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Le Rhin, épine dorsale
de l'Alsace

Par Emmanuel Claerr

Publié le 1er octobre 2010

Le Rhin réunit tout. Le Rhin est rapide comme le Rhône, large comme la Loire, encaissé comme la Meuse, tortueux comme la Seine, limpide et vert comme la Somme, historique comme le Tibre, royal comme le Danube, mystérieux comme le Nil, pailleté d’or comme un fleuve d’Amérique, couvert de fables et de fantômes comme un fleuve d’Asie.

Victor Hugo, Le Rhin, Tome 2. De Saint-Goar à Francfort-sur-le- Mein.

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Avec ses 1 320 kilomètres de longueur, le Rhin n’arrive qu’au troisième rang des grands fleuves européens, après le Danube et la Volga.

Principal axe culturel et commercial en Europe centrale, il relie les Alpes et la mer du Nord en traversant ou longeant pas moins de six pays : la Suisse, le Lichtenstein, l’Autriche, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. Voie fluviale la plus fréquentée d’Europe, le Rhin est navigable sur 883 kilomètres, de son embouchure à la région de Bâle.

Depuis des siècles, de nombreuses villes et d’importantes zones industrielles occupent ses rives. Le long du fleuve s’étend un réseau ferroviaire et routier parmi les plus développés du monde.

Le nom du Rhin

Le nom Rhin vient initialement du celte et signifie eaux courantes de grande étendue. Plus tard, les Romains ont repris cette signification et ont appelé le fleuve Rhenus. Le Rhin porte différents noms dans les langues parlées dans le bassin versant :

Les sources et le parcours du Rhin

Sous-bassins du Rhin

Sous-bassins du Rhin
Carte CIPR, s.d.
Coll. Commission Internationale pour la Protection du Rhin

Le Rhin naît de deux sources situées dans les Alpes suisses (canton des Grisons). L’une, située à 2 341 mètres dans le massif du Saint-Gothard, alimente le Rhin antérieur (Vorderrhein) ; l’autre, à 2 216 mètres dans le massif de l’Adula, alimente le Rhin postérieur (Hinterrhein). Tous deux se réunissent au niveau du village helvétique de Reichenau, où ils deviennent le Rhin alpin, qui marque la frontière entre la Suisse et l’Autriche.

Il traverse ensuite le lac de Constance (Bodensee). Après la célèbre chute de Schaffhouse haute de 25 mètres, il devient le Haut Rhin (Hochrhein) et se dirige vers l’ouest. Dès lors, il sert de frontière entre l’Allemagne et la Suisse.

En aval de Bâle, il bifurque vers le nord : il prend alors le nom de Rhin supérieur (Oberrhein), et serpente sur plus de 300 kilomètres. Il marque ensuite brièvement la frontière entre la Suisse et la France puis, sur 180 kilomètres, celle entre la France et l’Allemagne. Il délimite enfin plusieurs Länder allemands. À Mayence, le fleuve se dirige à nouveau vers l’ouest mais à Bingen, il opte pour le nord.

C’est le Rhin moyen (Mittelrhein) qui traverse l’ensemble schisteux rhénan sur 110 kilomètres. À partir de Bonn, il devient le Rhin inférieur (Niederrhein). Parvenu à la frontière hollandaise près de Emmerich, il glisse encore vers l’ouest et se subdivise pour former le delta du Rhin, où vient se jeter la Meuse. De Reichenau à la mer du Nord, le fleuve aura ainsi parcouru près de 1 320 kilomètres.

Au total, le bassin hydrographique rhénan couvre quelque 250 000 km², où vivent 51 millions de personnes.

Parmi les nombreux affluents du Rhin, on compte le Aar en Suisse ; l’Ill en France ; la Kinzig, le Neckar, le Main, la Lahn, la Moselle, la Ruhr et la Lippe en Allemagne, pour ne citer que les plus importants.

Le débit du Rhin

Débit moyen annuel du Rhin à Lauterbourg (1997-2010)

Débit moyen annuel du Rhin à Lauterbourg (1997-2010)
Schéma Service de navigation de Strasbourg, 2007
Coll. HYDRO - MEDD/DE

Chose étonnante, à sa confluence avec le Rhin (avant Bâle), l’Aar a un débit supérieur à celui du Rhin (610 mm³.s-1 contre 410 m³.s-1). Le débit étant normalement le critère décisif pour le choix du nom du fleuve, le Rhin aurait dû s’appeler Aar ! Toutefois, le Rhin ayant le cours le plus long avant cette confluence, son nom s’est imposé.

