saxe-Alémanie, puissant et indépendant.
Sundgau et Nordgau sont fusionnés sous l’autorité d’un seul duc, d’un seul administrateur royal (Domesticus) et d’un seul évêque, les trois résidant à Strasbourg. Gondoin et Boniface, les deux premiers ducs d’Alsace, ne sont que des fonctionnaires royaux. Boniface fonde, vers 660, l’abbaye de Wissembourg et, peu après, celle de Munster. Le défrichement des Vosges commence.
Le duc Adalric
Adalric (Attich ou Étichon, 620-693) est un riche propriétaire de lignée franque originaire de Haute-Alsace installé dans la région d’Obernai. Il affirme sa puissance locale au point d’être nommé par les rois mérovingiens duc d’Alsace, succédant au duc Boniface. Son mariage avec Bereswinde, parente du puissant évêque d’Autun, renforce son prestige.
Ambitieux, il profite des désordres du royaume pour affirmer son pouvoir et joue des rivalités entre les grands. Ainsi il soutient d’abord Ebroïn, maire du palais de Neustrie, pour finalement se rapprocher de Pépin d’Herstal, le puissant maire du Palais d’Austrasie. Cette alliance lui permet de faire face aux menaces d’Ebroïn et même d’étendre sont influence vers le sud, sur le Sorngau : ainsi il participe aux luttes en Bourgogne et, pour affirmer sa puissance, fait assassiner Germain, abbé de Moutier-Grandval. Ebroïn mort en 681, Adalric participe à la lutte entre Neustrie et Austrasie et est aux côtés de Pépin lors de sa victoire de Tetry en juin 687. Il est alors au faîte de sa puissance. Il fait appel aux Bénédictins et fonde en Alsace plusieurs établissements religieux, garants de sa puissance. Il crée plus particulièrement l’abbaye de Hohenbourg, qu’il donne à sa fille Odile. Il rend également le duché héréditaire. Adalric passe pour l’ancêtre des Eguisheim-Dabo et des Habsbourg.
Les ducs Adalbert (693-722) et Liutfried (722-740)
À la mort d’Adalric vers 693, son fils Adalbert (693-722) lui succède. Il construit la résidence royale de Koenigshoffen et les abbayes de Honau et de Saint-Étienne de Strasbourg. L’Alsace est alors un duché très puissant au sein de l’Austrasie.
Son fils Liutfried (722-740) christianise réellement le pays en imposant la règle bénédictine. La réforme est accomplie par Pirmin venu de la Reichenau. Soutenus par Charles Martel, maire du palais et fils de Pépin, Liutfried et l’évêque de Strasbourg réforment Marmoutier, Honau, Neuwiller, Surbourg. Pirmin fonde Murbach en 727, centre intellectuel de première importance en Alsace. À la suite de Pirmin, son disciple Heddo, évêque de Strasbourg (734-760), s’occupe des paroisses et commence la construction d’une nouvelle cathédrale, imposant une règle aux chanoines.
La fin du duché d’Alsace
À Liutfried, dont on ne parle plus après 739, succède son frère Eberhardt, comte d’Alsace, qui ne porte pas le titre de duc, et qui disparaît vers 747, tombé en disgrâce devant Pépin le Bref : le roi franc craint en effet la puissance des Etichonides.
Il semble même qu’il y ait eu un sérieux contentieux entre Pépin et Liutfried, allant jusqu’à l’affrontement. En tout cas, Eberhardt mort, Pépin, qui s’apprête à se faire couronner roi, intègre purement et simplement le duché à l’Austrasie.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Le rôle de l’Église
Cette carte donne un petit aperçu du rôle considérable joué par l’Église romaine au Haut Moyen Âge dans une société occidentale qui se relève peu à peu des terribles bouleversements entraînés par les grandes invasions. Il faut garder à l’esprit que malgré l’effondrement politique et militaire de la puissance romaine, le christianisme, religion officielle de l’empire, est certes terriblement ébranlé, mais reste vivant et pugnace. L’Église et son organisation très structurée restent le réceptacle de l’antique culture romaine, cette culture que les nouveaux maîtres tiennent dans leur ensemble à conserver.
La réussite foudroyante de Clovis (481-511) est sans aucun doute due au fait qu’il avait compris que son alliance avec les anciens cadres du pays dont l’autorité était intacte même auprès des Barbares, à savoir les évêques, favoriserait grandement ses ambitions politiques. C’est la raison principale de sa conversion. Aussi lui-même et ses successeurs se fixent pour objectif d’unifier leurs conquêtes, et, pour ce faire, de christianiser le pays.
Au milieu du VIe, l’Église d’Alsace est réorganisée en deux diocèses, celui de Bâle et celui de Strasbourg. L’évêché de Strasbourg est confié à l’évêque franc Arbogast (v. 570- v. 590), qui fonde le plus ancien établissement religieux d’Alsace à Surbourg. L’œuvre de christianisation est poursuivie par Florent et surtout Ansoald qui assiste au concile de Paris en 614. C’est d’ailleurs au cours de ce VIIe que l’évêque reçoit du roi mérovingien Dagobert (629-639) la région de Rouffach en Haute-Alsace, le Haut Mundat : le rôle de l’évêché de Bâle est à ce moment-là très mal défini.
Au cours du même siècle on érige des églises rurales et des monastères, on multiplie les paroisses, on vénère Martin de Tours, Étienne, Jean-Baptiste, Pierre... Dans le Sundgau œuvrent les moines irlandais et écossais (Colomban, fondateur de Luxeuil et de Saint-Gall) et, dans le reste du pays, les moines Bénédictins.
Continuatrice de l’œuvre des Mérovingiens, la nouvelle dynastie carolingienne, sous l’impulsion de l’empereur Charlemagne (768-814) inaugure une ère de paix et de prospérité dont profite l’Alsace, partagée en deux Pagi , le Nordgau et le Sundgau, le Landgraben faisant frontière. Les deux évêchés sont reconstitués, sans doute déjà sous Pépin le Bref : l’évêché de Bâle, suffragant de l’archevêché de Besançon, étend sa juridiction non seulement sur la Suisse du nord-ouest, mais sur tout le Haut Rhin et sur l’actuel Territoire de Belfort. Celui de Strasbourg, dépendant de l’archevêché de Mayence, comprend la Basse-Alsace moins la région de Wissembourg-Lauterbourg, intégrée au diocèse de Spire, mais déborde sur une partie de la rive droite du Rhin, l’Ortenau. Cette organisation se maintient pendant près de 1 000 ans, jusqu’en 1801.
Charlemagne ordonne de constituer des écoles et des centres d’études dans les monastères. Des bibliothèques se constituent par copiage. Murbach est au cœur de cette renaissance. Le monastère possède une Bible et plus de 300 manuscrits comprenant des œuvres des Pères de l’Église et des écrivains romains. C’est énorme pour l’époque. Les autres abbayes font des progrès considérables, devenant de véritables foyers de développement religieux, culturel et économique. Elles obtiennent l’immunité (justice indépendante de celles des comtes) et des avantages financiers importants (exemption de taxes).
