Par Vincent Cuvilliers
Publié le 15 octobre 2012
Jusqu’au début du XVIe siècle, l’Alsace ne dispose pas d’université. Les étudiants alsaciens fréquentent les universités les plus proches, comme celle d’Heidelberg, de Bâle, de Fribourg-en-Brisgau ou de Tübingen, ou les facultés les plus réputées comme celles de Paris, de Bologne ou de Padoue.
Les humanistes, reprochant de plus en plus aux universités une approche trop scolastique, prônent l’ouverture d’un nouveau type d’établissement, le collège, qui doit offrir aux élèves qui le fréquentent une bonne maîtrise des langues anciennes, une culture littéraire, une pratique de la rhétorique et une formation chrétienne.
Retour à L'école sous l'Ancien Régime
Jérôme Gebwiler
Ill. Heinrich Pantaleon, 1578
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 622469)
Au milieu du XVe siècle, Strasbourg ne possède pas d’école latine. L’enseignement est alors dispensé dans les paroisses et les couvents. La plus importante est l’école du grand chapitre de la cathédrale de Strasbourg, dirigée de 1509 à 1525 par Jérôme Gebwiler. Les élèves sont répartis en trois groupes de niveau, le premier regroupant les élèves qui apprennent le latin, le second la dialectique et le troisième la philosophie morale et naturelle.
En 1501, Wimpfeling propose au Magistrat de Strasbourg la création d’une école qui assurerait la liaison entre les écoles latines et l’Université. Ce projet ne trouve pas un écho favorable car le Magistrat ne veut pas s’opposer aux ordres religieux qui bénéficient d’un véritable monopole de l’éducation.
L’élan éducatif de la fin du XVe siècle engendre la création de nombreuses écoles latines, où l’enseignement est prodigué en latin. L’Alsace en compte plusieurs qui sont ouvertes grâce aux initiatives des conseils de fabrique. Il s’agit d’un phénomène particulièrement urbain. On a recensé des écoles latines dans les villes et bourgades de Masevaux, Thann, Guebwiller, Mulhouse, Kaysersberg, Ensisheim, Dannemarie, Obernai, Benfeld, Brumath, Ribeauvillé, Saverne, Colmar et Haguenau.
L’une des plus réputées écoles latines est celle de Sélestat.
Cahier d'écolier de Beatus Rhenanus
Beatus Rhenanus, 1499
Coll. Bibliothèque humaniste de Sélestat
En 1441, Louis Dringenberg prend la direction de l’école et y introduit les méthodes pédagogiques de l’humanisme rhénan. Il veut se mettre à la portée des élèves et se préoccupe de l’application des règles de grammaire, du style par l’explication des textes classiques latins et des Pères de l’Église.
De 1501 à 1509, Jérôme Gebwiler est le directeur et insiste sur l’art de parler en public et de rédiger des lettres. De 1510 à 1525, l’école est dirigée par Jean Witz Sapidus, qui introduit le grec dans les programmes. Durant cette période, l’école passe de 250 à près de 1 000 élèves.
Cette école est le prototype des gymnases protestants et des collèges jésuites, avec une répartition par classes de niveau et un enseignement de la littérature gréco-latine. Par cet enseignement, il s’agit de préparer les élèves aux études universitaires. L’enseignement est basé sur le trivium : la grammaire, la rhétorique et la dialectique.
Ci-contre, une page du cahier d'écolier de Beatus Rhenanus, qui a étudié à l'école latine de Sélestat entre 1498 et 1499, alors que Crato Hoffmann en était le directeur. Celui qui deviendra l'un des grands humanistes de son temps a annoté et commenté ces pages, avec un soin tout relatif. L'original est conservé à la Bibliothèque humaniste de Sélestat. Un tel ouvrage permet de saisir la réalité de l'enseignement qui se faisait alors, largement tourné vers l'étude des textes antiques (auteurs et textes étudiés, méthode d'analyse...). Beatus Rhenanus a ainsi étudié les Fastes d'Ovide, les Bucoliques et les Géorgiques de Virgile ou encore les Épigrammes de Martial.
