Par Nicolas Schreck
Publié le à définir
Le programme d’histoire-géographie connaît une importante stabilité au cours de l’Entre-deux-guerres, confirmant en grande partie les choix initiaux des années 1880.
Cette stabilité se fait pourtant au sein d’une période particulièrement riche : essor de la réflexion historiographique, en particulier à l’Université de Strasbourg, avec Lucien Febvre et Marc Bloch (Annales d’histoire économique et sociale, débat historiographiques), diversification de l’histoire qui s’ouvre aux autres disciplines sociales (en particulier à la sociologie avec Maurice Halbwachs nommé à l’Université de Strasbourg) et économiques.
Ces courants éloignent en fait l’histoire universitaire, fille de la recherche, de l’histoire scolaire, restée dépendance des choix politiques. L’éducation a des réalités purement biographiques, d’histoire militaire, d’histoire politique qui sont des permanences, montrant une culture de l’origine ancienne de la France, de sa construction remarquable, de son destin exceptionnel. Pourtant, comme le monte le document 1, les tentatives de discussion ont bien existé entre les historiens.
Qu’on veuille bien ne pas m’accuser de beaucoup trop demander à un maître de collège ou d’école primaire ! Je ne crois nullement plus difficile d’intéresser un enfant aux vicissitudes d’une technique, voire aux apparentes étrangetés d’une civilisation ancienne ou lointaine, qu’à un changement de ministère ; et ce n’est certes pas dans un manuel selon mon cœur que j’ai vu congrûment exposer à des élèves de 9e comment la monarchie de Juillet avait, à la prairie héréditaire, substitué la prairie à vie. N’y avait-il pas mieux à apprendre à ces marmots ; rien de plus humain, de plus capable de frapper utilement leur malléable imagination, de plus instructif pour le dressage de futur citoyen de la France et de la planète.
DEMANDE DE DROIT EN COURS !
BLOCH Marc. L’étrange défaite. Témoignage écrit en 1940 (1946). Paris : Gallimard, Folio histoire, 1990, p. 188.
Les apports des Annales auraient pu être essentiels : initiation à une réflexion sur la source en histoire, prise en compte du discours historique, des réalités économiques et sociales…
Histoire-Géographie | Instruction civique et morale | |
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Section préparatoire (6-7 ans) |
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Cours élémentaire (7-9 ans) |
Histoire : Principaux faits et principales dates de l'histoire de France jusqu'à 1610. La Gaule. Les invasions. Le Moyen Âge. Formation de l'unité française Les grandes découvertes. La Renaissance. La Réforme. Géographie :
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Cours moyen (9-11 ans) |
Histoire : Principaux faits et principales dates de l'histoire de France jusqu'à 1610. La Monarchie absolue. La fin de l'Ancien Régime. La Révolution. Le Consulat et l'Empire. La Restauration. La Monarchie constitutionnelle. La IIe République. Le Second Empire. La IIIe République. La guerre de 1914-1918. Géographie : La France et ses colonies. |
Lectures et entretiens sur les principales vertus individuelles (tempérance, amour du travail, sincérité, modestie, courage, tolérance, bonté, etc.) et sur les principaux devoirs de la vie sociale (la famille, la patrie). |
Cours supérieur (11-13 ans) |
Histoire : Notions très sommaires sur l'antiquité (l'Égypte, les Juifs, la Grèce, Rome) - Les grandes questions de l'histoire de France dans leurs rapports avec l'histoire générale. Géographie : L'Europe - Les grands pays du monde. Révision de la géographie de la France et de ses colonies. |
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Le document 2 témoignage de la stabilité des contenus enseignés en histoire, en géographie et en Instruction civique. Elle affiche une continuité des thématiques abordées, de la suprématie de l’histoire et de la géographie nationale, capable de célébrer la France et sa puissance coloniale.
L’histoire-géographie enseignée au sein des classes connaît pourtant d’importantes évolutions :
Si les grandes collections de manuels d’histoire, en particulier les Lavisse, continuent à être abondamment édités, les manuels choisis montrent, non plus l’édition majoritaire, mais la diversité de la production des quarante premières années du XXe siècle.
Doc. 3a. Histoire de France, depuis les origines jusqu’à nos jours
Manuel Jean Giraud, 1933
Coll. IUFM d'Alsace
D’abord, la forme, la présentation, le format, les principales caractéristiques des manuels ne changent pas, restant fidèles aux choix des années 1880. Ce sont les contenus qui évoluent, démontrant dans les exemples choisis l’importance des écoles libres, qui partagent avec le reste de la nation une histoire, mais la décline différemment. En effet, durant cette période, les tentatives sont nombreuses d’encadrer les manuels, d’en jeter certains à l’index, de choisir les autres en fonction de l’auteur et de ses engagements… Car, au-delà de l’objet commun, le manuel propose des références communes (des faits, des personnages, un patrimoine…) et est une construction identitaire.