Le renouveau spirituel et intellectuel voulu par Charlemagne est marqué par de belles personnalités : à côté des moines anonymes de Murbach apparaît vers 780 le premier homme de lettres alsacien, un certain Adam, abbé de Masevaux, qui offre à Charlemagne une copie de trois livres de la grammaire latine de Diomède. C’est aussi l’évêque Bernold qui, sous Louis le Pieux, fait traduire des passages bibliques pour ses ouailles. C’est l’exilé d’Aquitaine, Ermold le Noir, qui, pour rentrer en grâce, compose vers 826 à Strasbourg un poème à la louange de Louis le Pieux où il décrit une Alsace florissante et heureuse. Mais le grand homme des lettres est le moine de Wissembourg, Ottfried, disciple de Raban Maur venu de Fulda, qui compose et offre en 868 à Louis le Germanique une adaptation en allemand de l’histoire sainte, le Krist, destinée à être comprise par le peuple franc.
Les abbayes
En Occident, le monachisme doit son véritable développement à Benoît de Nursie, né en 480. Sa règle dite bénédictine à partir de la fondation de l’abbaye du Mont-Cassin, se diffusée très rapidement dans toute l'Europe de l’ouest. Cette s’implante en Gaule dès 625 : en effet, en comparaison des autres règles monastiques de l'époque (celle de saint Colomban notamment), elle fait preuve d'une certaine modération en trouvant un équilibre harmonieux entre l’office divin, le travail et le repos. Peu à peu, un tissu monastique fait de solidarité entre les abbayes prend corps, avec l'autonomie économique comme principe normatif pour chaque abbaye. Dès lors, les abbayes deviennent des foyers économiques autour desquels se regroupent les populations des campagnes.
Au IXe siècle, la règle bénédictine prend une importance décisive : l'empereur Louis le Pieux décide en effet, avec le conseil de l'abbé Benoît d'Aniane (750-821), de l'imposer à tous les monastères de l'Empire.
Il est essentiel de comprendre le rôle des abbayes et des moines à cette époque de grands bouleversements et de refonte de l’Occident médiéval. C’est une véritable entreprise pionnière tenant à la fois de ferme expérimentale, de centre de recherche, d’établissement d’enseignement et de formation, de haut lieu culturel, spirituel et politique, donnant une impulsion économique à toute la région dans laquelle elle est installée, créant des villages, des routes, des ponts, défrichant les forêts, mettant de nouvelles terres en culture, introduisant de nouvelles méthodes de travail. Ainsi les moines de l’abbaye de Munster transforment toute la vallée de la Fecht, jusque sur les hauteurs vosgiennes avoisinantes et y initient la fabrication du célèbre fromage. L’abbaye de Wissembourg transforme tout l’Outre-Forêt et une partie du Palatinat sur un territoire de 200 à 250 km². Murbach possédera plus de 350 villages, du Palatinat à la Suisse, construira ses propres châteaux pour sa sécurité, créera des ateliers de production de verre et exploitera des mines, sans compter sa bibliothèque, une des plus riches d’Occident au IXe siècle.
Il n’est donc pas étonnant que ces abbayes deviennent rapidement des outils politiques de poids, principalement du pouvoir royal et impérial : Mérovingiens, Carolingiens puis Ottoniens n’ont de cesse que de s’appuyer sur ces établissements, leur conférant titres, privilèges, bienfaits et territoires; En 664, Childéric donne à l’abbaye de Munster des terres prélevées sur son propre domaine. Louis le Pieux lui confère en 826 l’immunité, c’est-à-dire le droit d’élire librement son abbé, et son fils Lothaire le droit de justice sur les villages appartenant à l’abbaye. Au IXe siècle, Wissembourg devient abbaye d’empire, dépendant uniquement de l’empereur. En échange, ces abbayes deviennent en général de puissants soutiens du pouvoir temporel, et rapidement, les empereurs jouent un rôle fondamental dans l’élection de l’abbé qui devient dès le IXe siècle un personnage politique de poids, choisi exclusivement dans la noblesse, tout comme ce sera le cas pour les évêques de Strasbourg et de Bâle.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
L'architecture
L'architecture romane en Alsace ne présente pas une unité de formes, mais on peut y rattacher des monuments dont les dates de construction d’échelonnent de l'an Mil au début du XIIIe siècle.
XIe siècle
Restant à cette époque très influencé par l’art carolingien et son prolongement, l’art ottonien, le roman alsacien voit se construire des édifices à plan centré (rotonde d’Ottmarsheim, chapelle sainte Marguerite d'Epfig, chapelle Saint-Ulric d'Avolsheim, rotonde disparue de Sélestat) ainsi que des églises à plan basilical : trois nefs orientées d'ouest en et, un chœur à l'est, avec ou sans transept. La plupart n'ont pas de clocher véritable comme on en construit au XIIe siècle. Un grand édifice, disparu et dont on connaît mal l'aspect, a été le grand modèle de la période : la cathédrale de Strasbourg bâtie par l'évêque Werner vers 1000-1015.
Les nefs de ces églises sont en général couvertes d'une simple charpente, le mur est fait de moellons recouverts d'un crépi. Les voûtes sont rares : cul-de-four dans les absides, voûte en berceau (Epfig) et voûtes d'arêtes sur de petites surfaces, avant tout dans les cryptes (ainsi à Andlau et Strasbourg).
XIIe siècle
Cette période prolonge partiellement les traditions du siècle précédent, mais avec de grands changements, dus en particulier à des influences extérieures diverses. Le plan est essentiellement basilical, avec transept, mais le chœur n'a pas de déambulatoire. Il faut souligner quelques particularités innovantes :
la qualité générale de la construction, avec emploi de la pierre de taille.
- le développement des tours, à la croisée du transept et en façade, avec parfois un imposant massif monumental à l'ouest abritant un porche.
- l'apparition de la voûte d'ogives, dès la première moitié du siècle : le plus souvent, à une travée de la nef couverte d'une voûte d'ogives, correspondent dans chaque bas-côté deux travées couvertes d'une voûte d'arêtes.
Édifices remarquables
De nombreux édifices ont malheureusement disparu, l’histoire de l’Alsace étant particulièrement féconde en guerres et destructions. Il en reste quelques-uns qui sont remarquables :
- collégiale de Lautenbach : édifice charpenté à piliers alternés et transept débordant, porche à 2 travées, triple arcature et voussures en ogive (vers 1135-1150) ;
- abbatiale de Murbach : seul le massif oriental est conservé : chevet carré flanqué de chapelles à deux étages, transept à deux clochers, hautes voûtes sur croisée d'ogive, chapelles latérales à croisée d'arête. Influences de Cluny, de Hirsau, de la Lombardie.
