Par Nicolas Schreck
Publié le à définir
En ouvrant la conférence d’Alsace-Lorraine, le 10 février 1915, la France montrait qu’elle souhaitait accompagner le retour des territoires perdus, en discutant, en débattant des modalités d’une introduction de la législation française et des clauses spécifiques à y maintenir. Les résolutions adoptées lors de ces discussions éclairent sur les intentions de la France.
Article 1 : d’une manière générale, il y aura lieu d’appliquer aux territoires actuellement compris dans l’Alsace-Lorraine les lois françaises sur l’organisation, la gratuité, l’obligation et la laïcité de l’enseignement primaire, sauf exceptions et mesures transitoires indiquées par loin.
Article 2 : il convient de maintenir les catégories d’écoles suivantes : écoles maternelles, écoles élémentaires, cours et écoles postscolaires, écoles primaires supérieures.
Par suite de la gratuité dans les établissements d’enseignement primaires, les écoles moyennes (Mittelschulen) deviendront inutiles. Elles seront d’ailleurs remplacées avantageusement par les écoles primaires supérieures de garçons.
Article 3 : il conviendra d’avoir, par département, une école normale d’instituteurs et une école normale d’institutrices et d’y maintenir des internats. […]
Article 9 : la gratuité devra être établie immédiatement dans les écoles d’enseignement primaire.
Article 10 : le régime de l’obligation scolaire appliqué en Alsace-Lorraine ayant donné des résultats satisfaisants, il conviendra de le maintenir entièrement.
Article 11 : les établissements d’enseignement primaire seront ouverts indifféremment à tous les élèves sans distinction de confession religieuse.
Article 12 : il conviendra de maintenir les congrégations enseignantes au moins pendant une période de 10 ans.
Article 13 : il conviendra d’appliquer immédiatement les programmes français des écoles primaires. Toutefois, comme ces programmes ne comprennent pas l’enseignement religieux, il conviendra, pour respecter les mœurs et les traditions des Alsaciens et Lorrains, d’autoriser les ministres des cultes à donner l’enseignement religieux dans les locaux scolaires en dehors des heures de classe, et sans qu’aucun élève puisse être astreint à y assister contre le vœu de ses parents.
SENGER Jules et BARRET Paul. Le problème scolaire en Alsace et en Lorraine – le régime confessionnel – le bilinguisme. Paris : Éditions Temps Futur, 1948, p. 68-69.
(Droits réservés).
En fait, il était proposé un alignement sur les lois françaises, après une courte période de transition. La législation à appliquer était celle du système scolaire français, hérité en grande partie des lois Ferry. Toutes les particularités devaient disparaître, exception du régime de l’obligation scolaire. La loi prévoyait la conversion de toutes les écoles confessionnelles en établissements interconfessionnels, la disparition à terme de l’emploi des congrégations au sein des écoles des personnels. La laïcisation des personnels était prévue, les instituteurs et institutrices n’étant plus dans l’obligation de dispenser l’enseignement religieux qui, en outre, devait se faire en-dehors du temps scolaire.
Ces résolutions allaient être ardemment discutées au cours de l’Entre-deux-guerres.
Quelques exemples permettront d’éclairer la situation.
Doc. 2. L’histoire scolaire en Alsace, entre hésitations, tentatives d’aménagements et réactions
26 nov. | Création d’un service général d’Alsace-Lorraine et d’un Conseil supérieur d’Alsace-Lorraine. |
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9 déc. | Visite du Président de la République à Strasbourg : les noces de l’Alsace et de la France sont prononcées (le plébiscite est fait). |
Fin 1918 - dbt. 1919 | 1er incident : refus de la France de reconnaître des assemblées régionales, refus de toute décentralisation, prise de distances avec la constitution de 1911, enfin installation d’un Conseil supérieur d’Alsace et de Lorraine (26 novembre 1918). |
1919, 17 oct. | Loi définissant le régime transitoire et permettant à l’Alsace de continuer de bénéficier des textes du Reichsland. |
1920 | Multiplication des demandes de conversion des écoles confessionnelles en écoles interconfessionnelles, à Strasbourg, à Mulhouse… |
1920, 9 sept. | Naissance du conseil consultatif. |
1920, 19 oct. | Circulaire Sébastien Charléty. |
1er incident : la question des écoles interconfessionnelles | |
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1920 | Les demandes municipales d’école interconfessionnelles à Mulhouse, à Colmar, à Strasbourg. |
1921-1924 | La réplique est orchestrée par les catholiques, sous la conduite de Monseigneur Ruch :