L’essor des classes bourgeoises urbaines étend le besoin d’instruction en langue vernaculaire et se concrétise par l’ouverture d’écoles allemandes (deutsche Schulen). Ce mouvement n’est pas aisément quantifiable mais il semble que sa propagation soit rapide, comme le laisse entendre Sébastien Brant, dans la Nef des fous, lorsqu’il écrit que les écoles et les maîtres se multiplient tellement qu’on ne les estime plus et que l’on prend des docteurs même parmi les paysans.
Je ne veux pas ménager les étudiants,
le bonnet leur revient de droit,
et, s’ils le touchent seulement du bout des doigts,
la pointe leur tombe aussitôt dans le dos.
Car, au lieu d’étudier sérieusement,
ils recherchent plutôt leur amusement.
La jeunesse méprise les sciences.
Elle préfère s’instruire au hasard
de choses inutiles et stériles.
Aussi faut-il en faire le reproche aux Maîtres
qui ne savent plus enseigner la vraie culture
et qui se perdent en polémiques stériles :
– le jour fut-il avant la nuit ?
– l’âne descend-il d’un homme ?
– Socrate vaut-il plus que Platon ?
Voilà le savoir qui se vend actuellement
dans nos écoles !
Ne sont-ils pas fous et bourrés de stupidité,
ceux qui sont préoccupés jour et nuit par ces questions ?
S’en martyrisent et en tourmentent les autres,
mais la vraie science, elle, ne les touche pas.
… Ainsi va la jeunesse :
Elle part étudier à Leipzig, à Erfurt et à Vienne,
à Heidelberg, à Mayence et à Bâle,
pour rentrer finalement, tête basse,
quand tout l’argent est dépensé, dévoré.
Alors on s’estime heureux si on trouve un emploi
dans une imprimerie ou comme garçon de café.
Jean devient Petit-Jean !
L’argent fut ainsi bien placé.
Bonnet d’étudiant porte souvent clochettes.
BRANT Sebastian. La nef des fous. Réédition numérique (2011) du cahier Langue et Culture Régionales n°6. Le texte est librement téléchargeable au format PDF sur le site du CRDP d'Alsace.
Pour comprendre les changements qui s’opèrent dans le domaine de l’éducation aux XVe et XVIe siècles, il est indispensable de prendre en considération le débat religieux, opposant le catholicisme et le protestantisme.
L’alphabétisation est une condition indispensable à la propagation de la réforme protestante car elle est indispensable pour pouvoir assimiler les concepts nécessaires au salut. C’est pourquoi les réformateurs encouragent les autorités politiques et municipales à ouvrir des écoles, ce qui accélère le mouvement de scolarisation.
Bucer et Capiton manifestent un réel intérêt pour la pédagogie et adressent plusieurs mémoires au Magistrat de la Ville en 1524 et en 1525. Ils proposent l’ouverture de 6 écoles pour les garçons, 6 écoles pour les filles et 4 écoles latines, dont le financement serait assuré par les revenus des couvents. Les religieux passés à la Réforme doivent fournir le personnel nécessaire.
Le Magistrat crée une commission de trois membres, dénommés les scolarques, chargée de nommer les enseignants et de contrôler le fonctionnement des écoles. En 1534, une ordonnance scolaire précise qu’il sera interdit d’ouvrir une école sans l’autorisation des scolarques, qu’il y aura une séparation par sexe, que le droit d’écolage s’élèvera à 18 pfennigs par trimestre et qu’un programme devra être suivi. Ce programme, plutôt modeste, comprend la lecture, l’écriture et l’enseignement des préceptes religieux.Les progrès demeurent cependant lents. Les locaux sont étroits, les traitements sont médiocres et le maître d’école est en maintenant le sacristain. Après la peste de 1541, le nombre d’élèves baisse. En 1548, on estime à 6 paroisses sur 7 disposant d’une école de garçons et une école des filles.