- église bénédictine de Saint-Jean-les-Saverne : une nef et 2 bas-côtés donnant sur des absides. Alternance des piles carrées, voûtes d'ogive dans la nef et d'arête sur les bas-côtés. Pas de contreforts extérieurs (1145-1150) ;
- abbatiale Saint-Étienne de Marmoutier : porche à 3 ouvertures et à 1 travée, grand narthex supportant la tour centrale, clocher en retrait des tours flanquantes. Frontons (1140-1155). Réminiscences carolingiennes ;
- saint-Georges de Haguenau (1143-1184 ?) ;
- saints-Pierre-et-Paul de Rosheim : basilique voûtée, avec alternance des piles, massive tour de croisée surélevée au XIVe siècle (1150-1160) ;
- église de Niedermunster (en ruines) : édifice à trois doubles travées avec alternance des piles et deux tours massives encadrant le porche, à l'ouest. Transept débordant, chœur rectangulaire flanqué de chapelles carrées. Grande crypte (consacrée en 1180) ;
- sainte-Foy de Sélestat : basilique à transept saillant, à absidioles et à chœur carré. Trois tours : tour de croisée octogonale à fenêtres en triplet puis géminées, couverture de pierre. Deux tours en façade (achevée vers 1162) ;
- cathédrale de Strasbourg : poursuite des travaux du transept (charpenté) et du chœur, après l'incendie de 1176-1190 ;
- saints Pierre-et-Paul à Neuwiller-lès-Saverne ;
- saint-Adelphe de Neuwiller-lès-Saverne ;
- saint-Léger de Guebwiller : dans la tradition de Sainte-Foy de Sélestat. Transept débordant, croisée à clocher octogonal, deux tours en façade, grand porche ouvert sur les 3 côtés. Fronton décoré (1182–v. 1200) ;
- saint-Martin de Pfaffenheim : chœur proche de celui de Saint Léger à Guebwiller. Influence de la cathédrale de Bâle (v. 1200).
Hormis les édifices religieux, se construisent en Alsace les premiers châteaux en pierre, en ruine aujourd'hui : le Guirbaden (mentionné en 974), le Herrenstein, apanage de la famille des Dagsbourg (1055), les trois châteaux d'Eguisheim, le château du Hohnack (1079), la Frankenbourg (1009)...
Le décor
Le décor se caractérise par l'animation du mur extérieur grâce aux bandes lombardes que l'on retrouve un peu partout en Alsace. À l’intérieur, les peintures murales ont pu être fréquentes, mais il en reste extrêmement peu (baptistère d’Avolsheim). Les vitraux ont pour la plupart disparu.
La sculpture romane, étroitement liée à l'architecture, n'a pas connu en Alsace le foisonnement qu'on lui connaît dans les grands centres tels que la Bourgogne ou la Provence, sans doute par modestie de conception et de moyens.
Parmi les œuvres les plus importantes, il faut signaler :
- le tombeau des moines de Murbach massacrés par les Hongrois en 939 ;
- le tombeau de Bereswinde et d'Adalric au couvent du mont-Sainte-Odile (XIe) ;
- les vestiges du cloître d'Eschau (v. 1130) - musée de l'Œuvre Notre-Dame de Strasbourg ;
- la cuve baptismale d’Eschau - musée de l'Œuvre Notre-Dame de Strasbourg ;
- le sarcophage de l'évêque Adeloch de Saint-Thomas de Strasbourg ;
- les deux cycles de l’abbatiale Sainte Richarde d’Andlau (1140-1150) : la frise historiée de près de 30 mètres qui parcourt en hauteur le massif occidental, et les reliefs de l'arcade, des chapiteaux du porche, du portail de l'église (tympan, linteau et piédroits) ;
- les sculptures du porche de Lautenbach (1140-1150) ;
- les sculptures de l’église de Rosheim (façade, portail sud, corniches, chapiteaux…)
- le portail de Sigolsheim.
Peinture, enluminure et vitrail
À l’époque romane, les centres de création de livres enluminés sont essentiellement les abbayes et leurs scriptoria. Bénédictins et Augustins produisent dans leurs bibliothèques de nombreux manuscrits enluminés, particulièrement à Marbach, Pairis, Wissembourg, Strasbourg. Aucune de ces bibliothèques n’a survécu aux nombreux aléas de l’Histoire. On peut compter sur les doigts des deux mains les monuments de la peinture conservés sous forme de manuscrits enluminés qui illustrent les périodes préromane et romane. Il faut néanmoins mentionner :
- L'évangéliaire du moine Otfried (Xe), Albertina de Vienne, orné d'une grande Crucifixion influencée par la Reichenau ;
- Le Liber Miraculorum Sanctae Fides (Livre des Miracles de Sainte-Foy - v. 1100 - Codex 22 de la Bibliothèque humaniste de Sélestat) ;
- Le codex Guta-Sintram (1154 - Grand Séminaire de Strasbourg), de l'abbaye de Marbach ;
- Le Lectionnaire de la Bibliothèque municipale de Laon, provenant de Marbach (fin XIIe) ;
- L’Hortus deliciarum (charnière des XIIe et XIIIe siècles) : vaste compilation élaborée par les abbesses Relinde et surtout Herrade de Landsberg, morte en 1195, pour l'instruction et l'édification des nobles moniales du couvent de Hohenburg.
La peinture murale qui n’a pas disparu est très rare et mal conservée. On sait que le palais impérial de Haguenau était orné de magnifiques peintures (scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament, galerie des rois), que l’abbaye de Murbach possédait deux grandes tapisseries, qu’un saint Christophe ornait l’église d’Alspach, qu’à Eschau il y avait de belles fresques du Jugement dernier…
En matière de vitrail, l’Alsace fournit quelques œuvres majeures :
- La tête du Christ de Wissembourg censée provenir de l'abbatiale consacrée en 1074 : vitrail d’Alsace le plus ancien connu ;
- Le saint Timothée de l'église Saint-Pierre et Saint-Paul de Neuwiller-lès-Saveme, chapelle haute du chevet (v. 1100), conservé au musée de Cluny à Paris ;
- La rose du croisillon nord du transept de Saint-Pierre et Saint-Paul de Wissembourg au centre de laquelle règne la Vierge à l'Enfant (v. 1190).
- Les panneaux romans de la cathédrale de Strasbourg (fin XIIe) : médaillons du Jugement de Salomon, des anges et de la Vierge orante, d'un arbre de Jessé, du chœur et du transept, et surtout la galerie des empereurs et des rois du Saint-Empire romain germanique, les saints confesseurs et les saints militaires de l'ancienne nef (bas-côté nord de la cathédrale).
Le travail du métal et l’orfèvrerie ont laissé les pentures de fer forgé de la porte de l'église de Saint-Jean de Saverne (1130) et les deux châsses du XIIe siècle provenant du prieuré des chanoines réguliers de Saint Augustin d'Oelenberg, conservées aujourd'hui dans l'église de Reiningue.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Le contexte
L'avènement de l'architecture gothique en Alsace s'insère dans un vaste mouvement européen parti d’Île de France et dépend en même temps de multiples données politiques, religieuses, sociales et économiques qui en accélèrent ou en entravent l'évolution générale. La conquête de l'Occident par cet art nouveau se fait par vagues successives. En Alsace, la multiplicité des courants est frappante et empêchera la formation d'une école régionale nettement caractérisée.
La disparition de Frédéric II de Hohenstaufen (1250), le Grand Interrègne, l'accession au pouvoir suprême de Rodolphe de Habsbourg (1273), landgrave de Haute-Alsace, constituent la toile de fond d'une extraordinaire mutation marquée par la création et l'émancipation des villes et les luttes incessantes entre les seigneurs et les évêques.
