Par André Studer
Publié le 1er octobre 2010
Retour à Mulhouse au XIXe siècle
C’est de la place de la République que partent les six rues radiales du Nouveau quartier, créé entre 1827 et 1841 par les industriels mulhousiens. Le nom de République est attribué à cette place depuis 1919, c'est-à-dire depuis le retour de Mulhouse et de l’Alsace dans le giron de la France républicaine. Auparavant, elle était en effet nommée place de la Bourse, place du Nouveau quartier ou Neuquartier Platz.
Dans les années 1820, la ville étouffe derrière ses remparts médiévaux : la place manque autant pour les manufactures dont certaines se sont déjà installées hors les murs que pour le logement des ouvriers et des patrons. Juste après la création de la SIM (Société Industrielle de Mulhouse) en 1826, le projet initié par Nicolas Koechlin, qui veut en même temps créer un quartier d’affaires et développer un ensemble d’habitations bourgeoises, est finalisé en janvier 1827 par la création d’une société Koechlin, Dollfus et Mérian, du nom d’un banquier suisse. Les travaux durent jusqu’en 1841 et le projet initial n’est finalement réalisé que partiellement.
Il convient de rappeler que la SIM a été créée par un groupe de jeunes fils de famille mulhousiens. La plupart de ses fondateurs faisaient partie de la loge maçonnique mulhousienne de la Parfaite Harmonie, créée elle-même en 1809 par dix-sept négociants et industriels mulhousiens, dont Dollfus, Koechlin, Schlumberger. La SIM fonctionne par comités spécialisés (chimie, mécanique, beaux arts), qui constituent une sorte de grands laboratoires d’idées et qui sont à l’origine de nombreux projets, de nombreux progrès économiques, sociaux, techniques et urbanistiques.
Place de la République et square de la Bourse
Photo Kohler-Dietz, v. 1900
Coll. Archives municipales de Mulhouse (18TT)
Au premier plan de cette photographie, il est possible d'identifier la place de la République avec son rond-point éclairé par cinq lanternes, à l’identique du rond-point situé près de la porte du Miroir. De cette place partent ou débouchent sept autres rues ou avenues. Nous en voyons quatre qui, de gauche à droite, sont les suivantes : l’actuelle rue Poincaré, qui mène au pont de Riedisheim et au village du même nom (c’est aussi ce nom que portait la rue avant 1919), l'avenue du Maréchal Joffre, l’avenue du Maréchal Foch et la rue Wilson.
On peut également remarquer la fontaine située à la pointe du triangle occupé par le square de la Bourse. Derrière elle, on devine le kiosque au toit blanc, d’où partent les grilles métalliques qui cernent le square. Nous voyons également deux cafés jumeaux, parmi les plus renommés de Mulhouse et dont on peut lire l’enseigne. Comme depuis 2006, une ligne de tramway traversait la place de la République, mais elle empruntait la rue Wilson et non, comme aujourd’hui, l’avenue du maréchal Joffre.
Le Nouveau quartier s’organise autour d’une place de forme triangulaire, un exemple qui serait unique dans le monde et dont on se demande encore quel motif l'aurait inspiré. Pour certains, cela est en lien avec la figure maçonnique du triangle, alors que pour d’autres, cela est tout simplement dû à la configuration du terrain. Sur les plans d’origine figure un arc de triomphe qui devait marquer l’entrée de ce quartier mais cet arc n’a jamais été réalisé.
Le square de la Bourse est au centre de trois rues à arcades -les deux architectes strasbourgeois engagés par Nicolas Koechlin se seraient inspirés de la rue de Rivoli- qui portent actuellement les noms de rue de la Bourse (Börsen Strasse à l’époque allemande), et des avenues du Maréchal Foch et du Maréchal Joffre. Le square est le premier jardin urbain de la ville. Pendant longtemps, il a été clos par une palissade en bois, puis par des grilles métalliques. D’abord privé, il a été ouvert partiellement au public en 1884, puis totalement à partir de 1925.
Le kiosque à journaux et la fontaine situés à la pointe du triangle, qui figurent sur de nombreuses photos et lithographies du passé, ont disparu mais, depuis 2002 on y a déplacé le monument dédié à Jacques Koechlin, fondateur de l’orphelinat de Mulhouse.
