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La situation des langues à l'école

Par Nicolas Schreck

Publié le à définir

Une francisation de fait ?Revenir au début du texte

Si la langue dialectale reste celle du quotidien, le retour à la France, à l’issue de la première guerre mondiale, posa à nouveau la question de l’introduction et du développement de la langue nationale.

Doc.1. Situation de la langue en 1926
Pourcentage de la population d’Alsace (en %) Répartition totale
Français 9,86 entre 10 et 20 %
Français + dialecte 6,39
Français + allemand 0,45
Français + dialecte + allemand 2,93
Dialecte 67,91 entre 68 et 80 %
Dialecte + allemand 2,76
Autres langues 1,33
Allemand entre 1 et 7 %
Non indiqué 7,22

D’après HUCK Dominique, D’une guerre à l’autre : langue(s) et politique(s) en Alsace entre 1925 et 1945. In Revue de sociolinguistique, n°50, Les Langues régionales en France de l’Entre-deux-guerres à la Libération, p. 135-170.

Bien que ces chiffres témoignent de la langue déclarée être utilisée au sein du foyer, on retiendra :

Le débat porta donc sur la place de l’allemand en Alsace. Fallait-il maintenir son importance au point d’en faire une seconde langue officielle ? Fallait-il encadrer sa pratique au quotidien par une législation ? Fallait-il simplement laisser aux Alsaciens la faculté de choisir, au quotidien, la langue de leur préférence ? Les partis politiques se sont donc emparés de la question, s’établissant pour les uns comme les défenseurs intransigeants d’une cause, pour les autres comme les promoteurs de l’unité linguistique de toute la nation.

Plus modestement, au quotidien, se pose la question de quelle langue pour l’école ? Une éducation de langue française ou alors une éducation bilingue ?

Doc. 2. Demande d'adaptations au niveau de la langue dans la législation, par Jacques Peirotes* (1929)

Comme dans d’autres questions primordiales, le gouvernement n’a pas encore fait le nécessaire. Nous demandons que les deux langues, le français et l’allemand, soient admises partout dans notre pays, dans la vie publique, dans l’administration, dans l’école surtout. Nous voulions avant la guerre déjà et nous voulons encore qu’on donne à nos enfants la possibilité d’apprendre le français et l’allemand. […]

Nous demandons qu’on donne à notre jeunesse la possibilité d’apprendre le français afin qu’elle soit en mesure de participer à la culture française sans toutefois oublier l’allemand, dont la connaissance est nécessaire aux habitants de nos pays frontières.

Nous ne voulons pas que l’ouvrier alsacien soit exclu de la culture en général. Nous voulons qu’il participe de son mieux à la vie nationale pour pouvoir bien remplir son rôle. De ce point de vue, la question des langues est pour nous, avant tout, une question sociale.

* Jacques Peirotes s'exprime au nom de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO).

PEIROTES Jacques, Écrits choisis. In RICHEZ Jean-Claude, STRAUSS Léon, IGERSHEIM François et JONAS Stéphane. Jacques Peirotes et le socialisme alsacien, 1869-1935. Strasbourg : BF Éditions, 1989, p. 204-205.

Évolution et ruptures de la politique des langues à l’écoleRevenir au début du texte

Comment diffuser le français ?

Les municipalités organisent des cours de français pour adultes. Dépendantes intégralement de la ville jusqu’en 1921, ces écoles voient la rétribution des intervenants être prise pour moitié par l’État, les communes fournissant le reste du traitement, les locaux, le matériel. Les communes sont autorisées à lever sur les publics un écolage de 1 franc par cours.

D’autres cours pour les adultes sont organisés par des sociétés privées, en particulier les Cours Populaires de Langue Française et la Renaissance Alsacienne. Le recteur est alors président d’honneur des Cours populaires, les Inspecteurs d’académie sont eux membres du bureau et la société met en œuvre la circulaire du préfet du 19 octobre 1919. Ces cours respectent dans les enseignements les branches professionnelles, mais offrent également un service de bibliothèque, des conférences, la possibilité de s’abonner à des tarifs avantageux à des revues… Ces cours sont directement organisés à partir de 1921 par l’Inspecteur des cours postscolaires. Incluse au sein du ministère de l’Instruction publique, la mission de ces cours est clarifiée par une circulaire.