Les activités artistiques ne manquent pas d'être influencées par ces événements. Ainsi à Strasbourg, après la défaite de l'évêque à la bataille de Hausbergen (1262), la gestion de l'Œuvre Notre-Dame est confiée à un membre du chapitre. Vers 1284, le Magistrat s'assure le contrôle du chantier, et maître Erwin peut être considéré comme le premier architecte désigné par la Ville. Un siècle plus tard, en 1395, l'évêque sera définitivement écarté de la direction de l'Œuvre. Et la haute tour que la cité va lancer à l'assaut du ciel rend sensible cette fusion surprenante entre le sentiment religieux et un nouvel art de vivre qui annonce les Temps modernes.
L'introduction et la diffusion de l'architecture gothique en Alsace coïncident aussi avec l'arrivée et la prolifération des ordres mendiants, Franciscains et Dominicains. Dans une quarantaine d'édifices de haute tenue, ils proposent un art sobre et épuré qui s'oppose à la richesse, voire l'opulence des églises paroissiales, des collégiales et des abbatiales.
La faiblesse relative du pouvoir central, l'émiettement politique et le morcellement territorial qui en est la conséquence ne sont pas forcément des conditions défavorables à l'épanouissement des arts. L'unité cède la place à la diversité. C'est une chance et un risque : la chance de s'exprimer à tous les niveaux, le risque de ne plus avoir la force d'entreprendre de grandes œuvres. Mais le paysage artistique de l'Alsace gothique constitue une réussite globale incontestable.
La cathédrale de Strasbourg
Le gothique naît dans la cathédrale de Strasbourg en 1176, par l’édification du mur est du transept, achevé en 1200 avec le portail de l’Adoration des Mages.
Cette étape marque les débuts du nouvel art de construire, d’abord dans la voûte d’ogives du transept et le prodigieux pilier du jugement, dit des Anges, créé par un atelier venu d’Île de France. Une école d’inspiration chartraine réalise ensuite le portail sud avec ses deux rosaces. À partir de 1210, le nouveau style s’impose et entre dans sa phase classique, particulièrement avec la construction de la nef de la cathédrale. Il atteint son apogée avec la réalisation de la magnifique façade, œuvre de son plus célèbre architecte, Erwin dit de Steinbach, à partir de 1275.
Le monument sera achevé en 1439 par Jean Hültz avec la plus belle des flèches réalisées en occident au Moyen Âge, qui culmine à 142 mètres de hauteur.
Les autres édifices
À côté de la cathédrale de Strasbourg, la région possède de nombreux édifices de styles gothiques, parmi lesquels il faut citer :
- Saint-Georges de Sélestat (1230-1235) ;
- Saint-Pierre et Saint-Paul de Neuwiller (1192-1250) ;
- Marmoutier : nef de l’abbatiale (v. 1225-1290) ;
- Saint-Pierre et Saint-Paul de Wissembourg (XIIIe)
- Notre-Dame de l’Assomption de Rouffach (XIIIe)
- Saint-Martin de Colmar (1234-1375)
- Saint-Thomas de Strasbourg (1196-1521)
- L’église des Dominicains de Colmar construite sous l'impulsion de Rodolphe de Habsbourg à partir de 1283 ;
- Saint-Georges de Haguenau (1183-1519)
- Saint-Florent de Niederhaslach (1274-1395);
- Saint-Étienne de Mulhouse (1314-1340);
- L'église Saint-Guillaume de Strasbourg, fondée en 1306 par Henri de Mullenheim ;
- L'église des Dominicains de Guebwiller, construite à partir de 1312 ;
- La collégiale Saint-Thiébaut de Thann, chef-d’œuvre du style flamboyant (1307-1455).
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Le système féodal
À partir de 1100, le système féodal est installé en Alsace. Profitant des innombrables querelles, particulièrement celle des investitures (1073-1122) qui consacre l’affaiblissement impérial, de petits dynastes locaux, au gré d’alliances et de contre-alliances, s’approprient de domaines qu’ils contrôlent et défendent en y édifiant des châteaux. Châteaux qu’ils confient très souvent à des vassaux (ministériaux ou avoués lorsqu’il s’agit de possessions ecclésiastiques), démultipliant ainsi le pouvoir et créant des situations inextricables de petites révoltes, insoumissions, trahisons, luttes d’influences...
De nombreux seigneurs laïcs
Les Eguisheim-Dabo sont alors la plus puissante des familles nobles d’Alsace. Ils possèdent la région de Colmar et acquièrent le comté de Dabo. Partisans du pape, ils sont mêlés à toutes les luttes, s’opposant à la puissance des évêques de Strasbourg et des Hohenstaufen. Les comtes de Ferrette possèdent une grande partie du Sundgau. Les Ribeaupierre sont une famille citée dès avant 1000 : leur domaine, la région de Ribeauvillé au départ, s’agrandit fin XIIIe de la seigneurie de Hohnack (vallée supérieure de Kaysersberg, Lapoutroie, Orbey, Le Bonhomme, Labaroche). Les Lichtenberg possèdent les régions de Bouxwiller, Niederbronn et Woerth, le Hattgau, Brumath et Westhoffen. Les Fleckenstein possèdent la région de Lembach, Soultz-sous-Forêt et Roeschwog... À côté de ces grands féodaux, il y a aussi une foule de petites seigneuries laïques telles que Landsberg, Ratsammhausen, Andlau, Berckheim, Ochsenstein, Hattstatt, Géroldseck, Morimont...
Pouvoir temporel du spirituel
L’évêque de Strasbourg est de loin le personnage le plus puissant. Il possède la région de Saverne et de Molsheim, la vallée de la Bruche, les régions de Benfeld, Erstein, Dambach et Marckolsheim, ainsi que le Mundat supérieur en Haute-Alsace (Rouffach et sa région) et des domaines outre-Rhin. Le Chapitre de la cathédrale possède la seigneurie de Frankenbourg et quelques villages du Val-de-Villé. S’y ajouteront les bailliages de Boersch et d’Erstein. Il y a enfin les vastes domaines ecclésiastiques des abbayes de Wissembourg, Marmoutier, Munster, Murbach, Lucelle, ainsi que les grands domaines des villes : Strasbourg, Haguenau, Wissembourg, Obernai, Sélestat et Rosheim.
Tous ces domaines doivent être défendus : le château est le symbole même et l’outil de ce système défensif, autant qu’il est le symbole de la puissance du seigneur, de son autorité, de sa justice, mais aussi de sa puissance économique.
Typologie
L’Alsace conserve 445 châteaux recensés : 293 en plaine et 152 en montagne. Environ une cinquantaine ont totalement disparu. Il y a donc, au Moyen Âge, environ 500 châteaux forts entre les limites du Palatinat et les frontières du Sundgau.
Aujourd’hui 150 ruines sont encore visibles dans la montagne, certaines magnifiquement conservées (en tant que ruines !) comme la Landskron, le Hohlandsbourg, le Saint Ulrich, le Girsberg, Kintzheim, l’Ortenbourg ou le Wasenbourg. D’autres sont dans un état pitoyable comme le Haut-Echery, le Schrankenfels, le Bilstein-Ribeauvillé, La Roche ou le Freudeneck.
En plaine subsistent encore quelques témoins, tous très fortement remaniés et ne conservant presque plus rien de leur structure médiévale : Osthouse, Osthoffen, Breuschwickersheim, Hirtzbach...
