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Religion et école

Par Nicolas Schreck

Publié le à définir

La question du statut religieux de l’Alsace devait rapidement être tranchée.

Si cette idée a été défendue dès 1915, elle s’est révélée particulièrement impossible à mettre en œuvre, multipliant les oppositions des uns et des autres, faisant de l’école l’otage des affrontements politiques.

Doc. 1. Avis du Conseil d’État du 24 janvier 1925 concernant la permanence du régime concordataire en Alsace-Lorraine.

Considérant que la convention passée le 26 messidor an IX entre le gouvernement français et le pape a été rendue exécutoire comme loi de la République par la loi du 18 germinal an X ; qu’elle y est incorporée – ainsi que les articles organiques du culte catholique, avec lesquels, en vertu même de ladite loi elle forme un ensemble indivisible ; qu’il résulte des pièces jointes au dossier, d’une part, que pendant la période d’annexion de l’Alsace et de la Lorraine à l’Allemagne, les dispositions de cette convention ont continué à être appliquées, du consentement mutuel du Saint-Siège et de l’Allemagne ; d’autre part, qu’après réincorporation de l’Alsace et de la Lorraine à la France, le gouvernement français et le Saint-Siège ont été d’accord pour maintenir en vigueur ladite convention et pour exécuter les obligations réciproques et corrélatives qu’elle leur imposait,

Est d’avis que le régime concordataire tel qu’il résulte de la loi du 18 germinal an X est en vigueur dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.

Journal officiel du 4 février 1925.

Panorama de quelques difficultés scolaires liées à la religion Revenir au début du texte

Un exemple de difficulté : la prière du début et de fin de journée

Doc. 2. Note de service

Doc. 2. Note de service
Cahier jaune directeur Schoepflin, s.d.
Coll. © Archives de Strasbourg (57 W 190)

On perçoit dans le document le souci de maintenir une pratique religieuse de classe, au quotidien mais aussi l’opposition des maîtres laïcs.

En effet, les maîtres issus pour partie des autres départements ne sont pas tenus à l’enseignement de la religion. Le compromis trouvé oblige les élèves à la récitation mentale de la prière (document 2).

La promotion de la laïcité

Doc. 3. Avis du Conseil d’État du 24 janvier 1925 concernant la permanence du régime concordataire en Alsace-Lorraine

14 juillet 1931 : distribution par la Ville de Mulhouse à chaque élève d’un pain d’épice, accompagnée d’une feuille avec le texte suivant : offert par la Ville de Mulhouse aux enfants de ses écoles communales à l’occasion du 14 juillet 1931, en souvenir du Cinquantenaire de l’Enseignement gratuit, obligatoire et laïque.

La laïcité n’est que le respect, étendu à son maximum, de la loi et des droits de l’individu. Les vrais laïques ne sont ni sectaires, ni agressifs, ni haineux. Ils ne défendent ni des intérêts particuliers, ni un dogme, mais la liberté de tous, y compris celle de leurs adversaires.

En ce qui concerne l’enseignement laïque, les instructions ministérielles disent en substance : l’instituteur ne se substitue ni au prêtre ni au père de famille… Toute discussion théologique et philosophique lui est interdite par le caractère sacré de ses fonctions, par l’âge de ses élèves, par la confiance des familles et de l’État… Sa mission consiste à fortifier, à enraciner dans l’âme de ses élèves, pour toute leur vie, en les faisant passer dans la pratique quotidienne, les notions essentielles de moralité humaine, communes à toutes les doctrines et nécessaires à tous les hommes civilisés.

Chronique de l’École Kléber, Mulhouse / Schul-Chronik für die Gemeinde, Mulhouse, 2 novembre 1909-15 juillet 1939. Manuscrit conservé aux Archives municipales de Mulhouse, 96 p.

Un pain d’épice républicain… L’acte de propagande est évident. Mais, bien plus, en installant au sein des classes les débats qui voient sur la scène publique l’affrontement de l’État et de l’Église, la municipalité tout en revendiquant l’héritage de la Ligue de l’Enseignement, en mettant en œuvre les grands principes de l’école publique, prit le risque démesuré d’engager des élèves dans des combats bien loin de la nécessaire neutralité.