Doc. 3. Instruction précisant les attentes en français des cours pour adultes

Nulle part, il n’est plus indispensable de multiplier les cours d’adultes que dans ces provinces retrouvées où une partie de la population adulte ignore le français et où beaucoup de ceux qui parlent notre langue nationale sont loin d’avoir une connaissance suffisante de la France, de sa géographie, de son histoire, de ses institutions, de son esprit.

KLING Caroline. La politique scolaire de Strasbourg dans l'entre-deux-guerres.
Mémoire de maîtrise. Strasbourg : Université de Strasbourg, 2000, p. 96.

Les cours durent trois heures par semaine, réunissent un groupe d’au-moins 20 élèves. Ils sont fonction du degré de compétences linguistiques constatées. Ils se répartissent donc en des cours élémentaires, des cours moyens et des cours supérieurs, qui eux sont divisés en deux options : la section commerciale, la section littéraire. Ces cours viennent en complément à une formation initiale jugée imparfaite.

Un certificat d’études postscolaire est mis en place à partir de 1922, sur le modèle du certificat d’Études, accompagné de ses épreuves : une dictée, une rédaction, des exercices de compréhension du texte, un oral de français suivi de celui portant sur l’histoire et la géographie. Les résultats de la première cession sont proclamés à l’Aubette le 17 juin 1922 : 330 adultes sont distingués.

Comment reconnaître au français une place à l’école ?

La réponse se compose de deux logiques : d’abord créer les conditions pour que les enseignants puissent exercer en français ; ensuite, faire du français, la langue de l’école.

La première condition implique l’arrivée en partie de nouveaux maîtres, mais aussi la formation des autres. Le 15 décembre 1919, la chronique scolaire de l’école de Reichshoffen rappelle les cours de perfectionnements en français, donnés tous les mercredis après-midi… Ces cours ont continué à être donnés jusqu’en 1921. Mais les enseignants ont également bénéficié de conférences pédagogiques dont l’effet principal est d’avoir, sous la conduite du nouvel inspecteur, le 7 novembre 1924, mis l’estomac dans le talon… La période d’adaptation fut particulièrement longue, puisque la chronique de cette école livre cette remarque le 15 octobre 1925, sorte de bilan de la rentrée : on se rapproche davantage du système de l’intérieur.


Principales étapes de la reconnaissance du français à l'école
Dates Événements
1919, 2 fév. Le français devient la langue de la justice,
1919, 8 oct. Circulaire du recteur Sébastien Charléty (1867-1945) proposant aux Inspecteurs d’académie un enseignement globalement bilingue, exception faite des écoles primaires.
1920, 15 janvier Circulaire du recteur Charléty qui reconnaît de fait l’existence des deux langues à l’école.
D’importantes conséquences sont liées à cette circulaire :
  • décision d’utiliser la méthode directe, dès la première année de scolarité, avec un enseignement exclusivement en français ;
  • reconnaissance du français comme langue prépondérante (Charléty) ;
  • valorisation de l’école qui est définie comme le bastion de la langue française ;
  • introduction tardive de l’allemand, au cours de la 4e année, sur la base de trois heures hebdomadaire, bien qu’on désigne la discipline comme ayant une place prépondérante
1920, 28 oct. L’allemand est introduit dès la troisième année de scolarité.
1924, mai Première représentation d’une pièce de théâtre en allemand à Strasbourg.
1926, 10 fév. Publication d’un Programme d’enseignement de l’allemand dans les écoles primaires élémentaires.
1926, octobre
  • Inspection scolaire à Colmar, Mulhouse, Strasbourg…
  • Série de promesses de sauvegarder un enseignement en allemand.
1927, 30 août Instruction du recteur Christian Pfister (1857-1933) :
  • Confirmation de l’objectif de diffuser le français comme langue nationale,
  • Reconnaissance de la nécessité d’un bilinguisme inégalitaire entre les deux langues,
  • Autorisation désobéir à la méthode directe,
  • Introduction de l’allemand dès le second semestre de la 2e année de scolarité de l’école élémentaire,
  • Obligation du passage lors du certificat d’études primaire d’une épreuve d’allemand.
Ces mesures de compensation doivent être comprises dans un contexte de fortes tensions.
1927, 13 octobre Introduction d’une épreuve d’allemand écrite et orale dans l’examen du certificat d’études, Instructions rectorales. Une dispense est possible, si les familles ne parlent pas quotidiennement l’allemand.