Doc. 3. L'exemple du manuel de Jean Guiraud
On lira avec profit le passage du manuel de Jean Guiraud (documents 3b) qui, tout en reconnaissant l’intérêt des lois scolaires, précise toutes les critiques que purent adresser la France catholique à la Troisième République.
Ce manuel figure à l’inventaire de la collection de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM) démontrant que, dans les bastions de l’école publique, les Écoles Normales, on étudiait bien la diversité des discours scolaires de l’histoire.
Les principales lois anticléricales de la troisième république furent les lois Jules Ferry, qui rendirent l’enseignement primaire gratuit, obligatoire et laïque (1881-1886) ; la loi Waldeck-Rousseau, qui prononça la dissolution d’un grand nombre de congrégations et la confiscation de leurs biens (1901) ; et la loi Briand, qui sépara les Églises et l’État, supprima le budget des cultes (1905) et amena la confiscation générale des biens d’Église.
Jules Ferry essaya d’abord de faire interdire par les Chambres aux membres des Congrégations le droit de donner l’enseignement secondaire et supérieur. N’ayant pu y réussir, il expulsa les Jésuites qui avaient des collèges très florissants (1890) et plusieurs autres congrégations.
Pour l’enseignement primaire, il trouvait avec raison qu’il devait être donné à tous les enfants, même les plus pauvres : c’est pourquoi il le déclara obligatoire (1882). Il le rendit gratuit pour tous, même pour ceux qui auraient pu le payer (1881), et il remplaça tous les maîtres religieux par des maîtres laïques auxquels il était interdit d’enseigner à leurs élèves la religion (1886). Ces deux dernières lois coûtèrent très cher à l’État ; l’entretien de ses écoles lui revint, dès lors, à plus de cent millions au lieu de douze, par an. Encore la dépense aurait-elle été plus forte si les catholiques n’avaient fondé eux-mêmes des écoles chrétiennes à côté des écoles publiques où l’on n’enseignait plus la religion.
Sous le ministère Waldeck-Rousseau, la liberté d’association donnée à tous les individus, fut refusée aux Congrégations religieuses ; la plupart durent quitter la France, leurs biens furent confisqués. Mais l’argent qui revint ainsi à l’État ne lui profita pas, et les dépenses à faire pour ses écoles devinrent de plus en plus lourdes.
À la suite de toutes ces lois, dont les catholiques avaient grandement souffert, la situation était très tendue entre le gouvernement français et l’Église catholiques. En 1801, Napoléon avait signé avec le pape un Concordat, où les rapports de l’État et de l’Église avaient été réglés ; il s’était engagé à payer les dépenses du culte, en échange des biens du clergé confisqués sous la Révolution. En 1905, la loi Briand supprima le Concordat, sans prendre l’avis du Pape, et dès lors, l’État, non seulement cessa de payer le budget des cultes, mais encore s’empara de tous les biens ecclésiastiques, en enlevant à l’Église le droit d’en acquérir de nouveaux. Cette loi, dite de séparation, souleva une vive opposition de la part des catholiques et des républicains modérés.
GUIRAUD Jean. Histoire de France, depuis les origines jusqu’à nos jours (1929), classe de septième de 1610 à 1929. Trente-quatre leçons. Paris : J. de Gigord, 1933, p. 133-134.
Coll. IUFM d'Alsace
Doc. 3c. Page de garde
Manuel Jean Giraud, 1933
Coll. IUFM d'Alsace
Professeur d’histoire à l’Université de Besançon, Jean Guiraud (1866-1952), ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé d’histoire, milite dans les mouvements catholiques et monarchistes. Directeur dès 1908 de la Revue des questions historiques, il est rédacteur de La Croix, dénonçant les maux de la France. Historien du Moyen Âge, il étudia tout particulièrement l’Inquisition.
Son frère Paul est également un universitaire, partisan de la République.
On retiendra le tampon (document 3c) :
Collecte de livres pour l’Alsace et la Lorraine, organisée par Paris-Presse
Livre offert en réponse à l’appel de Monsieur Philippe Barrès, Directeur Général par M. […].
Doc. 4. Préface d'un manuel patriotique
Précis d’Histoire de France publié sous le patronage d’associations scolaires, 1923
Coll. IUFM d'Alsace
Ci-contre, un Précis d’Histoire de France, collection publiée sous le patronage d’associations scolaires, de l’École libre, publié à Lyon et Paris en 1923.