Quelques étapes d’une déchirure Revenir au début du texte

Dates Événements
1918, déc. L’abbé Haegy dénonce les atteintes à l’école confessionnelle et orchestre une pétition. Celle-ci recueille 225 000 signatures.
Cette attitude est reprise par Monseigneur Ruch qui orchestre d’une part la constitution de l’association des pères et des mères de famille, de la Ligue d’Alsace, mais aussi dénonce certains manuels scolaires, l’attitude de nombre de ses maîtres…
1923, fév. Violente campagne de presse de dénonciation de l’école publique, dans un contexte en France d’extension des lois de laïcité, condamne l’action des instituteurs issus des départements de France… Divers ouvrages complètent cette dénonciation (les lois intangibles du régime abject, Alsatia, 1925 / die Laïenschule, édition Salvat, 1924). Zislin tente, par une prière alsacienne, de dépasser ces tensions, sans arriver à ramener au bon sens les protagonistes.
1925, mars Interdiction faite aux catholiques de Colmar, sous peine de se voir refuser la communion, d’envoyer leurs enfants dans les écoles interconfessionnelles.
1925, avril Organisation d’un plébiscite pour la défense du régime scolaire
1927 Affaire de la Sœur Solange, Strasbourg.
1933, 17 juin Circulaire Guy La Chambre qui établit en Alsace la liberté de conscience pour les élèves, avec une possibilité de dispense de l’enseignement religieux.

Doc. 4. Lettre de l’évêque de Strasbourg Charles-Joseph-Eugène Ruch aux Alsaciens, 22 juin 1924

Chers Messieurs,

L’heure n’est pas aux phrases, mais à l’action. Les droits et libertés religieuses des catholiques d’Alsace sont menacés.

[…] Il est nécessaire que tous les catholiques d’Alsace connaissent au plus tôt les mesures dont on les menace. La Ligue publiera des tracts courts, clairs, précis, sur les lois qui régissent, dans toutes les autres provinces de France, l’école, les rapports de l’Église et de l’État, les Congrégations religieuses.

Nous ordonnons que dans toutes les paroisses du diocèse sans exception, la Ligue organise avant le 24 août 1924 une ou plusieurs conférences sur ces trois sujets, afin que partout les fidèles sachent ce qu’on désire leur prendre et ce qu’on veut leur imposer. […]

Du sang froid : pas une faute, pas de maladresses. Nos adversaires les attendent pour les exploiter. Ils s’apprêtent à dire que nous combattons la République : ne confondons notre cause avec aucune autre ; nous sommes des catholiques qui défendent notre religion. Nous sommes accusés de combattre la France. Personne ne s’y trompera. La vérité évidente, c’est que blesser les catholiques d’Alsace dans ce qu’ils ont de plus cher et de plus sacré, c’est travailler au profit de l’étranger, c’est faire le jeu de l’ennemi.

[…] De la rapidité : les opérations que prescrit cette lettre sont celles qui s’imposent à l’heure présente. Il n’y a plus une minute à perdre. La France est une mère. Nous voudrions à tout prix empêcher des luttes douloureuses, funestes, et dont il est impossible de mesurer les conséquences. Parlons donc bien vite, parfois tous, parlons avec respect, mais très haut. Disons à la Patrie ; Tu n’as pas de fils plus aimants, plus dévoués ; tu peux nous demander tout ce qu’un pays a le droit d’exiger de ses fils ; nous ne le refuserons jamais. Mais ton pouvoir expire là où s’expire le pouvoir d’une mère ; contre notre foi religieuse tu n’as pas de droit. À la Patrie tout ce qui est à la patrie. À Dieu seul tout ce qui est à Dieu.

Coll. Das Elsass von 1870 bis 1932. Alsatia, Band IV : Karten, Graphiken, Tabellen, Dokumente, Sach- und Namenregister, 1938, p. 426-428.

Doc. 5. Lettre et ordonnance de l’évêque de Strasbourg, Charles-Joseph-Eugène Ruch, aux prêtres de son diocèse, 24 décembre 1924

L’heure est grave, critique même, grosse de périls.