Doc. 4. Circulaire du recteur Sébastien Charléty, 15 janvier 1920

Dire que le français doit être la langue essentielle, c’est dire que nos élèves doivent recevoir une culture française […] et participer à la vie intellectuelle et morale du peuple français. Et c’est pourquoi, quelle que soit ici la valeur économique et l’importance usuelle de l’allemand, elle ne vient qu’après celle du français. Oui, certes, l’enseignement de l’allemand doit être donné dans nos écoles ; mais à la condition essentielle de ne pas porter préjudice à la diffusion de la langue française, car aucun argument d’ordre économique ne saurait prévaloir contre la nécessité de faire de l’Alsace et de la Lorraine un pays de langue française.

CHARLÉTY Sébastien. L’enseignement de la langue française et de la langue allemande dans les écoles d’Alsace et de Lorraine. Instruction de M. le recteur aux Inspecteurs d’Académie du 15 janvier 1920. In Bulletin de l’Enseignement, département du Bas-Rhin, n°2, juin 1920, p. 39.

Doc. 5. Circulaire du recteur Sébastien Charléty aux Inspecteurs d'académie, 19 octobre 1920

Un travail d’adaptation s’impose, autant à cause de la situation légale des écoles du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle que de leur situation de fait.

Vous en connaissez assez les traits essentiels pour qu’il suffise de les rappeler :

4 heures par semaine sont réservées à l’enseignement religieux dans toutes les classes. Et c’est la première différence avec les programmes français.

Il en est une autre, non moins importante. C’est celle qui résulte de la nécessité de faire une place à l’enseignement de l’allemand. […]

Aujourd’hui, comme alors, j’estime qu’il faut attendre pour introduire l’allemand que l’enfant parle, lise, et écrive le français d’une façon courante. Ce résultat, l’expérience le monde, et tous les maîtres compétents en témoignent, ne peut être obtenu avant la fin de la deuxième année d’études ; mais ce délai, à la rigueur, peut suffire. Il suffira certainement quand l’école maternelle, accueillant l’enfant dès l’âge de deux ou trois ans, le préparera par des exercices oraux à recevoir l’enseignement de l’école élémentaire. Ainsi donc, dans le cours préparatoire, qui comprend les deux premières années de scolarité, l’enseignement sera exclusivement français, à part, bien entendu, l’enseignement religieux qui pourra être donné en allemand partout où cela sera nécessaire. À partir de la seconde année de scolarité, c’est-à-dire dès l’entrée de l’enfant au cours élémentaire, l’allemand sera introduit comme matière d’enseignement et il sera consacré trois heures par semaine à la lecture, à l’écriture et à la grammaire allemande.

Cette mesure permettra de créer plus tôt le parallélisme entre l’enseignement de la religion en allemand et celui de la langue allemande. Comme les autres, l’enseignement religieux est, au départ, purement oral ; mais, comme les autres, il doit utiliser le livre lorsque l’enfant sait lire et écrire ; et il bénéficiera ainsi de l’introduction plus prompte de l’enseignement de l’allemand.

Coll. Das Elsass von 1870 bis 1932. Alsatia, Band IV : Karten, Graphiken, Tabellen, Dokumente, Sach- und Namenregister, 1938, p. 575-576.

Cette circulaire valide l’importance première accordée au français, tout en garantissant le maintien de l’enseignement de l’allemand dans les écoles. Le recteur prescrit également les méthodes d’enseignement, en particulier la méthode directe. La circulaire maintient l’enseignement de la religion en allemand.

Une question bien plus complexeRevenir au début du texte

Langue et vie politique

La question des langues recouvre en fait la vie politique. Bien que souhaitant l’assimilation à la légitimation nationale, la promotion du français, les socialistes, en particulier les maires de Strasbourg et de Mulhouse, militent également en faveur du bilinguisme, d’une reconnaissance du dialecte qui est la langue populaire par excellence.

Une même attitude en faveur de l’allemand et du dialecte s’exprime au sein du parti communiste, qui souhaite un bilinguisme de fait dans l’administration, dans la justice, dans l’enseignement. Devenu maire de Strasbourg, Charles Hueber fit rédiger les comptes-rendus du conseil municipal en allemand, ainsi que toute la correspondance pour les écoles, amenant le recteur à s’en étonner, en avril 1931.

Il va sans dire que l’attitude politique des uns et des autres quant à la question linguistique est de nature à les orienter parfois vers l’autonomisme.