En 1534, une troisième école latine est ouverte. Martin Bucer souhaite la fusion de ces trois écoles en une seule, installée dans le couvent des dominicains. Cet établissement scolaire, qui prend le nom de gymnase, doit former les futurs pasteurs. En raison de son succès, il inspire de nombreuses créations dans l’espace helvétique (Lausanne, Genève), français (Nîmes), germanique (Hornbach, Lauingen) et polonais. En 1566, la haute école est élevée par un privilège impérial au rang d’académie, ce qui permet de décerner les titres de bachelier et de maître ès arts. Un convent académique est alors composé de trois scolarques, du recteur, du doyen et de l’ensemble du personnel enseignant.
Collegium Argentinense
Grav. Jacques von der Heyden, Page de titre de l'œuvre de Jacob Wimpheling, 1651
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 702652)
En 1538, Jean Sturm prend, en qualité de recteur, la tête de l’école latine de Strasbourg, qu’il conservera jusqu’en 1581. Il entend élever une jeunesse lettrée mais aussi pieuse. L’école, qui prend alors le nom de Gymnase, réunit les classes élémentaires, secondaires et les premières années universitaires. Les programmes sont rédigés par le recteur lui-même qui s’inspire du modèle de l’école des Frères de la Vie Commune qu’il a fréquenté durant sa jeunesse. L’école est alors divisée en neuf classes qui occupent chacune des salles distinctes. Chacune d’entre elle a un maître particulier attitré dont la tâche consiste à exercer les élèves durant l’année scolaire.
Pietro Vermigli
Portrait S.l : s.n, 1550 ?
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 677020)
Les professeurs, appelés Schuldiener, sont au service de la ville et du Magistrat mais sont rémunérés par le chapitre Saint-Thomas.
Parmi les enseignants, on peut noter la présence de réfugiés italiens, comme les humanistes Vermigli et Tremellius, et français, comme les juristes Baudouin et Hotman. Les professeurs doivent s’engager à respecter la constitution politique et ecclésiastique de la ville, participer aux offices religieux et à la communion selon le rite des Églises de la Confession d’Augsbourg.
Accueillant près de 400 élèves, l’établissement se dote aussi de deux internats, le collège des prédicateurs et le collegium Wilhelmitanum.
Il s’agit d’une congrégation religieuse créée en 1381 par Gerd Groote (1340-1384). La grande nouveauté des écoles des Frères de la Vie Commune est l’organisation en classe de niveau :
L’éducation religieuse reste le but ultime des études. Il faut noter que les Frères de la Vie Commune ont recours au théâtre comme outil pédagogique. Ils utilisent aussi l’imprimerie afin de diffuser des manuels destinés à l’enseignement, comme des manuels de grammaire latine ou des recueils de textes latins.
Programmes | Exercices et examens | |
---|---|---|
9e | Apprendre à lire en latin et en allemand | 3 examens par an |
8e | Révisions Grammaire latine Parfaire l’écriture |
Manuel adapté aux élèves écrit en latin par Sturm Quelques phrases de Cicéron 3 examens par an |
7e | Révisions Grammaire latine |
Textes de Cicéron Thèmes (phrases dictées en allemands à traduire en latin) 3 examens |
6e | Révisions Grammaire latine Eléments de la langue grecque |
Textes de Cicéron Thèmes plus longs Manuel adapté aux élèves écrit en grec par Jean Sturm 3 examens |
5e | Révisions Grammaire latine Grammaire grecque |
Textes de Cicéron 1 thème grec par semaine 3 examens |
4e | Révisions Langue latine et vers latin grec |
Textes de Cicéron et Virgile Traduction de fables d’Ésope 3 examens |
3e | Révisions Langue latine et vers latin grec |
Textes de Cicéron et Virgile Textes de Lucien 3 examens |
2e | Révisions Dialectique Grec |
Livre écrit par Jean Sturm Textes de Cicéron Discours de Démosthène 1 examen annuel |
1e | Révisions Dialectique Grec |
Manuel écrit par Jean Sturm qui résume Aristote Manuel écrit par Jean Sturm sur les textes de Cicéron Textes de Démosthène et d’Homère Exercices écrits en latin et en grec |
C’est pourquoi, à moins que le nombre des élèves soit tel qu’un seul établissement soit insuffisant, il est préférable que les écoles soient réunies au lieu d’être dispersées. À Liège, Deventer, Zwolle et Wesel il y a des écoles littéraires groupées en un seul lieu et réparties en classes. (…)
L’ensemble des élèves (du Gymnase des Hieronymites de Liège) était réparti en huit classes :
1) La première classe était composée d’élèves qui apprenaient à lire, à écrire, à décliner et à conjuguer. Elle était appelée là-bas, la huitième.
