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Les disciplines scolaires

Par Nicolas Schreck

Publié le à définir

Derrière l’idée qu’on se fait des études,
il y a toujours l’idée qu’on se fait de l'homme

Falcucci

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Doc. 1. Répartition horaire des diverses disciplines scolaires, suite à la circulaire du 10 juillet 1923

Doc. 1. Répartition horaire des diverses disciplines scolaires, suite à la circulaire du 10 juillet 1923
Tableau Nicolas Schreck, 2012

Le programme du 23 février 1923 est appliqué à l’Alsace.

Dès le 10 juillet 1923, diverses adaptations de la législation apparaissent : en particulier, sont introduites des dispositions spécifiques sur la durée des enseignements, sur une nouvelle répartition des horaires, sur l’usage des deux langues, sur les attentes du programme d’allemand, y compris une circulaire sur l’enseignement de l’écriture gothique (3 février 1930)… Un règlement local de la religion accompagne ce nouveau programme.

Doc. 2. Dénonciation de l’horaire spécifique d’Alsace

Les maîtres de l’école primaire, en Alsace-Lorraine, comme dans les autres départements, disposent chaque jour pour leur enseignement de 6 heures de classes, soit 30 heures par semaine.

Mais en Alsace-Lorraine, 4 de ces 30 heures sont réservées à l’enseignement religieux et 3 à la langue allemande.

Ainsi, par suite de notre situation particulière, les 7/30ème de notre temps sont employés à des matières que nos collègues de l’intérieur n’ont pas à faire étudier. […]

Pour parcourir les mêmes programmes, donner un égal bagage de connaissances, présenter un nombre important d’élèves au certificat d’études, le maître d’Alsace devra pratiquer une pédagogie spéciale dont les principales s’apparentent plus à l’ancienne scolastique qu’aux données nouvelles préconisées par nos grands éducateurs.

Faute de temps, il délaissera l’observation directe des choses, des êtres et des faits. Il évitera les sujets de raisonnement et de discussion, pour se borner aux affirmations d’un enseignement livresque dans lequel l’élève exercera sa mémoire plus que son intelligence.

Pour regagner les heures perdues, le maître rognera sur les matières par lesquelles s’affinent le jugement, la compréhension, telles que la morale et l’histoire. Il écourtera de même les leçons ou se développer le sens esthétique de l’enfant, telles que le chant, le dessin. Il délaissera presque complètement l’éducation physique si nécessaire à l’avenir de la race.

Bulletin Jean Macé, organe des sections alsaciennes de la Ligue française de l’enseignement, Strasbourg. Imprimerie alsacienne, 1933, n°4, juillet 1933, p. 26-27.
Avec l'accord gracieux de la Ligue de l'Enseignement.

Doc. 3. Le programme de 1923

a. La filiation revendiquée par rapport aux lois scolaires de Jules Ferry

Le plan dressé par les auteurs de nos lois scolaires s'est-il révélé défectueux ? En aucune façon. Chaque fois qu'on en relit l'exposé dans les instructions de 1887 on est rempli d'admiration. Ce n'est pas sans appréhension que nous nous sommes décidés à apporter à ce monument les retouches que le temps rendait nécessaires. Aussi bien nous nous sommes gardés d'en détruire les grandes lignes, et, si importants que puissent paraître certains aménagements nouveaux, ils n'en changent pas le style. En réformant l'institution, nous entendons restés fidèles aux principes des fondateurs. Mais l'expérience a prouvé que pour obtenir une meilleure application de ces principes, il devenait nécessaire de préciser l’emploi du temps, de simplifier et de graduer les programmes, de vivifier les méthodes, de coordonner les disciplines : préciser, simplifier, graduer, vivifier et coordonner, tel a été notre dessein. L'arrêté du 18 janvier 1887 réglait à merveille l'organisation du travail dans les écoles primaires.

