Par Nicolas Schreck
Publié le à définir
L’école connaît en France, au cours de l’Entre-deux-guerres, un essor de la scolarisation et une différenciation (Antoine Prost).
L’école primaire est structurée en France depuis la loi du 30 octobre 1886 en quatre composantes majeures :
L’Alsace adapte sans heurt l’architecture scolaire du Reichsland à cette architecture héritée des lois scolaires françaises de 1880.
L’Alsace adopte donc en grande partie les textes scolaires français, en particulier la loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire, la loi du 18 janvier 1887 sur les écoles maternelles, la loi du 19 juillet 1889 plaçant les personnels comme fonctionnaires de l’État… Elle devait ainsi maintenir certaines lois locales (sur l’organisation des salles d’asile, 17 mai 1881, 16 mars 1882…). Et surtout, elle devait bénéficier des importantes modifications de la loi de 1923, sur l’organisation des écoles maternelles, tout en poursuivant diverses adaptations.
La scolarisation définit la proportion d’élèves fréquentant un établissement scolaire.
La scolarisation augmente peu dans l’enseignement élémentaire, qui était devenu obligatoire ; ce que l’on peut observer en fait est une amélioration de la fréquentation scolaire, liée à une meilleure application de l’obligation scolaire (accompagnée de ses sanctions, en particulier de la journée d’incarcération du père de famille, héritage de la législation du Reichsland) mais également par l’instauration des allocations familiales. La scolarisation est de plus en plus poursuivie à son terme, sans départ précoce, jusqu’aux examens des 12/13 ans.
La scolarisation progresse de fait avec l’obligation portée à 14 ans en 1936… Cette augmentation impose une réflexion sur l’école après le cours moyen, qui peut prendre la forme de cours primaires supérieurs si la finalité n’est pas d’envoyer l’élève à terme au lycée ou encore de le scolariser dans les petites classes du lycée.
À l’heure actuelle, il existe deux classes, les gens qui ont été élevés d’une certaine façon au lycée, les autres qui ont été élevés dans d’autres idées à l’école primaire. Il est scandaleux, au point de vue démocratique, que l’on apprenne aux uns à estimer ce que l’on apprend aux autres à mépriser.
Victor Bérard, devant la commission Ribot (décembre 1898).
Cité dans PROST Antoine. Éducation, société et politiques.
Une histoire de l’enseignement de 1945 à nos jours. Paris : © Éditions du Seuil,
1997, p. 49 (Coll. Points Histoire).
Ces débats arrivent à faire émerger la nécessité d’un programme scolaire commun (l’École unique), pour les élèves issus de tous les milieux, d’une réforme de l’enseignement secondaire avec la possibilité d’une école médiane, pour les 11-14 ans, avec des filières parallèles et une spécialisation.
L’œuvre de la Troisième République est vaste : alignement apparent de l’enseignement primaire des filles sur celui des garçons (même obligation d’éducation, même programme…), ouverture des écoles normales féminines (loi Paul Bert, 1879), de collèges et de lycées pour jeunes filles (loi Camille Sée, 1880)… Ces ouvertures se font dans un contexte de guerre scolaire contre l’Église catholique… Il s’agit de faire passer cet enseignement dépendant de l’Église à un enseignement sous la conduite de l’université… En somme, de réaliser une œuvre de laïcité.
Ce triomphalisme républicain ne doit pas laisser oublier d’importantes difficultés :
L'article 4 de la loi du 28 mars 1882 définissait pourtant une même obligation scolaire (document 2).
L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes, âgés de six ans révolus à treize ans révolus ; elle peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie.
Voir le texte intégral de la loi sur le site www.senat.fr.
Cours élémentaires (7 à 9 ans) |
Cours moyens (9 à 11 ans) |
Cours supérieurs (11 à 13 ans) |
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Tricots et études du point ; mailles à l’endroit, à l’envers, côtés, augmentations, diminutions ; Point de marques sur canevas ; Eléments de couture : ourlets et surjets ; Exercices manuels destinés à développer la dextérité de la main, découpage et applications de pièces de papier de couleur ; Petits essais de modelage. |
Tricot et remmaillage ; Marque sur canevas ; Éléments de couture : point de devant, point de côté, point arrière, point de sujets ; couture simple, ourlet, couture double, surjets sur lisières, sur plis rentrés ; Confection d’ouvrages de couture simples et faciles (essuie-mains, serviettes, mouchoirs, tabliers, chemises), rapiéçage. |
Tricot de jupons, gilets, gants ; Marque sur la toile ; Piqûres, froncés, boutonnières, raccommodage des vêtements, reprises ; Notions de coupe et confection des vêtements les plus faciles ; Notions très simples d’économie domestique et application à la cuisine, au blanchissage et à l’entretien du linge, à la toilette, aux soins du ménage, du jardin, de la basse-cour. Exercices pratiques à l’école et au domicile. |
Cité par LELIEVRE François et LELIEVRE Claude. Histoire de la scolarisation des filles. Paris : Nathan, 1991, p. 96 (Coll. Repères pédagogiques).