Le Rhin supérieur a un régime nival : la période des hautes eaux correspond à la fonte des neiges dans les Alpes, c’est-à-dire en mai-juin : c’est le Rhin des Cerises (Kirschenrhein). La période des basses eaux se situe en hiver.

Le Rhin dans l'histoire : tantôt frontière, tantôt axe d'échangesRevenir au début du texte

Le Rhin a fait l'Alsace

C’est une banalité d’écrire que le Rhin a fait l’Alsace.

Pourtant cette affirmation est aussi vraie sur le plan historique que sur le plan géographique, car cette province ne serait pas devenue ce qu’elle est si elle n’avait pas été, tantôt défendue, tantôt simplement bordée, par ce fleuve qui fut, suivant la situation politique tantôt frontière, et tantôt axe de commerce et de relations culturelles.

Jean-Jacques HATT, Le Rhin dans l’Histoire, Saisons d’Alsace, n°12, Automne 1964

Le Rhin dans l’Histoire

Le Rhin dans l’Histoire
Axe des temps Emmanuel Claerr, 2010

Télécharger l' axe des temps (axe_temps.pdf - 2 pages - 348 mo). De l'époque celte à aujourd'hui, il retrace les périodes de l'histoire où le fleuve fut tantôt frontière, tantôt un axe de commerce et de relations culturelles florissant.

Un fleuve frontière ou axe de communication entre les hommes

Oui, mon ami, c’est un noble fleuve, fédéral, républicain, impérial, digne d’être à la fois français et allemand.

Il y a toute l’histoire de l’Europe considérée sous ses deux grands aspects, dans ce fleuve des guerriers et des penseurs, dans cette vague superbe qui fait bondir la France, dans ce murmure profond qui fait rêver l’Allemagne.

Victor Hugo, Le Rhin, tome 1

Le Rhin des poètes et des conteursRevenir au début du texte

Le Rhin, fleuve légendaire et turbulent, a inspiré les écrivains. Le XIXe siècle voit ainsi défiler sur ses rives nombre d’auteurs allemands, français et même britanniques qui vont, par leurs écrits, susciter un véritable tourisme rhénan.

Pour les auteurs allemands, on pense tout d’abord au jeune Goethe qui découvre, émerveillé, l’Alsace au milieu des plaines bénies de Dieu. Pour Heinrich von Kleist, l’imagination la plus exubérante ne peut concevoir rien de plus beau que cette vallée.

Les écrivains français, eux aussi, se succèdent : Dumas, Gérard de Nerval, Alphonse Daudet ou Victor Hugo, dont un volume entier, de taille imposante, relate sous le titre Le Rhin le voyage fait par son auteur en Rhénanie dans les années 1838-1839...

Ann Radcliffe (Retour le long du Rhin), Wordsworth (Souvenirs d’un voyage sur le continent), Lord Byron (Childe Harold’s Pilgrimage) ou encore Mary Shelley (dont le personnage, Frankenstein, descend le Rhin de Strasbourg à Rotterdam), vont donner à leurs compatriotes l’envie de découvrir le Rhin : entre 1837 et 1849, on passa de 150 000 à 1 million de voyageurs par an. Il est à noter qu'un grand nombre d'entre eux est anglais.

Goethe

Goethe
Portrait Josef Lehmkuhl, s.d.

Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832)

À vingt ans, Goethe vient à Strasbourg pour poursuivre ses études de droit. Il découvre la ville depuis la plate-forme de la cathédrale :

Je vis donc, du haut de la plate-forme, cette belle contrée qui était devant moi, et dans laquelle je devais séjourner et vivre quelque temps, les prés d’alentour remplis, entremêlés d’arbres superbes et touffus, cette richesse surprenante de végétation, qui, suivant les bords du Rhin, en marque les rives, les îles et les bas-fonds. Le terrain qui descend du côté du sud, et qui est arrosé par l’Ill, est également décoré d’une verdure brillante ; même du côté de l’ouest, près des montagnes se trouve beaucoup de vallons, où des bois et des prairies présentent un aspect attrayant, tandis que la partie septentrionale, plus accidentée, est coupée de petits ruisseaux, en nombre infini, qui hâtent partout la végétation.
Goethe, Poésie et Vérité, 1831.