Doc. 6. Lettre du recteur au maire de Strasbourg Charles Hueber, 8 avril 1931

J’apprends que depuis quelque temps les communications sont adressées par les services aux directeurs et tiers d’écoles sont fréquemment rédigées en allemand et non traduites. Bien que les fonctionnaires qui reçoivent ces communications sachent suffisamment l’allemand pour les comprendre, vous estimerez sans doute avec moi qu’il y a là un manque de correction manifeste qui n’est certainement pas dans vos intentions. Après douze années d’administration française et tous les efforts que la ville a fait pour permettre à ses employés d’apprendre le français, il paraît en effet inadmissible que les documents administratifs destinés à une autre administration soient rédigés en allemand, même l’emploi des deux langues dans ce cas serait inutile. Je suis persuadé qu’il suffira d’avoir attiré votre attention sur ces errements pour que vous donniez à vos employés les instructions nécessaires et me fassiez savoir que vous avez pris des mesures pour faire cesser cet abus.

KLING Caroline. La politique scolaire de Strasbourg dans l'entre-deux-guerres. Mémoire de maîtrise. Strasbourg : Université de Strasbourg, 2000, p. 85.

L’allemand, comme langue scolaire

Le maintien de la langue allemand est accordé, à raison de 3 heures hebdomadaires, à partir de la 4e année. L’enseignement de la religion peut être réalisé en allemand.

La conséquence de cette mesure, à partir des années 1920, est une dénonciation constante d’une baisse du niveau des élèves. Le retard toucherait en outre les autres disciplines, même le français, mais aussi les connaissances en histoire-géographie, les mathématiques.

Doc. 7. Dénonciation d’enseignants refusant d’utiliser le français

La France de l’est me cite comme étant un des nombreux instituteurs qui dans la campagne continuent à enseigner en grande partie en allemand, soit parce qu’ils ne connaissent pas suffisamment la langue française, soit qu’ils ne désirent pas la faire connaître à leur élèves.

Voici ce que je réponds à ces odieuses calomnies : à l’armistice, j’avais 45 ans ; je ne savais pas un mot de français ; j’ai fait comme tous mes collègues, je me suis mis au travail avec ardeur et enthousiasme pour apprendre la langue nationale et suit toutes les distinctions obtenues par ses élèves et par l’enseignant.

Réponse d’un instituteur de Heiligenberg (Monsieur Cordan), mis en cause par un article du journal La France de l’Est. In Revue scolaire d’Alsace et de Lorraine, 10 juillet 1938, n°13, p. 246.
(Droits réservés).

L'alsacien et l'école

Doc. 8. Instructions officielles du 20 juin 1923, nouveaux programmes des écoles primaires

Langue française.
Nul n'ignore les difficultés que rencontre l'instituteur dans l'enseignement de la langue française. Lorsque les enfants lui sont confiés, leur vocabulaire est pauvre et il appartient plus souvent à l'argot du quartier, au patois du village, au dialecte de la province, qu'à la langue de Racine ou de Voltaire. Le maître doit se proposer pour but d'amener les enfants à exprimer leurs pensées et leurs sentiments de vive voix ou par écrit, en un langage correct, enrichir leur vocabulaire, habituer les élèves à choisir exactement et à prononcer distinctement le mot propre, puis les amener peu à peu à grouper logiquement leurs pensées et leurs expressions, voilà un programme qui, en dépit de sa modestie, n'est pas de réalisation facile. Nos instituteurs affronteront, pour le remplir, tous les obstacles, car ils sentent bien que donner l'enseignement du français, ce n'est pas seulement travailler au maintien et à l'expansion d'une belle langue et d'une belle littérature, c'est fortifier l'unité nationale.

DEMANDE DE DROIT EN COURS !

BOUTON Pierre, Langue nationale et langues régionales à l’école : le débat politique de 1925. In Mots. Les langages du politique, décembre 1999, n°61, p. 36.
Avec l'accord gracieux de l'École Normale Supérieure de Lyon.

Doc. 9. Question de la langue des heures de religion

a) Pour les Catholiques :

La Ligue des Catholiques réclame que l’enseignement religieux dans les écoles primaires soit donné dans la langue qui est couramment parlée dans la commune et dans laquelle sont donnés les sermons à l’église.