La motte féodale
Les premières fortifications dignes de ce nom apparaissent au Xe pour parer à l’insécurité générée par les invasions hongroises ou normandes, que l’autorité impériale et royale se montre incapable d’endiguer. Ce sont les châteaux à motte, que l’on trouve exclusivement en plaine. Ils consistent en une butte entourée d'un fossé (la terre extraite de ce fossé servant à élever la butte) sur laquelle est érigée une tour de bois, carrée ou circulaire. L'étage de ce donjon, qui sert de demeure seigneuriale, n'est accessible que par une passerelle mobile. Sur le toit s'installent des guetteurs et dans le soubassement se trouvent les réserves de nourriture et la prison.
Les domestiques, les animaux et le reste des approvisionnements trouvent place dans un enclos nommé baille ou basse-cour, entouré lui aussi d'une palissade et précédé d'un autre fossé.
La motte castrale constitue le type de fortification courant au Xe et au XIe siècle et va peu évoluer durant 150 ans : la principale évolution sera celle des remparts de bois, plus solides et complexes, et celle des fossés, plus larges et profonds.
Aujourd’hui, il ne reste de ces édifices, construits en bois, que des élévations de terrain souvent difficilement reconnaissables. En Alsace ces mottes se nomment Buhel, Buhl ou Buchel (Buckel) : motte féodale du Kochersberg à Neugartheim, motte de Bergholtz, motte de Manspach (Dannemarie), motte de Meyenheim, motte Saint-Georges-d'Alschwiller (Unterer Cornelysteg) à Soultz-Haut-Rhin, motte féodale Rebberg à Wittenheim, motte du Zollbuechel à Folgensbourg, mottes de Beinheim, Keskastel.
La Wasserburg
Comme son nom germanique l'indique, la Wasserburg est un château de plaine, à la même altitude que les habitations environnantes, de forme carrée, rectangulaire ou en équerre, entouré d’un fossé rempli d’eau alimenté par un cours d'eau proche, et pouvant éventuellement se transformer en étang. Les douves, destinées à la défense de la place, peuvent également servir de vivier à poissons. En plaine d’Alsace, de très nombreux châteaux sont des Wasserburg, mais il n’en reste aujourd’hui que très peu : Osthouse, Osthoffen, Breuschwickersheim, Eguisheim-ville, Haguenau (disparu), Westhoffen (Rosenbourg), Mittelhausen, Durmenach...
La Wasserburg est en général plus fragile que le château de montagne, car son attaque est aisée de tous les côtés. Elle présente aussi le défaut d’être plus vulnérable selon les circonstances : ainsi en 1261 le château de Mulhouse et en 1444 celui de Marlenheim ont été pris facilement car l'eau des fossés avait gelé, ce qui a facilité l'accès au pied des murailles.
Le château de montagne
Le château de montagne est bien plus autonome que le château de plaine et ses habitants y vivent en quasi autarcie. De taille plus réduite en général, il répond à des fonctions plus spécifiques : ainsi la fonction de refuge pour les populations est bien moins importante que la fonction militaire et stratégique.
Le château de montagne contrôle souvent d’importantes voies de passages, comme à Saint Ulric, Haut Koenigsbourg, Bildstein lorrain ou Engelbourg.
Il protège des territoires, biens ou possessions d’abbayes ou d’évêchés (Hugstein pour Murbach, Landsberg pour Hohenbourg, Géroldseck pour Marmoutier, Herrenstein pour Neuwiller les Saverne, ou Freudeneck pour Andlau) et marque la mainmise d’une puissante famille sur une région pour la contrôler (Dreistein, Haut-Koenigsbourg par les Hohenstaufen, Engelsbourg par les Ferrette, Haut-Barr par les évêques de Strasbourg...). Le château de montagne peut enfin protéger une ville, comme à Ferrette, Thann, Kaysersberg, Ribeauvillé ou Ottrott par exemple.
Stratégiquement, il est relativement aisé à défendre car remarquablement construit, et sa prise nécessite énormément de moyens pour l’éventuel assiégeant. Par contre, il offre un confort quasi nul : froid, humidité, difficulté d’accès, exigüité des locaux… Aussi, de nombreux châteaux de montagne ne sont pas toujours habités en permanence et ne possèdent qu’une toute petite garnison.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Au cours du XIIIe siècle, dans ce pays très morcelé qu’est l’Alsace, surgissent bien des causes de conflits. Les chroniques sont remplies de batailles, pillages, massacres de tous ordres. Pour parer aux dangers, les puissances locales s’allient et se soutiennent mutuellement en formant alliances ou ligues. Les plus célèbres sont les Landfriedenbündnisse (Ligues de la paix publique). La première est créée en 1278. À partir de 1301, elles couvrent tout le pays. Villes, évêques, grands baillis et archiducs de Habsbourg y adhèrent. L’objectif premier est d’établir et de maintenir la paix, la sécurité des routes, la protection des paysans et des commerçants. Sur plusieurs points, ces ligues sont pleinement justifiées.
Mais ces alliances restent très fragiles, déchirées par trop d’intérêts divergents, notamment ceux des plus puissants.
En 1343, cette idée d’alliance est reprise par sept villes impériales de Moyenne-Alsace. Obernai, Sélestat, Colmar, Kaysersberg, Munster, Turckheim et Mulhouse signent, le 12 octobre, un traité devant garantir la paix des villes et leur attachement à l’Empereur. L’accord est renouvelé le 12 mai 1345 pour une durée de trois ans.
Quelques années plus tard, sur suggestion de l’empereur Charles IV de Luxembourg, les sept villes, auxquelles se joignent Wissembourg, Haguenau et Rosheim forment, le 23 septembre 1354, l’alliance des dix villes ou Décapole (Zehnstädtebund) dans le but d'assistance réciproque vis-à-vis de tiers et d'arbitrage interne, ainsi que celui de mettre en œuvre une coopération économique entre elles. Ainsi la Décapole assure à ses membres aide et conseil, assistance militaire, défense des privilèges accordés par l'empereur, affirme et protège leurs libertés face aux seigneurs et princes.
Placée sous le patronage du grand bailli d'Empire résidant à Haguenau, cette Décapole va se maintenir, malgré toutes les vicissitudes de l’Histoire, jusqu’en 1678, date à laquelle le traité de Nimègue y met fin.
Strasbourg, forte de sa puissance, refuse d’y adhérer. Seltz y adhère de 1358 à 1418, et lorsque Mulhouse la quitte en 1515 pour adhérer à la confédération suisse, elle y est remplacée par Landau.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Le Bundschuh
Tout au long du XVe siècle, la situation des paysans s’aggrave. Les seigneurs augmentent taxes et corvées et exagèrent leurs droits et prérogatives, ce qui mécontente grandement la paysannerie. Écrits prophétiques et incendiaires, comme L’inconnu du Rhin supérieur, les poussent à l’action.