Gérard de Nerval

Gérard de Nerval
Grav. anonyme, 1840

Gérard de Nerval (1808-1855)

Vous comprenez que la première idée du Parisien qui descend de voiture à Strasbourg est de demander à voir le Rhin ; il s’informe, il se hâte, il fredonne avec ardeur le refrain semi-germanique d’Alphonse Karr : Au Rhin ! au Rhin ! c’est là que sont nos vignes ! Mais bientôt il apprend avec stupeur que le Rhin est encore à une lieue de la ville. Quoi ! le Rhin ne baigne pas les murs de Strasbourg, le pied de sa vieille cathédrale ?... Hélas ! non. Le Rhin à Strasbourg et la mer à Bordeaux sont deux grandes erreurs du Parisien sédentaire. Mais, tout moulu qu’on est du voyage, le moyen de rester une heure à Strasbourg sans avoir vu le Rhin ? Alors on traverse le moitié de la ville, et l’on s’aperçoit à peine que son pavé de cailloux est plus rude et plus raboteux encore que l’inégal pavé du Mans, qui cahotait si durement la charrette du Roman comique. On marche longtemps encore à travers les diverses fortifications, puis on suit une chaussée d’une demi-lieue, et quand on a vu disparaître enfin derrière soi la ville tout entière, qui n’est plus indiquée à l’horizon que par le doigt de pierre de son clocher, quand on a traversé un premier bras du Rhin, large comme la Seine et une île verte de peupliers et de bouleaux, alors on voit couler à ses pied le grand fleuve, rapide et frémissant, et portant dans ses lames grisâtres une tempête éternelle. Mais de l’autre côté, là-bas à l’horizon, au bout du pont mouvant de soixante bateaux, savez-vous ce qu’il y a ?... Il y a l’Allemagne ! la terre de Goethe et de Schiller, le pays d’Hoffmann ; la vieille Allemagne, notre mère à tous !... Teutonia.
Gérard de Nerval, La Lorely, 1853.

Victor Hugo en 1879

Victor Hugo en 1879
Portrait Bonnat Léon Joseph Florentin, 1879

Victor Hugo (1802-1885)

Vous savez, je vous l'ai dit souvent, j'aime les fleuves. Les fleuves charrient les idées aussi bien que les marchandises. Tout a son rôle magnifique dans la création. Les fleuves, comme d'immenses clairons, chantent à l'océan la beauté de la terre, la culture des champs, la splendeur des villes et la gloire des hommes. Et, je vous l'ai dit aussi, entre tous les fleuves, j'aime le Rhin. […] Ce soir-là, quand je vis le Rhin pour la première fois, cette idée ne se dérangea pas. Je contemplai longtemps ce fier et noble fleuve, violent, mais sans fureur ; sauvage, mais majestueux. Il était enflé et magnifique au moment où je le traversais. Il essuyait aux bateaux du pont sa crinière fauve, sa barbe limoneuse, comme dit Boileau. Ses deux rives se perdaient dans le crépuscule. Son bruit était un rugissement puissant et paisible. Je lui trouvais quelque chose de la grande mer.
Victor Hugo, Le Rhin, 1842, Tome 2 De Saint-Goar à Francfort-sur-le-Mein.

Rien ne se ressemble moins en apparence qu'un arbre et un fleuve ; au fond pourtant l'arbre et le fleuve ont la même ligne génératrice. Examinez, l'hiver, un arbre dépouillé de ses feuilles, et couchez-le en esprit à plat sur le sol, vous aurez l'aspect d'un fleuve vu par un géant à vol d'oiseau. Le tronc de l'arbre, ce sera le fleuve ; les grosses branches, ce seront les rivières ; les rameaux et les ramuscules, ce seront les torrents, les ruisseaux et les sources ; l'élargissement de la racine, ce sera l'embouchure. Tous les fleuves, vus sur une carte géographique, sont des arbres qui portent des villes tantôt à l'extrémité des rameaux comme des fruits, tantôt dans l'entre-deux des branches comme des nids ; et leurs confluents et leurs affluents innombrables imitent, suivant l'inclinaison des versants et la nature des terrains, les embranchements variés des différentes espèces végétales, qui toutes, comme on sait, tiennent leurs jets plus ou moins écartés de la tige selon la force spéciale de leur sève et la densité de leur bois. Il est remarquable que si l'on considère le Rhin de cette façon, l'idée royale qui semble attachée à ce robuste fleuve ne l'abandonne pas […]. Si l’on redresse par la pensée debout sur le sol l’immense silhouette géométrale du fleuve, le Rhin apparaît portant toutes ses rivières à bras tendu et prend la figure d’un chêne. Les innombrables ruisseaux dans lesquels il se divise avant d’arriver à l’océan sont ses racines mises à nu.
Victor Hugo, Le Rhin, 1842, Tome 3 De Mannheim à Lausanne.