La Ligue des Catholiques réclame que dans les écoles cette langue soit enseignée de façon à ce que les enfants puissent suivre avec compréhension l’enseignement religieux et les sermons.
Extrait des revendications des Catholiques d’Alsace, lors du Congrès de la Ligue des Catholiques, Molsheim, 11 octobre 1925.

b) Pour les Protestants, en 1925 :

Le Consistoire Supérieur,

Soucieux à la fois de l’intérêt général et de l’intérêt religieux des populations protestantes d’Alsace et de Lorraine,
Considérant qu’en vertu d’une tradition, plusieurs fois séculaire, la langue allemande est la langue culturelle de la plupart de nos paroisses et la langue religieuse de la plupart de nos familles, du moins dans nos paroisses rurales,
Considérant que l’enseignement religieux de nos écoles primaires ne sera efficace que s’il est donné dans la langue, dans laquelle s’exprime la piété des membres de l’église, tant dans le culte public que dans la vie religieuse privée, […]

Demande :

  • que l’Instruction religieuse ait lieu dans la langue qui répond le mieux aux désirs et aux besoins de chaque paroisse, […]
  • qu’aucune pression ne soit exercée soit sur les inspecteurs primaires, soit sur les instituteurs, pour hâter, avant le moment favorable, l’introduction du français dans l’enseignement de la religion, et que l’instituteur soit déchargé d’une responsabilité exclusive dans une question si grave.

SENGER Jules et BARRET Paul. Le problème scolaire en Alsace et en Lorraine – le régime confessionnel – le bilinguisme. Paris : Éditions Temps Futur, 1948, p. 104-105.
(Droits réservés).

Quelques résultats obtenusRevenir au début du texte

Le premier résultat tient d’abord au maintien, durant toute la période, de la question linguistique.

Doc. 10. Proposition de résolution invitant le gouvernement à constituer à Strasbourg une commission scolaire, chargée de résoudre le problème des langues

[Reprenant la constatation du sénateur de Leusse] : Il est manifeste qu’en matière scolaire nous avons fait fausse route dans nos régions de langue allemande. À l’école, les enfants apprennent passablement, même très bien parfois, une langue qu’ils comprennent à peine ; chez eux, ils continuent à parler une langue qu’ils savent à peine lire et écrire. […]

Or, c’est précisément autour de la méthode à suivre dans l’enseignement primaire des trois départements que se livrent des polémiques permanentes et souvent violentes, contribuant pour une large part à la nervosité connue dans nos deux provinces, sous le nom de malaise.

[…] Le Conseil général émet le vœu que le Gouvernement veuille bien instituer une commission comprenant des représentants de toutes les professions, des parents des élèves, du personnel enseignant et de l’Administration scolaire, commission chargée d’étudier les moyens pratiques d’une adaptation du programme scolaire national aux besoins économiques, moraux et linguistiques de l’Alsace et de la Lorraine. […]

Nous voudrions baser notre premier enseignement sur la langue maternelle de l’enfant. Nos élèves apprendraient d’abord à lire et à écrire en allemand. L’enseignement du français ne serait pas pour cela retardé d’un seul jour. Dès la première journée, on ferait dans nos écoles des exercices de langage en français qui donneraient à nos enfants le vocabulaire indispensable à tout enseignement. Et bientôt l’enseignement du français et celui de l’allemand pourraient marcher de front, l’un à côté de l’autre, s’entr’aidant, se pénétrant, se vivifiant. Car nous ne voudrions pas qu’on pût dire que nos écoles donnent la préférence à l’enseignement du français ou qu’elles donnent la première place à l’enseignement de l’allemand. Nous poserions comme principe : tout ce que l’enfant apprendra à dire, à lire et écrire en français, il apprendra également à le dire, lire et écrire en allemand, et tout ce qu’il apprendra en allemand, il devra également l’apprendre en français.

Nous voudrions également ensuite qu’on insérât dans le CEPE une épreuve d’allemand.

Propositions faites par 8 députés des trois départements d’Alsace-Lorraine.
Coll. Das Elsass von 1870 bis 1932. Alsatia, Band IV : Karten, Graphiken, Tabellen, Dokumente, Sach- und Namenregister, 1938, p. 536-542.

Doc. 11. Lettre du sénateur Helmer à Poincaré, 17 août 1926

Tout conflit religieux étant ainsi écarté, le problème le plus grave et en même temps le plus délicat est celui de la langue. […] Quand nous demandons dans une large mesure l’enseignement de l’allemand dans les écoles, nous nous heurtons presque toujours à cette objection qu’en le réclamant les Alsaciens demanderaient la suppression ou du moins la limitation de l’enseignement français. Grave et funeste malentendu ! Personne en Alsace ne pense à supprimer ou à limiter l’enseignement de la langue nationale. Mais cette idée fausse se trouve tellement ancrée dans beaucoup d’esprits que nous voyons des journalistes enquêteurs et quelque fois même des ministres, après avoir constaté les connaissances des élèves en français, en conclure dans les départements recouvrés.