En 1493 naît à Sélestat le mouvement du Bundschuh, par opposition à la botte seigneuriale. Ses chefs sont Hans Ulmann, ancien Stettmeister de Sélestat, Jean Hanser de Blienschwiller, Nicolas Ziegler de Stotzheim et Ulric Schulte d’Andlau. Ils gagnent beaucoup de partisans en Moyenne-Alsace et dressent, en mars 1493, au pied de l’Ungersberg, un programme d’action et de revendications : abolition du tribunal de l’Évêque et de l’Empereur, chasse aux juifs usuriers, abolition des impôts injustes. Mis au courant de l’affaire, les autorités épiscopales les arrêtent. Condamnés à mort, ils sont exécutés à Bâle en avril.
La révolte de 1525
Dans le monde paysan, le mécontentement persiste cependant, alimenté par le mouvement de réformes initié outre-Rhin par Martin Luther. En 1517, les régions des deux côtés du fleuve se soulèvent avec à leur tête Jorg Fritz. Le mouvement, virulent en Allemagne du sud, est rapidement réprimé. Il n’en devient que plus révolutionnaire.
Dès 1524, des soulèvements éclatent à Nuremberg, en Suisse et en Forêt Noire, soutenus par les prédicateurs luthériens. Aussi en avril de sévères mesures sont prises contres ces derniers. Soudain, la révolte éclate en Alsace et s’étend comme traînée de poudre, laissant les autorités totalement paralysées. Du Sundgau à Sarreguemines, les paysans se dressent contre les seigneurs. Leur fureur se déchaîne contre couvents et abbayes, bourgs et petites villes, châteaux et demeures seigneuriales : Altorf, Truttenhausen, Hohenbourg (17 avril), Schoensteinbach, Ottmarsheim, Oelenberg, Lucelle, St Morand (18-23 avril), Ebersmünster, Pairis (25-26 avril), Wissembourg, Ribeauvillé, Bergheim, Guebwiller, Murbach (7 mai), Kaysersberg... Seules les villes bien armées et les châteaux résistent.
Très vite, les paysans s’organisent en bandes ayant à leur tête un chef et un comité : Jörg Ittel, ancien Stettmeister de Rosheim et ses lieutenants Érasme Gerber et Peter de Molsheim commandent la bande la plus importante autour de Molsheim ; Mathieu Nithard d’Eschentzwiller et Jean Pflüm de Landser celle du Sundgau ; Wolf Wagner de Rhinau celle du Ried ; Fischbach de Wissembourg celle d’Outre-Forêt... Ils revendiquent l’abolition du servage, la liberté de chasse et de pêche, la libre jouissance des communaux et forêts, la suppression des impôts injustes, la limitation des corvées... Les autorités ne bougent pas. Mais les paysans sont de plus en plus isolés. Qui plus est, ils perdent le soutien de Luther et des chefs de la Réforme qui se rangent du côté des princes et des nobles.
Désastre et répression
La réaction, foudroyante, vient du duc de Lorraine qui craint une extension de la révolte sur ses terres et que, secrètement, les autorités alsaciennes ont appelé à l’aide. Début mai, il marche sur l’Alsace. Les paysans d’Ittel se laissent enfermer dans Saverne. Ils attendent du secours d’une armée de 5 000 hommes, qui est taillée en pièces à Lupstein le 15 mai. Les survivants sont enfermés dans l’église qui est incendiée. Le 17 mai, affolés, ceux de Saverne se rendent contre la promesse de la vie sauve. Ils sont 18 000. Le duc les fait massacrer sans pitié. Parmi eux, Gerber. Ittel a fui. Il sera pris et exécuté à Strasbourg le 23 juin. Le duc marche alors vers le sud et, le 20 mai, écrase, entre Châtenois et Scherwiller, l’armée des Rustauds de Moyenne-Alsace forte de 8 000 hommes. Peu réchappent à une véritable boucherie, totalement démunis face aux redoutables lansquenets du duc. Refusant les demandes du bailli d’Ensisheim de réduire les révoltés du Sundgau, le duc retourne en Lorraine.
L’élan paysan est brisé, mais dans le Sundgau et dans la région de Wissembourg, la révolte continue. Il faudra la bataille de Wattwiller en septembre pour que les Sundgauviens demandent grâce. Aussitôt débute une terrible répression menée par les Seigneurs avec l’accord d’Ensisheim dont le tribunal prononce plus de 10 000 condamnations. Le mouvement est noyé dans le sang et la situation des paysans, lâchés par les prédicateurs luthériens, empire dramatiquement (emprisonnements, tortures, confiscations, taxes...).
Ce formidable incendie reste un épisode bref mais sanglant, l'un des plus terribles que l’Alsace ait connu. On dit que le gilet rouge porté par les paysans alsaciens est un souvenir de cet épisode.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
La Réforme
1519 : les thèses de Luther sont affichées dès le début de l’année aux portes des églises et couvents de Strasbourg, notamment pour protester contre le refus des chapitres et couvents de livrer leurs stocks de blé aux nécessiteux, face à la pénurie générale. Entre 1520 et 1523, de nombreux ecclésiastiques sont démis de leurs fonctions par le Chapitre et les évêques, car ils professent les thèses de Luther : ils deviennent aussitôt de fervents défenseurs et propagateurs de la Réforme, comme Mathieu Zell, archiprêtre de la cathédrale, Wickram (successeur de Geiler) et Symphorien Polio. Ils sont soutenus par de grands humanistes, tels Wolfgang Capito de Haguenau, Martin Bucer de Sélestat, Caspar Hedio de Baden, qui rejoignent Strasbourg. Rapidement, la majorité des édiles de la République libre est acquise aux nouvelles idées.
Cette réforme luthérienne débouche bientôt sur la constitution de ligues et sur une guerre entre états catholiques et états protestants : l’empereur Charles-Quint, champion du catholicisme, en sort certes vainqueur, mais est obligé de négocier une paix de compromis : ce sera la paix d'Augsbourg (1555), qui reconnaît aux princes territoriaux le droit d'introduire la réforme dans leurs territoires, désormais juridiquement reconnue dans l'Empire germanique.
Aussi, de nombreux seigneurs alsaciens, profitant du jus reformandi et du principe cujus regio, ejus religio, imposent leur religion entre 1555 et 1575. C'est à ce moment que se met en place la géographie protestante qui, en dépit de la contre-réforme catholique au cours du XVIIe siècle, reste stable jusqu’en 1648 et largement au-delà.
En Basse-Alsace
Ici, le luthéranisme s'implante environ dans la moitié des paroisses : comté de Hanau-Lichtenberg, comtés de La Petite-Pierre et de Nassau-Sarrewerden, seigneuries de Fleckenstein, d'Oberbronn et de Schoeneck dans le nord, les 19 paroisses rurales de la Ville de Strasbourg (avec la seigneurie de Barr), et une trentaine de paroisses dispersées appartenant aux chevaliers d'Empire. Majoritaire au nord de la ligne Saverne-Strasbourg, il ne constitue que des îlots épars au sud de celle-ci. C’est un protestantisme largement rural, car deux villes seules, Wissembourg et Strasbourg, ont adhéré à la Réforme. Quant au calvinisme, il est présent à Cleebourg et à Bischwiller.