2) La septième comprenait ceux qui étaient formés à la syntaxe et auxquels était imposée une technique plus poussée à l’intonation. On leur proposait quelques textes faciles à comprendre tirés des poètes et des orateurs dont les sentences étaient développées et l’importance de chaque passage était expliquée clairement et parfaitement. Ces textes étaient à nouveau repris à propos d’autres sentences pour que, en quelque sorte, une voie soit frayée en vue de la composition.
3) En sixième, une heure précise était réservée aux règles de grammaire. De nouvelles règles n’étaient pas annoncées, mais celles qui avaient été apprises étaient rappelées. On ajoutait toutefois certaines qu’il était nécessaire d’apprendre mais qui auraient été inopportunes en septième. Une explication de textes plus attentive était entreprise ici. Les élèves s’exerçaient à écrire sur des thèmes communs et en prose. Ils récitaient même des vers sur des rythmes précis et imposés. Ils commençaient à apprendre leurs règles.
4) En cinquième, les règles de grammaire qu’ils avaient apprises étaient reprises. En tenant compte des auteurs qu’ils avaient étudiés, ils en ajoutaient de nouveaux. Les historiens leurs étaient expliqués. Un style plus raffiné leur était enseigné et une plus grande pratique dans la composition des poèmes. Certaines règles de grammaire grecque étaient exposées.
5) En quatrième, la grammaire grecque était enseignée avec plus d’empressement. Les règles de dialectique et de rhétorique, indiquées seulement en cinquième, étaient enseignées. Les élèves ne faisaient pas simplement des exercices de style, mais après méditation et explication, ils récitaient ce qui tenait lieu de déclamation. Mais il faut que l’on prescrive ailleurs quelle doit être la règle de ce genre.
6) En troisième, les règles de dialectique et de rhétorique étaient révisées. Ensuite les auteurs grecs et les orateurs grecs étaient expliqués. On ne s’exerçait pas seulement sur des textes latins, mais également sur des textes grecs avec une application plus soutenue et une imitation plus scrupuleuse. Là encore, il faut indiquer les règles à suivre dans l’imitation et prescrire un usage précis de la langue.
7) En seconde, L’organon d’Aristote était expliqué. Les règles de rhétorique étaient parfaites. On lisait Platon, Euclide, les textes de droit. On faisait des exercices de déclamation.
8) En première l’étude de la théologie était poussée. Après proposition des questions, les disputes étaient organisées. Étaient réunis à ceux de la première, ceux qui étaient en seconde. (…)
Une telle organisation me paraît facile à établir dans cette ville. Car une fois les locaux bâtis et attribués, je ne vois pas d’autres frais à engager. (…)
Une telle création serait utile aux bourgeois, agréable aux villes et régions voisines, nécessaires aux générations futures. En effet tout l’espoir d’un État repose sur l’éducation de la jeunesse. Je ne vois pas comment le faible niveau des études répandu à travers la Germanie, pourrait être évité et écarté autrement que par une telle éducation de la jeunesse.
CRDP d’Alsace. L’Alsace du passé au présent : le XVIe siècle. Textes et témoignages.
Strasbourg : CRDP de Strasbourg, 1964, p. 36-37. Traduction de M. Kintz. Texte original en latin cité dans FOURNIER M. Les statuts et privilèges des Universités françaises depuis leur fondation jusqu'en 1879. Tome IV, n° 1977. Université de Strasbourg.
Durant la 9e année, l’élève apprend à lire et à écrire. Jean Sturm reconnaît l’éducation donnée par l’entourage familial puisque l’enseignant doit se baser sur les connaissances du catéchisme en allemand transmis par les parents.