Le Haut-Rhin et le Bas-Rhin sont une région bilingue. On ne saurait donc y exclure l’enseignement d’une langue pour donner l’exclusivité à celui de l’autre. Quand les Allemands l’ont fait, les Alsaciens n’ont cessé de protester durant toute l’annexion contre ce programme scolaire en invoquant l’attitude plus libérale de la France avant 1870.

[…] Mais négliger l’enseignement de l’allemand dans le programme des écoles primaires, c’est froisser, à un point plus délicat encore ce que nous nommions du temps allemand ‘’l’âme alsacienne’’. Dans les familles qui ont toujours parlé l’alsacien, et dans celles où les parents n’ont pas eu l’occasion d’apprendre le français, l’allemand est la langue écrite. La connaissance est donc indispensable sous peine de rendre impossible l’échange de lettres entre les parents et les enfants.

[…] Il ne m’appartient pas, étant incompétent, de me prononcer sur la valeur technique des méthodes pédagogiques introduites depuis 7 ans. Mais en voyant que les résultats, je dois déplorer qu’ils ne soient pas ceux qu’au point de vue de la situation matérielle que les élèves rechercheront dans la vie, et au point de vue des relations de famille, je voudrais voir réalisés par l’instruction publique française en Alsace.

[…] De cette regrettable ignorance ne tenons pas rigueur à une génération qui, séparée par une frontière et par la différence de langue, a su quand même conserver toute sa fidélité à la patrie absente. Oublierait-on déjà que c’est au sein des populations parlant le dialecte que la résistance à la germanisation s’est manifestée de la façon la plus énergique ?

Alors serait-ce être trop exigeant aujourd’hui que de demander à l’administration et à la justice de s’organiser de façon à pouvoir remplir utilement leurs fonctions vis-à-vis de personnes qui bien que ne sachant pas la langue française, n’en sont pas moins maintenant française de droit après avoir prouvé à l’épreuve qu’ils étaient français de cœur. […]

Fonctionnaires et magistrats en contact avec le public et les justiciables devraient comprendre la langue usuelle des milieux populaires et savoir en user.

Propositions faites par 8 députés des trois départements d’Alsace-Lorraine.
Coll. Das Elsass von 1870 bis 1932. Alsatia, Band IV : Karten, Graphiken, Tabellen, Dokumente, Sach- und Namenregister, 1938, p. 531-533.

Le second est la démonstration d’importants progrès du français dans les publics scolaires, mais également dans le reste de la population. Si les locuteurs du français pouvaient être définis comme 10 à 20 % de la population en 1926, 55 % de la population en 1936 déclarent avoir des connaissances en français. Selon Marc Hug, l’école a été la pourvoyeuse essentielle du français.

Enfin, l’allemand n’a pas disparu. D’une part, il est resté en relation constante avec l’alsacien, qui reste la langue du quotidien, mais aussi, il a bénéficié, non pas de la République, mais de ses recteurs, d’une reconnaissance de fait à l’école. L’enseignement de l’allemand occupe près de 7 heures par semaine.

Surtout, le système, pour la première fois, a façonné des élèves bilingues.

Ce document fait le compte-rendu d’une proposition de loi, déposée par des députés d’Alsace et de Lorraine.

Doc. 12. Pour le bilingue

L’article 1er a trait aux méthodes d’enseignement. Nous sommes d’avis que les facultés intellectuelles d’un enfant de 6 ans peuvent mieux être développées par un enseignement utilisant la langue connue par l’enfant, qu’en lui donnant des leçons dans une langue qui est ignorée par lui et par ses parents.

La méthode directe employée depuis 1919 dans les écoles va à l’encontre du but poursuivi avec la même volonté, par les populations alsaciennes et lorraines et par le Gouvernement : faire apprendre le français d’une façon aussi parfaite que possible par les jeunes générations.

[…] Nous demandons donc que l’allemand, qui est la langue littéraire des patois parlés par les trois quarts des populations alsaciennes et lorraines, serve de langue d’initiation.

Revue scolaire d’Alsace et de Lorraine, 25 décembre 1938, n°20, p. 367-368.
(Droits réservés).