En Haute-Alsace
La réforme de Luther touche, dans cette partie de l'Alsace, les villes de Munster et de Colmar, où elle est introduite en 1575 et laisse subsister une minorité catholique, ainsi que Sainte-Marie-aux-Mines, possession des Ribeaupierre et les quinze paroisses des possessions wurtembergeoises entourant Colmar (seigneuries de Horbourg et de Riquewihr). Mulhouse, quant à elle, adopte le calvinisme.
Le catholicisme reste donc solidement ancré en Haute-Alsace qui appartient majoritairement aux Habsbourg catholiques, sur les territoires du prince-évêque de Strasbourg (région de Molsheim-Saverne, Mundat Supérieur avec Rouffach et Soultz, région de Benfeld), le comté de Dabo, les territoires ecclésiastiques des grandes abbayes.
Les traités de Westphalie (1648) deviennent la charte des protestants alsaciens qui leur permet de disposer d'une protection juridique que Louis XIV ne contestera jamais, tout en combattant la religion prétendue réformée. Chaque confession doit récupérer les biens et les droits possédés au 1er janvier de l'année normative 1624, ce qui maintient le statu quo territorial des protestants à la seule exception de Haguenau.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Ces deux cartes permettent de comparer la situation de l’Alsace entre 1618 et 1648, c’est-à-dire au début et à la fin de la terrible Guerre de Trente ans qui a ruiné le Saint-Empire et permis à la France de s’implanter durablement sur la rive droite du Rhin.
1648
En 1618 l’Alsace apparaît, à l’image d’ailleurs de tout le Saint-Empire auquel elle est intégrée depuis sa création en 962, comme une mosaïque d’états appartenant à de nombreux seigneurs laïcs ou ecclésiastiques, conséquence du système politique centrifuge prévalant dans l’empire et de l’incapacité structurelle du pouvoir impérial à imposer, comme ce sera le cas en France tout au long de l’histoire des Capétiens, l’autorité de l’Etat.
Parmi ces dynastes, quelques-uns apparaissent comme de véritables puissances régionales :
- Les Habsbourg : bien possessionnés dans la région, ils détiennent en bien familial tout le Sundgau jusqu’aux environs de Colmar, le Val-de-Villé et la haute vallée de la Bruche. Comme, de plus, ils sont empereurs sans interruption depuis 1437, ils ont juridiction sur la Décapole d’Alsace ainsi que sur les autres villes impériales ;
- L’évêque de Strasbourg : s’il n’est plus maître de la ville et réside à Saverne ou Molsheim, il est la seconde puissance politique de la région, mais une puissance en déclin, contestée depuis des décennies par les seigneurs protestants, la république de Strasbourg et son turbulent chapitre. Il sort terriblement affaibli d’une véritable guerre de religion qui a ruiné ses domaines (guerre des deux évêques, entre 1592 et 1604), mais reste détenteur d’immenses domaines tant en Basse-Alsace (Saverne, Molsheim, Benfeld, Marckolsheim) qu’en Haute-Alsace (Mundat supérieur) ou sur la rive droite du Rhin (Ortenau).
- La ville-république de Strasbourg : modèle au siècle précédent de démocratie, cité pionnière de la Réforme, phare de l’humanisme, elle est cependant sur le déclin, celui-ci étant marqué par l’intolérance religieuse de ses dirigeants, quelques grandes faillites économiques et la désastreuse guerre des évêques dans laquelle elle s’est engagée. À l’abri de ses puissantes fortifications, elle reste cependant une puissance militaire redoutable.
Le reste du pays est partagé entre de nombreuses familles nobles ou potentats ecclésiastiques au rang desquels les Nassau-Sarrewerden, Hanau-Lichtenberg, Palatinat Deux-Ponts, Salm, Dabo-Linange, Ribeaupierre, Princes-abbés de Murbach, Montbéliard-Wurtemberg... sans compter des dizaines de petites seigneuries.
1618-1648
La Guerre de Trente Ans, outre qu’elle ruine totalement la région, apporte un changement politique fondamental : celui de la mainmise progressive de la France sur le pays. Elle est aussi, pour la France, l’occasion de desserrer l’étau de l’hyper-puissance des Habsbourg qui l’étouffe de toutes parts (Pays-Bas, Saint-Empire, Espagne).
Affrontement d’abord interne au Saint-Empire, la guerre dégénère rapidement en conflit européen avec les interventions danoise, suédoise et française. Elle touche l’Alsace dans la première moitié de l’année 1622 avec la campagne de terreur de Mansfeld, puis surtout à partir de 1631 avec l’intervention suédoise, reliée rapidement par celle de la France. Cette période de 1631 à 1640 est désastreuse pour l’Alsace, qui voit son sol ravagé par tous les belligérants : impériaux, Suédois de Horn, Allemands de Saxe-Weimar, Espagnols, Français, reitres et soudards de tout poil laissent le pays exsangue. Et, lorsque cessent les opérations militaires, la hampe du drapeau aux fleurs de lys est solidement plantée sur le territoire.
1648
Contrairement à l’opinion communément admise, les traités de Westphalie (Munster et Osnabrück) ne rattachent pas l’Alsace à la France, mais uniquement une partie de celle-ci, à savoir les territoires sur lesquels s’exerçaient jusqu’à présent les droits des Habsbourg : ainsi le roi de France succède à l’empereur dans ses prérogatives de Landgrave d’Alsace et acquiert la propriété souveraine des anciennes possessions de la maison d’Autriche dans la province. Il devient propriétaire de 432 localités sur les 1 110 que compte l’Alsace : le comté de Ferrette (266 communes), la seigneurie de Landser (45), la seigneurie de Masevaux (16), l’avouerie de Cernay (2), l’avouerie d’Ensisheim (19), la seigneurie d’Issenheim (3), les fiefs de Bollwiller (6), Landsberg (8), Val de Villé (23), Koenigsbourg (1) et les 40 villages du bailliage de Haguenau. Enfin, le roi obtient droit de protection[/b] sur la Décapole dont les villes restent cependant [i]villes d’empire.
Surtout, restent exclus du traité la République libre de Strasbourg, Mulhouse, les territoires épiscopaux et ceux de la noblesse immédiate d’empire, soit largement plus de la moitié du territoire.
Ainsi, le traité est assez flou pour laisser la place au droit du plus fort... D’ailleurs le conflit naît immédiatement entre les villes de la Décapole, qui se réclament de l’Empire, et le roi de France. Il ne sera tranché qu’en 1672, par la force lorsqu’éclatera la guerre de Hollande qui ruinera l’Alsace une seconde fois en moins de cinquante ans.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Le contexte de la guerre
Le 19 juillet 1870, La France déclare officiellement la guerre à la Prusse. Le 4 août, l’offensive prussienne est lancée sur Wissembourg où les Allemands anéantissent la division du général Douay. Le 6, c’est la bataille de Froeschwiller, où Mac-Mahon est défait. Les charges des cuirassiers de Michel à Morsbronn et de Bonnemain et Elsassenhausen ne procurent qu’un répit passager pour favoriser la retraite des Français. Le 12 août, La citadelle de Strasbourg est investie puis, devant son refus de se rendre, bombardée. Le 1er septembre, l’armée impériale est défaite à Sedan et l'Empereur fait prisonnier. Le 4, un gouvernement provisoire proclame la IIIe République et poursuit la guerre. Le 27, le général Uhrich, commandant de la place de Strasbourg, se rend. Les Prussiens entrent dans la ville.