Vue de l'entrée de la ville en venant du Nouveau quartier
Dessin d'ap. nature J. Pedraglio, s.d.
Coll. Archives municipales de Mulhouse
Cette lithographie représente une portion d’espace à partir de la place de la République, l’artiste étant placé sur celle-ci et regardant vers la vieille ville et la rue du Sauvage. Il est possible de lire Auberge aux drapeaux à l’angle de celle-ci et de ce qui était encore la rue de Bâle. On distingue aussi nettement, parmi les différents types de voitures, une diligence tirée par deux chevaux fouettés par le cocher et dans laquelle ont pris place quatre rangées de voyageurs.
Le petit côté du triangle est fermé par l’hôtel de la SIM, siège à l’origine de la bourse aux cotons (d'où le nom de la rue par laquelle on entre dans le bâtiment). Le triangle est bordé sur ses deux grands côtés par deux avenues, celle du Maréchal Foch, anciennement avenue du commerce ou Handelsstrasse et par celle du Maréchal Joffre, anciennement rue de la paix ou Friedensstrasse.
Les quatre autres rues qui partent de la place de la République sont :
Vue de la place triangulaire
Dessin d'ap. nature J. Pedraglio, s.d.
Coll. Archives municipales de Mulhouse
Pour la lithographie ci-contre, l’artiste regarde dans la direction opposée à la première, c'est-à-dire vers la gare de voyageurs de Mulhouse et donc vers le rebord du Sundgau.
De gauche à droite, il est possible de lire, sur la devanture des immeubles: café Altenberger, estaminet, Société industrielle, Casino de la Bourse, déjeuner, Imprimerie P. Baret, Bureau de l’Industriel alsacien, Papiers et Registres. On peut en déduire que les lithographies sont probablement plus anciennes que la photographie, dans la mesure où les noms sur les façades de immeubles sont en français et que la traction est purement hippomobile.
Il est également possible de noter quelques caractéristiques en matière d’architecture. On distingue en effet nettement les arcades sur deux des trois côtés de l’espace triangulaire, et l'on voit aussi que tous les immeubles se limitent à la hauteur autorisée de trois étages.
Appartement du Nouveau quartier
Plan sur calque anonyme, fin XIXe siècle
Coll. Archives municipales de Mulhouse (JIIE)
L’adresse et le propriétaire de cet appartement sont indiqués en haut à gauche. Le document porte deux signatures : celle du représentant (Vertreter : est-ce Rueff ?) de la firme Les fils d’Emmanuel Lang et celle de l’entrepreneur chargé des travaux ou des transformations (en rouge sur le plan).
La cuisine, la salle de bains, les toilettes ainsi qu’une pièce de 5,15 mètres sur 3,60 mètres, dont la destination n’est pas indiquée, ont une fenêtre sur une cour. Cinq pièces donnent sur une des deux rues, celle du milieu (Rauchzimmer) donnant même sur les deux rues à la fois. Au centre du plan est représenté un espace un peu allongé, sans fenêtre, appelé Vorzimmer (antichambre ?).
À droite du plan figure le nom du voisin avec lequel l'appartement à un mur commun, M. Thierry Ruckert, donc du côté rue de Riedisheim. Le nom du voisin du côté rue de la Bourse ne figure pas sur le plan.
Charles X visitant l'exposition des produits de l'industrie de Mulhouse
Lith. Godefroy Engelmann, 1829
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 661794)
En septembre 1828, Charles X (premier roi de France en visite officielle à Mulhouse ?) se rend sur les lieux du chantier du Nouveau quartier. Il est reçu avec faste par le maire Armand Blanchard et les industriels de la ville. On lui montre une exposition de produits industriels au premier étage du bâtiment central de l’actuel hôtel de la SIM.
Grâce aux propos tenus par le roi (Henri IV vous appelait ses bons amis, vous étiez alors Suisses. Maintenant vous êtes Français et je vous appelle aussi mes bons amis), il parvient à rallier à la monarchie les élites mulhousiennes plutôt bonapartistes, à l’instar de Nicolas Koechlin qui a servi Napoléon comme officier d’ordonnance.
En 1831, Louis-Philippe, successeur de Charles X, a également rendu visite à la ville et à ses habitants. Il s'agit d'une nouvelle preuve de la notoriété de Mulhouse et des mérites des Mulhousiens.