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1924, 17 juin | Lors des élections (février 1924), les partis de gauche progressent, proposant un programme politique de lutte contre le régionalisme et de défense de l’école publique… Ces progrès font penser que l’Alsace pourrait adhérer aux lois scolaires françaises. La conséquence est la déclaration Herriot du 17 juin 1924. La condamnation du monde catholique est multiple :
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1924, 8 sept. | Nouvelle demande d’une introduction de l’école interconfessionnelle à Strasbourg. |
1924, 12 fév. |
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1925, 16 mars | Le temps de la grève scolaire. |
1925, 3 mars |
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1925, Pâques |
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2nd incident : les demandes de dispense pour les cours de religion | |
1921 | Circulaire du commissaire général Alapetite. |
3e incident : la question de l’emploi des sœurs de la Divine Providence au sein des écoles interconfessionnelles | |
1925 |
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1927 | Incident suite au remplacement d’une Soeur décédée par Sœur Solange, à Strasbourg. |
1929, 24 fév. | Discours d’Édouard Daladier à Strasbourg. |
4e incident : l’école accaparée par l’autonomisme | |
1925, 9 mai | Le journal autonomiste la Zukunft, affirme combattre pour la langue. |
5e incident : le renouvellement, comme en France, d’une partie de la législation | |
1936, 11 août |
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Le statut des écoles confessionnelles est ancien, lié à l’article 15 de la loi du 15 mars 1850, confirmé par la législation allemande des années 1880 et 1881 qui prévoit l’ouverture d’écoles séparées pour chacun des cultes professés en Alsace.
Le Conseil municipal,
Considérant que la laïcité est le principe du gouvernement démocratique, le fondement de toute la vie publique moderne ; - que la sécularisation de l’école en est la conséquence logique ; - que l’école laïque, pierre angulaire de la République, est ainsi seule capable de mettre en harmonie l’éducation et les institutions ;
Considérant en outre qu’il y aurait injustice et danger à méconnaître aux citoyens d’Alsace leur double qualité d’hommes et de citoyens français et à leur imposer un système d’éducation en opposition avec l’esprit moderne et avec les lois de la République ;
Demande :
1) la suppression dans tout le pays, de l’école confessionnelle, survivance des régimes autocratiques, qui sépare les enfants d’après leur religion et les prédispose à l’antipathie réciproque et à l’intolérance ;
2) l’introduction immédiate de l’école laïque française, école de liberté et de tolérance ;
l’enseignement, l’éducation morale et civique à l’instituteur, la religion au prêtre en dehors de l’école et des heures de classe ;
3) l’école unique, avec, à la base, l’école primaire commune où pauvres et riches apprendront peu à peu à se connaître, à se respecter, et, au-dessus, les écoles du second degré recrutées non d’après la fortune des parents, mais d’après les aptitudes des enfants pour assurer aux plus méritants tout le développement dont ils sont susceptibles.
SENGER Jules et BARRET Paul. Le problème scolaire en Alsace et en Lorraine – le régime confessionnel – le bilinguisme. Paris : Éditions Temps Futur, 1948, p. 95-96.
(Droits réservés).
Cette demande est remarquable à trois titres :
Résolution 1 : conformément au désir manifesté par de nombreux pères de familles, le conseil municipal […] exprime le vœu que l’instruction religieuse, actuellement obligatoire sous peine de prison conformément à l’ordonnance d’un général prussien datant de l’année 1871, soit déclarée facultative du programme de l’enseignement.
Résolution 2 : […] les considérations d’ordre confessionnel doivent être complètement écartées en ce qui concerne la répartition des élèves de l’enseignement primaire entre les différentes écoles. La répartition de ces élèves doit être uniquement basée sur la densité de leurs quartiers et limitée seulement part le nombre d’écoliers que les écoles sont susceptibles de recevoir. Le Conseil municipal invite la municipalité à prendre des mesures appropriées à la réalisation de ce principe et il compte notamment qu’il est résultera une répartition plus uniforme des écoliers dans les différentes classes, et une réduction du chemin à poursuivre chaque jour par les élèves.
CR de la décision du Conseil municipal, conservé aux Archives de Strasbourg. Cité dans KLING Caroline. La politique scolaire de Strasbourg dans l'entre-deux-guerres. Mémoire de maîtrise. Strasbourg : Université de Strasbourg, 2000, p. 59.
Les arguments sont ici d’une autre nature : respect de l’autorité des pères, affectation des élèves au plus proches de leur résidence… Le préfet refusa la demande.