Les garçons et les filles bénéficient d’adaptation du programme de l’école primaire :
Doc. 4. Jeunes filles travaillant dans la salle de couture
Photo École primaire Musau (Strasbourg), 1934
Coll. © Archives de Strasbourg (6 OS 2, 79)
Les programmes de 1923 confirment ces dispositions pour les filles (bien que l’horaire hebdomadaire passe de trois heures à 1,5 à 2 heures), alors qu’il réduit l’enseignement manuel des garçons. Ceux-ci bénéficieront d’un renforcement en lecture, en sciences physiques. En outre, l’État rappelle la nécessité de valoriser l’enseignement ménager.
Dans les écoles de filles, l’enseignement ménager doit occuper une place importante. Peut-être a-t-on exagéré lorsqu’on a réclamé une journée ménagère par semaine. Mais on peut, en combinant divers exercices inscrits au programme, consacrer chaque semaine à l’enseignement ménager et aux enseignements annexes une demi-journée. Inutile d’insister sur le caractère à la fois pratique et expérimental que doit revêtir cet enseignement : la théorie n’y apparaît que pour justifier la pratique. Elle peut aussi inspirer aux jeunes filles l’amour du foyer, en leur montrant que les opérations en apparence les plus humbles de la vie domestique se relient aux principes les plus élevés des sciences de la nature et que, pour reprendre le mot antique, il y a partout du divin.
Arrêtés des 23 mai et 11 juillet 1938.
Établissements publics |
Établissements privés |
Garçons | Filles | Total (Filles + Garçons) |
|
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1920 | 31 | 36 | 9 512 | 2 925 | 12 437 |
1925 | 31 | 31 | 8 681 | 3 056 | 11 740 |
1930 | 31 | 36 | 9 273 | 3 698 | 12 971 |
1934 | 30 | 41 | 11 500 | 4 003 | 15 503 |
Coll. Das Elsass von 1870 bis 1932. Alsatia, Band IV : Karten, Graphiken, Tabellen, Dokumente, Sach- und Namenregister, 1938, p. 207.
Bien que les effectifs des établissements scolaires laissent apparaître une véritable stabilité, la période est caractérisée par une augmentation conséquente des publics scolaires, de 20% pour les garçons et de près de 40 % pour les filles.
D’importantes réformes se succèdent, donnant naissance à l’enseignement intermédiaire (les décrets de Léon Bérard, 1923 et 1924, l’action du ministre de Monzie, les réalisations de Jean Zay, enfin la réforme synthétique de Jérôme Carcopino en 1941) :
Ces réformes en fait juxtaposent deux systèmes, un ensemble primaire qui possède ses classes supérieures et un enseignement secondaire qui s’ouvre lentement. Ce dualisme scolaire est construit autour d’une concurrence de l’école populaire et de l’école des élites. L’enjeu tiendra à leur fusion au sein du collège.
Doc. 7. Enfants se lavant les mains
Photo École primaire Musau (Strasbourg), 1934
Coll. © Archives de Strasbourg (6 OS 2, 83)
Cet essor est important au sein des villes, plus limité dans les campagnes. Il se compose de deux systèmes d’éducation, des classes enfantines rattachées au sein des écoles élémentaires et des écoles maternelles. Près d'un million d’enfants y est scolarisé, en France, à la veille de la seconde guerre mondiale.
Le statut des écoles maternelles est modifié (en 1921), passant d’établissement d’enseignement à celui d’établissements d’éducation et d’éveil. Cette évolution tient compte des nouvelles méthodes pédagogiques (dont celles de Maria Montessori, visant à une éducation sensorielle et motrice), d’une pédagogie du jeu (reconnue par les Instructions officielles en 1931), d’un apprentissage des gestes du quotidien… La sieste figure maintenant à l’emploi du temps.
La prise en compte précoce des besoins spécifiques de l’enfant, l’impact de la maladie sur la scolarité, le souhait d’adapter les bâtiments scolaires aux besoins spécifiques donnent naissance à Mulhouse, à Strasbourg plus tardivement, d’écoles de plein air.
Un réseau d’écoles de plein air s’est structuré en France, depuis les premiers essais de 1890. L’École de plein air (EPA) de Mulhouse ouvre en 1906, au sein de la résidence de l’Ermitage, où existait également un centre de convalescence pour enfants de l’hospice civil.