Les classes sont divisées en groupes de dix élèves, appelées les décuries, menés par des décurions qui sont chargés de surveiller le travail et de conduire les apprentissages religieux.
Après les premières années, l’enseignement des langues latine et grecque devient prédominant et doit amener à l’assimilation des textes des auteurs antiques.
Il faut noter l’importance pour Jean Sturm de Cicéron, particulièrement apprécié pour la pureté de sa langue et sa maîtrise de la rhétorique.
À la fin du XVIe siècle, cette méthode d’enseignement disparaît peu à peu en raison des exigences excessives et de l’absence des mathématiques, des sciences naturelles et des langues vivantes.
Durant la seconde moitié du XVIe siècle, les écoles élémentaires se transforment en écoles paroissiales. Le maître d’école est souvent rémunéré et logé par la paroisse. Souvent, il assume aussi la fonction de sacristain et collabore au culte. En 1598, une ordonnance ecclésiastique impose l’idée de l’obligation scolaire.
La Réforme favorise l’essor scolaire dans les villes, comme Mulhouse, et dans les campagnes. L’enseignement, assuré par le pasteur ou le sacristain, a une finalité religieuse avec l’instruction du catéchisme, l’apprentissage du chant, l’éducation morale, la lecture et l’écriture.
Cependant, les résultats sont inégaux. En 1609, le bailliage de Cleebourg ne compte que deux écoles pour 6 paroisses, alors que le comté de Hanau-Lichtenberg, en 1614, dispose d’une école dans chaque paroisse.Dans le reste de l’Alsace protestante, la bourgeoisie urbaine manifeste de l’intérêt pour ce modèle, mais à une échelle plus réduite. Un gymnase est fondé à Colmar, à Bouxwiller et à Riquewihr. Des écoles latines sont créées à Haguenau et à Wissembourg.
Face au schisme protestant, le Saint Siège réagit et s’engage dans une réforme de l’Eglise catholique. Il est appuyé par le nouvel ordre des jésuites, fondé le 15 août 1534 afin de restaurer l’autorité morale de Rome et de lui donner des armes pour mener la Contre-Réforme. Le bouillonnement des idées pédagogiques du monde protestant et sa supériorité en matière scolaire irritent le Vatican et l’école devient l’objet d’une vive compétition entre les deux Églises.
L’enseignement élémentaire, dans les territoires catholiques, est limité aux communes importantes et aux bourgades comme Thann, Obernai, Saverne et Haguenau. L’évêque de Strasbourg,lors d’une visite de son diocèse en 1615, ouvre de nombreuses écoles, comme l’ordonne le Concile de Trente, qui entend à ce que chaque paroisse soit dotée d’une école.
Dans ces écoles, les enfants doivent apprendre à épeler le Pater, l’Ave, le Credo et le Confiteor, à écrire et à calculer.
La première création d’un établissement secondaire est due à Johann Rasser, un prêtre attristé de voir les adolescents catholiques alsaciens se rendre à des écoles protestantes. Il fonde à Ensisheim, capitale de l’Alsace autrichienne, une école dans l’esprit de la Réforme catholique (1579).
Il obtient des locaux du Magistrat et un financement de l’abbaye bénédictine de Masevaux et du cardinal Andreas d’Autriche. Il s’inspire du modèle jésuite pour le programme et la méthode, mais se limite au latin. Les internes sont répartis en trois groupes lors des repas selon la fortune. Cet établissement décline à la mort de Rasser en 1594 et il est repris par les jésuites, intégré dans leur réseau scolaire en 1614.
Dans le cadre de la réforme catholique, l’Alsace est l’objet d’une implantation de collèges jésuites, qui participent à la lutte contre le protestantisme.
Collège de Molsheim
Grav. S.l : s.n, 1650 ?
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 706984)
En 1580, l’évêque de Strasbourg, Jean de Manderscheid, fonde celui de Molsheim. En 1585, les membres de cet établissement reçoivent le droit de remplir les fonctions pastorales. En 1613, on y adjoint un séminaire. Le chancelier est Christoph von Heyden en 1619. En 1617, les dernières classes sont érigées par l’empereur et le pape en université, qui dispense un enseignement en philosophie et en théologie.