Théophile Gautier

Théophile Gautier
Photo Gaspard-Félix Tournachon, 1856

Théophile Gautier (1811-1872)

Le Rhin avait essuyé à fond la barbe limoneuse que lui prête Boileau, et il ruisselait rapide et limpide , bouillonnant aux bateaux du pont, et laissant à découvert de grandes places de son lit, temporaires îles de sable que la première crue doit recouvrir.
Théophile Gautier, Loin de Paris, 1865.

Alphonse Daudet

Alphonse Daudet
Photo anonyme, fin XIXe siècle

Alphonse Daudet (1840-1897)

Quelquefois aussi nous restions des journées entières sans entrer dans un village. Nous cherchions des taillis, les chemins couverts, ces petits bois grêles qui bordent le Rhin et où sa belle eau verte vient se perdre dans le coin de marécage tout bourdonnant d’insectes. De loin en loin, à travers le mince réseau des branches, le grand fleuve apparaissait chargé de radeaux, de barques toutes pleines d’herbage coupés dans les îles, et qui semblaient elles-mêmes de petites îles éparpillées, emportées par le courant.
Alphonse Daudet, Contes du lundi, Alsace ! Alsace !, 1873.

Alphonse de Lamartine

Alphonse de Lamartine
Portrait Elizabeth Latimer, fin XIXe siècle

Alphonse de Lamartine (1790-1869)

Roule libre et superbe entre tes larges rives
Rhin, Nil de l’Occident, coupe des nations !
Et des peuples assis qui boivent tes eaux vives
Emporte les défis et les ambitions !

Alphonse de Lamartine, La Marseillaise de la Paix, 1841.

Guillaume Apollinaire

Guillaume Apollinaire
Photo anonyme, 1er août 1914

Guillaume Apollinaire (1880-1918)

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes

Sur un fifre lointain un air de régiment
Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes.

Guillaume Apollinaire, Alcools-Rhénanes-Mai , 1898-1913.

Alexandre Dumas

Alexandre Dumas
Portrait anonyme, XIXe siècle

Alexandre Dumas (1802-1870)

Il est difficile, à nous autres Français, de comprendre quelle vénération profonde les Allemands ont pour le Rhin. C’est pour eux une espèce de divinité protectrice qui, outre ses carpes et ses saumons, referme dans ses eaux une quantité de naïades, d’ondines, de génies bons ou mauvais, que l’imagination poétique des habitants, voit le jour, à travers le voile de ses eaux bleues, et la nuit, tantôt assises tantôt errantes sur ses rives. Pour eux le Rhin est l’emblème universel ; le Rhin c’est la force ; le Rhin c’est l’indépendance ; le Rhin c’est la liberté. Le Rhin a des passions comme un homme ou plutôt comme un Dieu. Le Rhin aime et hait, caresse et brise, protège et maudit. Pour l’un, ses eaux sont un doux lit d’algues et de roses, où le vieux père des fleuves, tout couronné de roseaux , et tenant son urne reversée, comme un dieu païen, l’attend pour lui faire fête. Pour l’autre, c’est un abîme sans fond, peuplé de monstres hideux à voir, et pareil au gouffre qui engloutit le pêcheur de Schiller.[…] Mais, de quelque façon qu’il soit envisagé, c’est un objet de crainte ou d’espérance ; symbole de haine ou d’amour, principe de vie et de mort. Pour tous c’est une source de poésie.
Alexandre Dumas, Les bords du Rhin, 1838-1839.