Le 28 janvier 1871, dix jours après la proclamation de l’empire à Versailles, un armistice est signé et les négociations de paix débutent.
Entre temps, le 8 février, les Alsaciens déjà occupés sont autorisés, car encore Français, à élire la nouvelle assemblée nationale siégeant à Bordeaux. Ils élisent en masse des Gambettistes, favorables à la continuation de la lutte et au maintien de l’Alsace dans le giron français, au delà des clivages politiques qui séparent ces hommes : Le clérical Keller, le démocrate Kuss, Gambetta, Jules Favre, Denfert, le préfet Grosjean, soit en tout vingt-deux députés francophiles. En pleine négociation de paix, le 17 février, Keller proteste contre la volonté du gouvernement français de lâcher l’Alsace-Lorraine, comme Alsacien et comme Français, contre un traité qui est... une injustice, un mensonge et un déshonneur. Il réitère sa protestation le 1 mars, mais Thiers est intraitable. Le 18 février, sur ordre du gouvernement de la Défense Nationale, le commandant de la place de Belfort, Denfert Rochererau, se rend aux Prussiens. Sa résistance sauve Belfort de l’annexion allemande et Keller, député de la ville, reste la seule voix de l’Alsace au parlement français.
Le 26 février 1871, la France signe les préliminaires de paix acceptant l’annexion par le Reich de l’Alsace et d’une partie de la Moselle. Sitôt l'accord en poche, Jules Favre et Adolphe Thiers se rendent à Bordeaux et obtiennent de l'Assemblée nationale qu'elle ratifie dans l'urgence le document. C'est chose faite (83% de oui) le dimanche 2 mars, soit un jour tout juste après la date prévue pour le défilé de la victoire des troupes allemandes.
Principales clauses du traité
Le traité de Francfort du 10 mai 1871 cède aux vainqueurs la totalité de l’Alsace (hors Belfort) et un fragment de la Lorraine, soit la majeure partie de la Moselle, la majeure partie des arrondissements de Château-Salins et de Sarrebourg (Meurthe), le canton de Schirmeck et la majeure partie du canton de Saales (Vosges)... La France renonce en faveur de l’Empire allemand à tous ses droits et titres sur les territoires situés à l’est de la frontière ci-après désignée... et marquée en vert sur deux exemplaires conformes à la carte du territoire formé par le gouvernement général d’Alsace, et publiée à Berlin en septembre 1870 par la division géopolitique et statistique de l’état-major allemand....
Le 9 juin, Bismarck fait voter une loi déterminant le statut de l’Alsace au sein de l’Empire : juridiquement, l'Alsace et la Lorraine thioise (où l’on parle le dialecte germanique) deviennent un Reichsland, une terre d’empire et non un membre à part entière de la fédération qui vient de naître en Allemagne. Elle n’aura de représentation ni au Reichstag ni au Bundesrat. Elle aura un président supérieur, Von Moeller, qui avait réussi l’assimilation de la Hesse, et des Kreisdirektöre, équivalents des sous-préfets, tous Allemands. Les professeurs de l’enseignement secondaire seront tous Allemands, chargés de germaniser, comme devra le faire l’université impériale établie en 1872. La clause de la dictature permet de prendre toute mesure d’exception en cas de danger pour la sécurité publique. Enfin, tout fonctionnaire aura l’obligation de prêter serment au Reich.
Pour plus de quarante-cinq ans, l’Alsace se trouve annexée au Second Reich.
Carte Marie-Georges Brun, 2010
Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. 220 000 Alsaciens-Lorrains sont mobilisés dans l’armée allemande. La loi sur la dictature est rétablie. Dès le 5 août, déboulant par la vallée de la Thur, l’armée française de Bonneau se rue sur Mulhouse, prise le 8, malgré un semi échec sur Altkirch où l’artillerie allemande stoppe une division de cavalerie progressant vers Huningue. Les Allemands de Diemling contre-attaquent, reprennent Mulhouse le 10 août, obligeant Bonneau à se retirer sur Thann.
Le 14 août, le général Pau lance simultanément deux offensives sur l’Alsace : la première par la trouée de Belfort, la seconde par les principales vallées Vosgiennes (Thann, Guebwiller, Munster, Ste Marie, Urbès, Steige, Schirmeck). Dès le 14, les Allemands sont défaits à Saint-Blaise et évacuent la vallée de Schirmeck. Le 19, les combats font rage à Altkirch où tombe Plessier, le premier général français tué au combat, à Dornach, Flaxlanden et Luemschwiller. Les Allemands reculent et Pau entre à Mulhouse puis à Colmar. Mais la bataille de Sarrebourg est perdue par le général Castelnau. Pau fait évacuer la Haute-Alsace le 24 août. Les Allemands reviennent alors sur leurs positions antérieures, mais la vallée de Thann reste aux Français. Thann est déclarée capitale provisoire de l’Alsace française.
À l’automne 1914, une terrible bataille est déclenchée au col du Bonhomme, objet de l’attention du haut état-major français... et de l'artillerie allemande. C’est la bataille de la Tête-des-Faux, qui s’achève en décembre.
5 janvier : à la bataille de Steinbach, le 152e RI enlève le village de Steinbach, près de Cernay, pour assurer le contrôle de Thann. La bataille fait 1 500 victimes, dont 800 fantassins français.
18 janvier 1915 : début de la bataille du Vieil-Armand ou Hartmanswillerkopf (HWK), petit poste d’observation des chasseurs alpins que les Allemands veulent contrôler. D’un intérêt stratégique relatif, le HWK va devenir une sinistre boucherie par pur prestige militaire. Pendant un an ce champ de bataille relativement étriqué (6 km2) va voir attaques et contre-attaques se succéder (particulièrement fin mars et fin décembre), sans aucun gain stratégique. Le front ne se stabilise qu’en janvier 1916. La bataille aura tué au moins 15 000 jeunes gens dans chaque camp.
Les combats font rage durant des mois entiers à la Fontenelle Ban-de-Sapt, où la guerre de mines se déclenche à partir de mars 1915, à la cote 627. Le 22 juin, le front est enfoncé par une attaque qui prend 627. Le 8 juillet, la cote 627 est reprise puis, le 24, le hameau de Launois. Les Allemands contre-attaquent sans cesse mais ne parviennent pas à reprendre le terrain. Le front se stabilise. Entre 3 et 4 000 victimes jonchent le terrain.
Avril 1915 : voulant prendre Munster en tenaille, Joffre ordonne de prendre trois sommets charnière défendant la vallée : le Lingekopf, le Schratzmaennelé, le Barrenkopf, redoutablement bien fortifiés par les Allemands. Jusqu’à octobre se succèdent des vagues et des contre-vagues d’assaut, particulièrement en juillet et en août. La journée du 4 août voit 40 000 obus allemands pulvériser morts et vivants. Le Linge sera le cimetière des chasseur alpins. En octobre, les Allemands reprennent ce qu’avaient conquis les Français et le front se stabilise. 17 000 soldats ont payé de leur vie la tragique erreur du haut commandement français.
Jusqu’en 1918, le front de la ligne bleue de Vosges restera stabilisé.