L’université devient un instrument du rétablissement et de la propagande de l’Église catholique en Alsace. Les effectifs atteignent 62 en 1617 et 200 en 1619.
Les autres collèges alsaciens demeurent mal connus comme celui de Porrentruy, siège du prince évêque de Bâle, qui attire les élèves de Haute-Alsace (1591), de Haguenau (1614), d’Ensisheim (1615) et de Sélestat (1623).
À compter de 1599, l’enseignement est assuré selon les principes de la Ratio atque institutiostudiorum Societas Iesu (Plan raisonné et institutions des études de la Compagnie de Jésus), norme pour l’ensemble des collèges de l’ordre.
Le programme prévoit quatre années de grammaire, deux années d’humanités et de rhétorique. Une large place est laissée à l’instruction religieuse. On étudie le petit catéchisme de Peter Canisius. Durant les deux dernières années, les élèves utilisent le grand catéchisme de Canisius. Les quatre années de théologie à la faculté permettent une intensification de l’enseignement catéchétique à partir de manuels et de cours dictés issus de la Somme de saint Thomas d’Aquin. L’enseignement est centré sur la scolastique, la théologie morale et la controverse.
Le but est de former des prêtres bien instruits de l’enseignement de l’Église et capables de la défendre. Chaque samedi est organisé une disputatio.
Emploi du temps journalier en fonction de la Ratio Studiorum :
Élèves | Décurions | Maîtres | |
---|---|---|---|
8 h - 9 h | Réciter les leçons Exercices écrits |
Surveiller Ramasser les copies |
Corriger les copies |
9 h - 10 h | Réciter les leçons Prendre en note la nouvelle leçon Faire un devoir |
Faire une nouvelle leçon Dicter un devoir |
|
10 h - 11 h | Réciter les leçons Concertation |
Faire une nouvelle leçon Conduire la concertation |
Élèves | Décurions | Maîtres | |
---|---|---|---|
13 h - 13 h 30 | Réciter un texte | Surveiller | Examiner les notes des décurions Corriger les copies |
13 h 30 - 14 h 30 | Prendre en note la nouvelle leçon | Faire une nouvelle leçon | |
14 h 30 - 15 h | Concertation | Conduire la concertation |
Si l’on prend l’exemple de la classe de 3e, les élèves étudient les textes des auteurs latins Catulle (poète lyrique qui développe des thèmes mythologiques), Tibulle (poète de la vie rurale), Properce (poète accordant une grande place à la mythologie) et Virgile, ainsi que les textes des auteurs grecs Agapet (auteur d’un ouvrage consacré à l’éducation des princes qui devient le modèle des miroirs des princes), Jean Chrysostome (Père de l’Église grecque, auteur de nombreuses homélies), et Ésope (auteur de nombreuses fables).
À cet emploi du temps, il faut ajouter les obligations religieuses car, selon la Ratio studiorum, le maître doit élever les jeunes gens confiés à ses soins de manières qu’ils se forment en même temps qu’aux belles lettre aux mœurs dignes d’un chrétien. Ainsi, tous les matins, avant la classe, un élève dit la prière, les autres élèves sont à genoux et tête découverte. Chaque jour, les élèves assistent à la messe. Le vendredi et le samedi, ils suivent le catéchisme ainsi qu’une demi-heure d’éducation chrétienne.
Un véritable effort est mené pour favoriser la scolarisation des enfants et des adolescents, tant par les protestants que par les catholiques. Dans les deux cas, il convient de prendre en considération qu’à l’objectif religieux se mêle une demande sociale issue des classes sociales favorisées. Ce mouvement de création d’établissements scolaires se fait grâce à l’appui des autorités politiques qui exercent un véritable contrôle sur l’éducation.
Dans ces établissements, outre la suprématie du latin, il faut noter l’organisation en classe comme unité d’enseignement et le recours à la méthode simultanée comme pratique pédagogique.