Rien n’est plus commun qu’un cahier d’élève. Et pourtant, ces documents d’élèves n’ont généralement pas gagné les services d’archives, détruits par leur auteur, conservés dans l’oubli des greniers par les familles… Il faut dire aussi que les archivistes longtemps n’y ont pas vu un grand intérêt, que les historiens de l’éducation ont tardé eux aussi à s’y intéresser.
Le cahier d’élève ou les travaux d’élèves sont pourtant capables de nous révéler l’essentiel, une partie de ce qui s’est passé en classe :
Doc. 5. Les grandes inventions
Extrait de la première page du cahier du jour de l’élève, 1937
Coll. Archives municipales de Mulhouse (143 TT)
Le cahier d’élève permet donc de mesurer diverses performances : celle d’abord du maître, ensuite ses compétences pédagogiques, enfin ses attentes. Mais aussi la performance de l’élève, avec souvent une note qui vient évaluer le travail effectué. Divers autres aspects demeurent ignorés : la gestion de la classe, ce que l’élève retient en définitive d’un résumé, toutes les paroles échangées enfin… la diversité de la classe, qui fait que près d’un élève sur deux n’adhère pas forcément à la leçon d’histoire…
On perçoit (document 5) que l’évaluation porte essentiellement sur le compte-rendu de connaissances mais également qu’une compétence de périodisation est recherchée, affichée dès la première phrase à l’époque de. La justesse orthographique est systématiquement recherchée en histoire.
Doc. 6. Les civilisations de l'Antiquité
Début du cahier d’histoire du Cours primaire supérieur, s.d.
Coll. Archives municipales de Mulhouse (143 TT)
On remarquera (document 6) que le cours reste fidèle au programme officiel, en cherchant à caractériser les grandes civilisations et les périodes de l’Antiquité.
À l’évidence, l’enseignement prend appui sur des documents, aboutit à la confection de traces dans le cahier, qui sont soit des éléments de copies (comme les hiéroglyphes), voire la copie du plan d’un temple. Le texte est un résumé du cours, sans doute dicté par le maître.
Doc. 7. Évaluation en histoire
Début du cahier d’histoire du Cours primaire supérieur, s.d.
Coll. Archives municipales de Mulhouse (143 TT)
Cette évaluation difficile (document 7), réalisée en un temps court, vérifie d’abord la maîtrise de connaissances.
Bien plus, elle amène l’élève à distinguer les diverses périodes, en recherchant les césures chronologiques d’une période, fait définir certaines périodes, enfin contrôle la maîtrise de repères (identiques au programme actuel, avec la découverte du feu), avant d’en arriver à recentrer l’élève sur le patrimoine national, la Préhistoire. Elle définit l’origine préhistorique de la France par les classiques dolmens et les menhirs.
La seconde question amène à justifier d’une affirmation, à partir de connaissances.
Doc. 8. Dictée scolaire
Cahier de l'élève, 23 avril 1940
Coll. Archives municipales de Mulhouse (143 TT)
Toutes les disciplines, y compris la dictée, témoignent de la montée des régimes de dictatures et des tensions internationales.
La lecture de cette dictée (document 8), au moment où la France vit la Débâcle, permet de saisir combien le discours patriotique a été maintenu au sein des classes, mais d’envisager également combien les populations croyaient en la puissance de la ligne Maginot (un rempart d’acier et de béton), combien elles étaient confiantes en la puissance des alliances (l’Angleterre) et la détermination des populations de l’Empire colonial. Enfin, diverses expressions rappellent en fait la première guerre mondiale, comme le souhait de faire souscrire aux bons de la Défense nationale ou encore la certitude d’une guerre longue…
Doc. 9. Croquis de géographie : le massif des Vosges - la Loire et ses affluents
Cahier de géographie de cours supérieur, 1ère année Hélène Müller, année 1940-1941
Coll. privée, Régine Baltz
Les deux extraits du cahier de géographie (document 9) témoignent d’une vision réductrice de la discipline.
La géographie est abordée comme une matière technique, qui impose de construire systématiquement des croquis géographiques. Le cahier proposé contient d’abord une série de cartes sur les diverses possessions coloniales de la France, le Maroc, la Tunisie, mais aussi sur des territoires de la France du lointain, les Antilles, la Réunion…
À cette première partie succède les croquis de tous les massifs montagneux de la France, en particulier les Vosges. Le cahier finit par les fleuves français et leurs affluents.