b. Le programme : recentrer sur ce qu’il n’est pas permis d’ignorer

Pour bien enseigner aux enfants ce qu'il n'est pas permis d'ignorer, il faut savoir choisir et doser, suivant leur âge, les connaissances qu'ils auront à assimiler. L'enseignement doit être gradué. C'est perdre le temps et gaspiller l'énergie des maîtres et des élèves que d'offrir à ceux-ci une nourriture pour laquelle ils n'ont pas de goût et que leur esprit ne saurait digérer. Mieux vaut laisser l'enfant dans l'ignorance que de lui imposer un enseignement prématuré. Telle était bien la pensée des auteurs de 1887, et c’est pour ce motif qu’ils ont rédigé des programmes différents pour les enfants de six à sept ans (section enfantine), pour ceux de sept à neuf ans (cours élémentaire), pour ceux de neuf à onze ans (cours moyen) et pour ceux de onze à treize ans (cours supérieur). Mais, d’une part, ils ont peut-être éprouvé une confiance excessive pour la méthode dite concentrique, qui fait reparaître, aux divers cours ou aux divisions successives d’un même cours, les mêmes articles du programme en exigeant simplement qu’ils soient traités avec une ampleur croissante. Et, d’autre part, ils ont été trahis, sur ce point encore, par leurs interprètes. Dans beaucoup de départements, peu de temps après 1887, on a vu surgir des programmes locaux qui plaçaient au cours élémentaire des notions que le programme officiel réservait au cours moyen, au cours moyen des notions que le programme officiel réservait au cours supérieur. Les auteurs des manuels scolaires sont tombés – non sans complaisance – dans le même défaut, si bien qu’il est rare de trouver aujourd’hui dans une classe un livre qui réponde à l’esprit et à la lettre du programme officiel : les manuels écrits pour les sections enfantines – d’où ils devraient, d’ailleurs, être bannis, car l’enfant, dans ces sections, n’a pas besoin d’autre livre que le syllabaire – sont du niveau du cours élémentaire ; ceux que les auteurs destinent aux cours élémentaires suffiraient pour les élèves du cours moyen, et, s’ils possédaient les connaissances énumérées dans les livres faits pour le cours moyen, on pourrait féliciter de leur savoir les élèves des cours supérieurs. Sous prétexte que les enfants ne fréquentent guère l’école après le cours moyen, on a pris l’habitude, pour les contraindre à absorber les matières du cours supérieur, de fondre ensemble ces deux derniers cours. Ainsi l’échelle construite par les auteurs du plan de 1887 s’est raccourcie. Ce n’est pas en sept ans, c’est en cinq que sont répartis les articles du programme.

c. La méthode générale d’enseignement

La méthode à suivre dans l'enseignement primaire a été définie par les instructions de 1887, en termes qui n'ont rien perdu de leur valeur. Cette méthode, disent ces instructions ne peut consister, ni dans une suite de procédés mécaniques ni dans le seul apprentissage de ces premiers instruments de communication : la lecture, l'écriture, le calcul, ni dans une froide succession de leçons exposant aux élèves les différents chapitres d'un cours. La seule méthode qui convienne à l'enseignement primaire est celle qui fait intervenir tour à tour le maître et les élèves, qui entretiennent pour ainsi dire entre eux et lui un continuel échange d'idées sous des formes variées, souples et ingénieusement graduées. Le maître part toujours de ce que les enfants savent, et, procédant du connu à l'inconnu, du facile au difficile, il les conduit par l'enchaînement des questions orales ou des devoirs écrits à découvrir les conséquences d'un principe, les applications d'une règle, ou inversement les principes et les règles qu'ils ont déjà inconsciemment appliqués. En tout enseignement, le maître, pour commencer, se sert d'objets sensibles, fait voir et toucher les choses, met les enfants en présence de réalités concrètes, puis peu à peu les exerce à en dégager l'idée abstraite, à comparer, à généraliser, à raisonner sans le secours d'exemples matériels. C'est donc par un appel incessant à l'attention, au jugement, à la spontanéité intellectuelle de l'élève que l'enseignement primaire peut se soutenir. Il est essentiellement intuitif et pratique : intuitif, c'est-à-dire qu'il compte avant tout sur le bon sens naturel, sur la force de l'évidence, sur cette puissance innée qu'a l'esprit humain de saisir du premier regard et sans démonstration non pas toutes les vérités, mais les vérités les plus simples et les plus fondamentales ; pratique, c'est-à-dire qu'il ne perd jamais de vue que les élèves de l'école primaire n'ont pas de temps à perdre en discussions oiseuses, en théories savantes, en curiosités scolastiques, et que ce n'est pas trop de cinq à six années de séjour à l'école pour les munir du petit trésor d'idées dont ils ont strictement besoin et surtout pour les mettre en état de le conserver et de le grossir dans la suite.