En 1922, cumulée à d’autres institutions, comme la Pouponnière (s’occupant de la nutrition des enfants en bas âge et du refuge des filles-mères), l’EPA est reconnue par le ministère de l’Instruction publique. Transférée à Pfastatt, dans le parc Dollfus de près de 4 hectares, l’école reçoit en 1933 un nouveau bâtiment et devient permanente. Elle accueille près de 150 enfants de Mulhouse.
Si les horaires hebdomadaires ne comportent que 22 h 30 de cours au lieu de 30 heures, l’E.P.A. bénéficie d’un grand privilège : l’enseignement est donné dans la nature et par la nature. Le temps réduit du travail purement scolaire ne gêne en rien l’acquisition des connaissances.
Le domaine des enfants étant un monde complet où ils apprennent la vie des bêtes et des plantes, les secrets de la terre, de l’eau et du ciel, il en est tenu compte dans l’établissement des répartitions annuelles. Il est évident qu’un enseignement de cet ordre ne peut être l’esclave des programmes et des horaires. La leçon prévue doit céder la place à l’entretien provoqué part une découverte inespérée, un événement imprévisible : la première pâquerette, la capture d’un lézard, le chant d’un rossignol, l’orage… Il faut savoir utiliser sur l’heure, au moment précis où l’intérêt est éveillé, la moisson abondante des observations : une étude, une lecture, un chant, une récitation…
Mulhouse. L’École de plein air de Pfastatt. Mulhouse : Alsatia, 1951, p. 6.
(Droits réservés).
Enfants de Mulhouse, aujourd’hui
On ouvre nos volières.
Adieu brouillard, fumée et bruit !
A nous la vive lumière !
Au parc de Pfastatt nous allons
Chanter sous les ombrages
Puis, gaîment nous travaillerons
Pleins d’un nouveau courage.
Ni murs épais, ni lourds plafonds ;
De l’air, de la verdure !
Notre esprit, comme nos poumons,
S’épanouit dans la nature.
Le jardin nous offre sa fleur
Plus fraîche qu’en un livre ;
Au rucher, le constant labeur
Nous dit la joie de vivre
Merci pour tes soins, tes efforts,
Mulhouse, cité chérie !
Quel que soit, plus tard, notre sort,
De nous tous tu seras fière.
Petite Patrie, nous t’offrons
Amour, reconnaissance ;
Pour te servir nous grandirons
Et pour la belle France
Citée dans Mulhouse. L’École de plein air de Pfastatt. Mulhouse : Alsatia, 1951, p. 8.
(Droits réservés).
Doc. 13. Enfants faisant la sieste sur des lits de camp
Photo École quais Jacoutot, s.d.
Coll. © Archives de Strasbourg (6 OS 2, 113)
Doc. 14. Ronde enfantine
Photo École quais Jacoutot, s.d.
Coll. © Archives de Strasbourg (6 OS 2, 112)
Doc. 15. Enfants prenant leur repas au dehors
Photo École quais Jacoutot, s.d.
Coll. © Archives de Strasbourg (6 OS 2, 114)
Dès 1934, une école de plein air municipale est ouverte quai Jacoutot à Strasbourg.
En somme, cette période voit une évolution considérable des attentes sociales et des méthodes pédagogiques.
On a voulu que les enfants soient placés dans les meilleurs conditions. Les classes sont spacieuses, pourvues d’un matériel d’enseignement moderne. Les salles spéciales pour le dessin, la couture, la cuisine ne laissent rien à désirer, et permettent à nos enfants de bénéficier de tous les perfectionnements de la technique pédagogique. […]
Il m’est permis de penser, sans utopie que les bonnes habitudes, contractées ici au cours d’une scolarité de 8 années, contribueront puissamment à diffuser les saintes pratiques de l’hygiène, lieu commun peut être mais qu’il est utile de proclamer : c’est par l’école que l’hygiène pénètre peu à peu dans la maison et transforme insensiblement la cité. […]
Construire une école, à notre dure époque, sous un ciel trop souvent assombri, c’est un acte de foi dans les destinées de la patrie, c’est proclamer la primauté des forces morales, affirmer qu’un des plus sûrs fondements de l’avenir, c’est la valeur humaine que nous saurons donner à l’école primaire.
Discours de l’Inspecteur d’Académie lors de l’inauguration de l’école du Port du Rhin, 6 janvier 1939.
Cité dans KLING Caroline. La politique scolaire de Strasbourg dans l’entre-deux-guerres. Strasbourg : Université de Strasbourg, 2000, p. 18-19.
© Fonds Zell, Archives municipales de Strasbourg.