Pourquoi tenir les catholiques et les protestants officiellement séparés en des écoles qui s’ignorent ? C’est entretenir, entre eux la division, alors qu’ils auraient tout intérêt à se connaître et à se rapprocher. Les enfants garderont toute leur vie les habitudes contractées sur les bancs de l’école. Parqués, dès leur premières années, en deux clans rivaux, ils continueront de l’être, par l’effet de l’habitude et de l’éducation, durant leur vie entière.
Docteur Charles Extermann (1867-1939), maire de Wasselonne.
Bulletin Jean Macé, organe des sections alsaciennes de la Ligue française de l’enseignement, Strasbourg. Imprimerie alsacienne, 1933, n°4, juillet 1933, p. 28-29.
Avec l'accord gracieux de la Ligue de l'Enseignement.
La commune de Wasselonne avait déjà demandé, suite à la décision du conseil municipal, le 22 juillet 1925, des écoles interconfessionnelles. Cette demande a été formulée à six reprises, rencontrant toujours le rejet par le préfet. Le docteur Extermann avait été maire de Wasselonne de 1925 à 1935.
On voit à l’évidence que si les attentes sont les mêmes dans les diverses municipalités, les démarches entreprises ont été différentes : des revendications d’un alignement politique à Mulhouse, pragmatisme à Strasbourg, justification au nom de l’égalité à Wasselonne… Toutes ces demandes, après avis négatifs du Conseil départemental de l’Instruction publique, ont été rejetées par les préfets.
Considérant que l’Église par le Canon 1374 interdit la fréquentation des écoles interconfessionnelles, en raison des dangers auxquels y est exposée la foi des enfants catholiques ;
Considérant que là où les pères et mères de famille ont été contraints, malgré leur volonté, d’envoyer leurs enfants à l’école interconfessionnelle, ils ont le devoir non seulement de réclamer par tous les moyens honnêtes dont ils disposent la reconnaissance de leurs droits, mais de veiller à ce que la foi de leurs enfants ne coure aucun danger ;
Le Saint Nom de Dieu invoqué, Notre Conseil consulté, Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Article 1 : dans toutes les paroisses sans exception où existent des écoles interconfessionnelles, les parents catholiques qui ont envoyé cette année des enfants dans ces établissements se réuniront avant les vacances de la présente année pour examiner si la foi de leurs enfants n’a pas couru quelque danger à l’école interconfessionnelle.
Article 2 : cet examen portera sur l’enseignement oral, les manuels, les emblèmes et, d’une manière générale, sur toute ce qui aurait pu nuire à la foi religieuse des enfants ou la mettre en péril.
Article 3 : cet examen sera fait pour chaque école par les parents ou tuteurs des enfants fréquentant ladite école. Le curé ou son représentant sera présent. Un rapporteur sera nommé.
SENGER Jules et BARRET Paul. Le problème scolaire en Alsace et en Lorraine – le régime confessionnel – le bilinguisme. Paris : Éditions Temps Futur, 1948, p. 79-80.
(Droits réservés).
Années | Écoles catholiques | Écoles protestantes | Écoles juives | Écoles interconfessionnelles |
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1908 | 2 342 | 400 | 49 | 49 |
1913 | 2 336 | 404 | 44 | 57 |
1922 | 2 539 | 295 | 9 | 143 |
1930 | 2 618 | 325 | 5 | 135 |
1934 | 2 615 | 320 | 5 | 135 |
Doc. 7a. Essor des écoles interconfessionnelles.
Coll. Das Elsass von 1870 bis 1932. Alsatia, Band IV : Karten, Graphiken, Tabellen, Dokumente, Sach- und Namenregister, 1938, p. 200.
Les écoles interconfessionnelles sont interdites par l’Église catholique depuis 1662. Ces dispositions maintenues par le Reichsland ont pourtant été contournées dès 1830 par les maires de Mulhouse qui ont établi dans la ville ouvrière des écoles interconfessionnelles ou encore par les communes de l’agglomération strasbourgeoise.
L’Église condamne de telles propositions et interdit aux élèves de se présenter à la communion solennelle.
Si le nombre d’écoles interconfessionnelles progressa peu, pendant la même période, l’augmentation de la population scolaire fut encadrée par près de 273 nouvelles écoles catholiques. En ce sens, la politique interconfessionnelle menée par les municipalités fut un échec.
La guerre a posé deux problèmes qui n’ont reçu à ce jour que d’incomplètes solutions. Le gouvernement est persuadé qu’il interprétera fidèlement le vœu des chères populations enfin rendues à la France en hâtant la venue du jour où seront effacées les dernières différences de législation entre les départements recouvrés et l’ensemble du territoire de la République. Dans cette vue, il réalisera la suppression du Commissariat Général et préparera les mesures qui permettront en respectant les situations acquises, en ménageant les intérêts matériels et moraux de la population, d’introduire en Alsace et en Lorraine l’ensemble de la législation républicaine.