BÉRARD Léon. Instructions officielles, 20 juin 1923.
Léon Bérard était ministre de l'Instruction publique et des Beaux Arts.

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Les programmes connaissent une stabilité remarquable depuis les années 1880. Une seule modification est à mentionner, le 23 février 1923. Le nouveau programme revendique une filiation avec celui du 18 janvier 1887, montrant ainsi une continuité pédagogique, confirmant les choix initiaux, modifiant les contenus, en fait, qu’aux marges.

Quelques évolutions sont pourtant mentionnées par Paul Lapie, le rédacteur du programme :

En fait, souvent, les cahiers d’élèves témoignent d’une série de résumés à apprendre par cœur, d’une absence d’une pédagogie active et intuitive. En fait, l’école demeure dirigiste ; les innovations peinent à être diffusées par les inspecteurs et l’objectif même de l’école, former des citoyens, éloigne de toute prise en compte des besoins de l’enfant à accompagner.

Doc. 4. Évolution des programmes et adaptation des enseignements

Note 488 :

Il me semble désirable que l’Instituteur réfléchisse au temps dont il dispose pour voir l’ensemble du programme dans une discipline déterminée. Pour les enseignements essentiels, il faut par conséquent prévoir une répartition mensuelle. Celle-ci peut recevoir des modifications en cours d’année si les prévisions du maître s’avèrent inexactes, mais elle constitue néanmoins un minimum de garantie : étude du programme dans son ensemble, sans précipitation ou sans semaines creuses à la fin de l’année. […]

On utilisera :

  • Les programmes officiels. Monsieur l’Inspecteur d’Académie nous invite aussi à relire et méditer fréquemment les Instructions ministérielles du 20 juin 1923.
  • Les cahiers bleus, les livres en usage, nos cahiers circulants, sans oublier ni l’expérience, ni les préférences, ni l’initiative de chacun.

Note 496 :

1. Établir les emplois du temps, avec précision. Ne pas mettre simplement français mais orthographe, rédaction, lecture, etc…

2. Suivre rigoureusement l’emploi du temps, en particulier ne pas négliger les enseignements dits accessoires. La préparation écrite et la répartition mensuelle doivent attester un enseignement régulier de l’écriture, de la gymnastique etc. […]

3. Ne pas abuser de la dictée. Rectifier les indications précédemment données en ce sens qu’il ne faut pas faire une dictée par jour. […]

4. Si important que soit pour les élèves la possession du C.E.P., cet examen n’est pas le but de notre enseignement primaire. Il est le résultat auquel doivent atteindre tous les élèves moyennement doués qui arrivent à la fin de leur scolarité normale. Donc, pas de bachotage. […]

© Archives de Strasbourg
(5 W 190, Cahier jaune).

Doc. 5. Dictée

Orthographe respecté

6.10.1936 : Conseils aux enfants
Aimez votre école ; venez s’y tous les jours avec plaisir et n’y arrivez jamais en retard. Aimez le travail et la lecture. Ayez soins de vos vêtements, de vos livres, de vos cahiers et de tous les objets à votre usage. Les livres goûtent cher, il faut aussi d’argent pour acheter des vêtements, des chaussures ; et de l’argent goûtes beaucoup de peine, beaucoup de mal à votre père pour le gagner.

