Par Christelle Strub
Publié le 1er octobre 2010
Jardin d’Eden ou lieu de l’amour courtois, le jardin peut aussi devenir un jardin des morts et le cimetière un jardin du souvenir.
Vue des carrés paysagers en voie d’occupation par les tombes
Photo anonyme, v. 1930
© Archives de Strasbourg (6 OS 251)
Des urnes funéraires, des pierres tombales ou des cyprès commémoratifs sont installés dans les jardins paysagers anglais dès le XVIIIe siècle.
Les Nuits du poète anglais Edward Young (1742) annoncent le thème romantique de la méditation nocturne sur la tombe. Le jardin devient alors un jardin des morts, un lieu de la mémoire, un lieu de promenade propice à la réflexion sur la vie et l’au delà.
C’est ainsi qu’à Strasbourg le baimele-maire Georges-Frédéric Schützenberger (1837-1848) fait planter des arbres dans les cimetières de la ville, en particulier dans celui de Saint-Gall où il est inhumé.
Les premiers véritables cimetières-jardins apparaissent aux Etats-Unis au XIXe siècle, en Allemagne à la fin du XIXe siècle (Nordfriedhof de Munich, et Hauptfriedhof de Pforzheim) et se développent en France dans la seconde moitié du XXe siècle sous l’impulsion de l’architecte Robert Auzelle (1913-1983, cimetières de Clamart, de Valenton et de Villetanneuse). En Alsace, le cimetière nord de Strasbourg est le premier cimetière de ce type, et il reste, aujourd’hui encore, une exception.
L'usage de la crémation en France est autorisé depuis la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles. Des sites cinéraires destinés à accueillir les cendres dispersées des personnes décédées ont été progressivement aménagés dans les cimetières français. Ces sites sont appelés des jardins du souvenir. Leur existence est aujourd’hui codifiée par la loi, dans le Code général des collectivités territoriales.
Cimetière nord de Strasbourg
Photo F. Zvardon
© Région Alsace - Service de l'Inventaire et du Patrimoine, 2009
Après 1870, l'accroissement de la population de Strasbourg oblige la municipalité à ouvrir de nouveaux cimetières : le cimetière central à Cronenbourg, le cimetière sud au Neuhof et le cimetière nord. Celui-ci est aménagé, entre 1914 et 1922, dans un quartier encore peu urbanisé, situé au nord-est de Strasbourg et appelé la Robertsau.
En 1912, la municipalité décide en effet d’y acquérir un terrain. Le conseil muunicipal décide la création du cimetière à la veille de la première guerre mondiale, le 6 mai 1914. Le cimetière est dessiné par l’architecte de la ville, Fritz Beblo (1872-1947).
Architecte originaire d’Allemagne orientale, il œuvre à Strasbourg de 1903 à 1918. Il a fortement marqué l’architecture de Strasbourg au début du siècle en construisant de nombreuses écoles, les bains municipaux, ou en réalisant la Grande percée, actuelle rue du 22 Novembre.
Il commence les travaux du cimetière nord que son successeur Paul Dopff (1885-1968), architecte en chef de la ville, terminera après la première guerre mondiale.
Fritz Beblo conçoit, au regard des cimetières alors créés en Alsace, un aménagement paysager original et assez proche de réalisations allemandes contemporaines.
Il prévoit ainsi la construction d’un bâtiment principal destiné à accueillir le premier crématoire de la ville (la crémation n'étant pas tolérée par la religion catholique jusqu’en 1963, elle est donc destinée essentiellement aux autres religions et aux athées), deux salles funéraires, un dépositoire (local dans lequel sont déposées les corps avant les funérailles), des salles pour les proches des défunts, les bureaux des ministres du culte et du médecin, la salle d’autopsie et deux logements de fonction.
Ce long bâtiment de style néo-classique se dresse en bordure d’une vaste pièce d’eau, elle-même bordée d’une allée ombragée. Les tombes sont, quant à elles, disposées selon un plan régulier, en carrés délimités par des haies. Au sein de chaque section, les monuments funéraires ne sont pas alignés mais espacés. Dans ce jardin funéraire, la douleur de la mort est atténuée et remplacée par une invitation à la promenade, au recueillement, à la sérénité.
Les travaux d’aménagement du cimetière nord sont engagés en 1914-1915. Interrompus par la guerre, ils reprennent en 1919, pour s’achever en 1922.
Les premières inhumations ont lieu dès juillet 1916. Le crématoire et l’obitoire sont inaugurés en avril 1922. Un service d’horticulture voit le jour dès 1916, et des serres, qui servent à la production de plantes pour les différents cimetières de la ville, sont construites à proximité du cimetière. Les familles pouvaient, en outre, bénéficier d’un contrat d’abonnement pour le fleurissement de leur tombe.
Le cimetière a connu plusieurs agrandissements depuis 1936. S'étendant aujourd’hui sur dix-huit hectares, il s'agit de la plus grande nécropole strasbourgeoise.
Plusieurs personnalités y ont leur sépulture, dont l’ancien directeur des musées de Strasbourg et créateur du jardin médiéval de l'Œuvre Notre-Dame, Hans Haug. Un jardin du souvenir réservé à la dispersion des cendres est ouvert en 1979.
Un carré dit du Struthof perpétue également le souvenir des victimes de la barbarie nazie.