Citée dans KLING Caroline. La politique scolaire de Strasbourg dans l'entre-deux-guerres. Mémoire de maîtrise. Strasbourg : Université de Strasbourg, 2000, p. 68.
Cette étape démontre à l’évidence qu’une demande souhaitée par une fraction de la population a été interprétée comme une volonté générale. Les jours qui suivent la déclaration, 21 députés d’Alsace-Lorraine font part de leur douloureuse surprise, alors que la presse se déchaine et que les excès prennent le dessus, certains dénonçant l’école laïque comme celle de l’irréligion, le complot de la franc-maçonnerie, cumulée à l’action bolchevique.
La seconde étape est d’apporter les lois françaises au titre de l’égalité territoriale. Ce second temps est le fruit d’un contexte politique national, avec l’arrivée au pouvoir à la suite des élections législatives du 11 mai 1924 d’une majorité de gauche, le Cartel.
Notre parti, s’il tient compte des conditions historiques et géographiques particulières de l’Alsace, considère qu’il ne saurait avoir deux politiques : une politique d’action républicaine à l’Ouest des Vosges et une politique de réaction à l’Est. Tous les problèmes doivent être résolus avec la patience mais aussi la fermeté nécessaire dans le cadre de la République une et indivisible.
[…] Mais nous ne saurions admettre la prétention de ceux qui s’opposent à l’introduction en Alsace des lois fondamentales de la République, qui, par la neutralité religieuse de l’État et la laïcité de l’École, sont la véritable garantie de la liberté de conscience.
Il est curieux d’observer qu’en Alsace, aujourd’hui, comme dans le reste de la France, il y a une trentaine d’années, la liberté de conscience est invoquée contre la République par les partis et par les hommes qui n’ont cessé et ne cessent de la violer quand ils ont le pouvoir.
En réalité, tout cela n’est qu’un prétexte et un simulacre. La loi Falloux, complétée par Bismarck von Bohlen, organise la domination politique et sociale du clergé dont la majorité a plus de confiance dans la force d’une loi injuste et périmée que dans sa propre doctrine et dans ses propres vertus.
Que les situations acquises soient respectées, que les mesures transitoires et les étapes nécessaires soient prescrites et loyalement observées, nous l’avons toujours affirmé et nous avons donné sur ce point notre entière approbation à la proposition de résolution du député-maire de Strasbourg, M. Peirotes, démocrate et Français sans condition. Mais ni les traditions, ni les croyances religieuses ne sont menacées par ces lois.
[…] Nous croyons que le régime de la séparation et celui de l’école laïque doivent être étendus aux trois départements recouvrés.
Bulletin Jean Macé, organe des sections alsaciennes de la Ligue française de l’enseignement, Strasbourg. Imprimerie alsacienne, 1933, n°4, juillet 1933, p. 2-8.
Avec l'accord gracieux de la Ligue de l'Enseignement.
Le document appelle un certain nombre de remarques : d’abord, le discours est prononcé par Edouard Daladier (1884-1970), figure incontournable du parti radical, ancien professeur d’histoire, président du parti. Le taureau du Vaucluse a participé aux ministères du Cartel des Gauches, avant d’être nommé en 1926 à l’Instruction publique. Il propose, dans ce discours, l'idée de l’alignement de l’Alsace aux lois françaises, au nom de l'unité nationale mais aussi par pragmatisme également, la demande ayant été faite par le maire de Strasbourg, Jacques Peirotes (1869-1935). Le temps de la situation de transition était achevé.
Enfin et surtout, il condamne les héritages de la législation scolaire de l’Alsace comme les expressions de deux adversaires auxquels la République française fut contrainte de livrer bataille, d’une part la loi Falloux, d’autre part les lois allemandes du Reichsland. Il finit par identifier un adversaire politique au sein du clergé d’Alsace.
Par la présente, je tiens à vous faire connaître que je désirerais que ma fille Marianne, âgée de 12 ans, actuellement à l’école catholique du Neuhof, soit dispensée de l’Instruction religieuse car je souhaite qu’elle ne fasse pas sa première communion.
Citée dans KLING Caroline. La politique scolaire de Strasbourg dans l'entre-deux-guerres. Mémoire de maîtrise. Strasbourg : Université de Strasbourg, 2000, p. 76.
Les établissements scolaires dispensent un cours de religion en Alsace. La question de la dispense est discutée, tant pour les élèves (avec la question de savoir qui l’accorde) qu’au niveau des enseignants.