13.10.1936 : Tout travaille
Tout travaille autour de toi. L’abeille travaille pour ramasser le miel et la cire. L’oiseau travaille pour récolter du grain ou pour ramasser l’herbe dont il fait son nid. L’écureuil travaille pour faire sa provision de noisettes, et de faînes pour la saison d’hiver. Le bœuf tire la charrue et trace sur la terre le sillon où poussera le blé. Le travail est la loi de tous.

9.11.1936 : La patrie
La maison paternelle, le foyer de la famille, la ville ou le village qui nous vit naître, l’école avec l’étude et les jeux, les camarades d’enfance, les champs qui nous donnent le pain, nos amis, notre langue et nos lois, l’armer qui nous protègent et nous défend, tout cela c’est la patrie.

17.11.1936 : Mon grand papa
Malgré les infirmités de sa vieillesse, mon grand-papa est gai, bienveillant et aimable. On ne s’ennuie jamais avec lui. Il n’est pas ennemi du jeu, au contraire. Nul n’est plus heureux de voir la jeunesse heureuse. Amusez-vous bien, dit-il, à condition de travailler de même. Dans les fêtes de famille, il met la gaîté, le rire, l’entrain partout. Aussi, tout le monde l’aime, tout le monde le vénère.

Extrait du cahier scolaire d’Irène Metz, année 1936-1937.
Archives municipales de Mulhouse
(1 43 TT).

Les manuels scolairesRevenir au début du texte

Les livres constituent une dépense coûteuse, à la charge des mairies pour les classes de l’enseignement primaire. La première étape, après 1918, fut de purger les écoles des livres allemands… Mais aussi, le livre est essentiel. Jules Ferry affirmait d’ailleurs que celui qui est maître du livre est maître de l’éducation (5 mai 1879). L’arrêt du 29 janvier 1890 fixait pour les territoires de France l’emploi obligatoire du manuel dans les écoles, faisant entrer les manuels dans les classes, mais aussi dans les maisons. Près de 40 % des livres détenus par les familles modestes allaient être des manuels. Les premiers achats strasbourgeois sont significatifs : les directeurs des écoles de Strasbourg optent pour les cartes de Vidal de la Blache, publiées aux éditions Hatier, pour des romans, de Balzac, de Dumas, de Vigny… et surtout de Victor Hugo. Avec les années 1920 et 1930, on assiste heureusement à une certaine diversification : retour de certains auteurs allemands, ouverture à la littérature étrangère (Dickens…).

En fait, il faut avouer qu’il est réducteur de caricaturer le manuel scolaire pour en faire un instrument uniquement républicain : l’usage qu’en fit le maître en classe, les dispositions personnelles de l’élève, la culture familiale tempèrent le discours du manuel ; n’en demeure pas moins une somme de discours et de récits, une somme d’images, une volonté de partager l’amour d’un territoire.

Doc. 6. Premières notions d'histoire sainte et de catéchisme

Doc. 6. Premières notions d'histoire sainte et de catéchisme
Manuel Thomas Léon et Meyer Joseph, 1926
Coll. Bibliothèque municipales de Mulhouse (F 401 689)

Les manuels font également parfois les frais d’une mise à l’index par les autorités publiques ou par l’Église. Parmi les manuels, les livres de catéchisme permettent de montrer toute l’évolution linguistique. Si les cours de religion sont réalisés en allemand, dès 1925 à Strasbourg, les Sœurs de Saint Jean acquièrent des versions d'ouvrages en français, les enfants étant incapables de lire l’allemand au début de la troisième année scolaire, inutile de leur donner un livre allemand entre les mains. Certains manuels sont alors spécialement réalisés.

Ce manuel (document 6), réalisé par Joseph Meyer, inspecteur primaire, et Léon Thomas, directeur d'école, a été publié en 1926 (20e édition !). Il possède diverses qualités :

Le manuel se compose d’abord de chapitres portant sur l’histoire sainte (44 chapitres), puis des notions de catéchisme (prières en français, cantiques français, cantiques allemands).

Dès l’enseignement primaire supérieur, les livres sont à la charge des familles, qui multiplient dès 1922 les demandes de bourses municipales.