L’Alsace catholique est en danger ! Des adversaires impitoyables lui ont déclaré une guerre acharnée. Ils veulent détruire notre sainte religion. Et pour y parvenir, ils ont résolu de faire élever l’enfant malgré la volonté des parents dans des écoles sans Dieu ; ils s’efforcent de pervertir la jeunesse par l’immoralité. Ils sont décidés à proscrire plusieurs congrégations religieuses et à toutes ils retireront le droit d’enseigner. Ils ont juré de remplacer un Concordat qui pendant plus d’un siècle a garanti la paix religieuse, par des dispositions qui, condamnant l’église à une existence précaire et misérable, paralysent son action civilisatrice et l’empêchent de se dévouer autant qu’elle le voudrait au bien public.

La France est en danger ! Des hommes et ils sont des milliers, qui ne croient plus en Dieu et ne respectent plus ses lois, qui ne connaissent d’autre pouvoir que la force matérielle et qui espèrent la détenir demain, annoncent eux-mêmes bruyamment qu’ils vont bouleverser de fond en comble la société et détruire entièrement toute antique civilisation chrétienne. Ces nouveaux Barbares, et ils sont à nos ports, ils travaillent au sein même de la nation. […]

Coll. Das Elsass von 1870 bis 1932. Alsatia, Band IV : Karten, Graphiken, Tabellen, Dokumente, Sach- und Namenregister, 1938, p. 428-430.

On est étonné de la virulence de la réaction de l’évêque de Strasbourg. Monseigneur Ruch (1873-1945) fut nommé évêque par Clémenceau sur une liste établie par le pape en 1919. Cette nomination, qu’il n’avait pas souhaitée, ne connaissant pas assez l’allemand, ni le dialecte… fut d’ailleurs l’objet d’un incident entre l’État français et le Vatican, comme s’il était impossible d’être conciliant pour les besoins de l’Alsace. Si l’accueil fut cordial à l’arrivée de l’évêque en Alsace, il semble qu’il n’ait pas ménagé ses efforts, prêchant en allemand, obéissant en fait au pape qui lui avait ordonné d’apprendre la langue.

La querelle avec l’État est fille du contexte. Elle est liée en grande partie à l’alternance politique, à la suite des élections législatives de 1924, qui virent la victoire du Cartel des Gauches. Le nouveau gouvernement, d’Edouard Herriot, président du parti radical-socialiste, prévoyait l’application intégrale de la législation française, mettant fin à la période de transition, convaincu de l’adhésion des Alsaciens à une application intégrale des lois françaises.

La protestation de l’Église catholique fut d’abord politique, sous l’impulsion de Robert Schuman et de 21 des 24 députés d’Alsace-Lorraine, soutenus par les trois conseils généraux. L’Église catholique, dès le 22 juin 1924, changea de ton et entendit s’opposer à ses Persécuteurs.

Si on peut légitimement mesurer la réussite de l’évêque au nombre de signataires de la pétition (373.315 en Alsace), la réplique municipale à ce combat fut la proclamation des écoles interconfessionnelles dans une série de villes comme à Colmar, à Strasbourg, à Mulhouse, à Schiltigheim, à Guebwiller, à Huningue… La grève scolaire fut la réponse de l’Église. La solution à ce divorce vint à nouveau des circonstances, le gouvernement Herriot étant renversé le 10 avril 1925, le statu quo s’installant momentanément entre l’État et l’Église d’Alsace et le 29 janvier 1929 Raymond Poincaré, comme président du Conseil, réitérant l’engagement initial de maintenir l’Alsace dans son statut spécifique.

Il convient de considérer l’action de Monseigneur Ruch comme un des temps les plus dynamiques de la vie religieuse : essor des ordinations, maintien des sœurs aux postes, dévotions sur le Mont Saint Odile, mais aussi défense des intérêts scolaires de l’Église. Sur d’autres questions, comme la dispense de l’enseignement religieux, la durée de scolarité ou encore l’obligation pour les maîtres laïcs d’enseigner la religion, les relations entre l’État et l’Église catholique d’Alsace surent à chaque reprise se tendre, Monseigneur Ruch usant systématiquement de la dénonciation, de la pétition, voire de la menace de la grève scolaire…

La réconciliation était pourtant possible, dans l’amour identique du pays. Monseigneur Ruch, constamment mobilisé au service d’une Alsace française, est en effet le rédacteur de l’article Patrie du Dictionnaire de Théologie Catholique ou encore de Jeanne d’Arc, libératrice d’Alsace-Lorraine (1925), montrant un souci constant de célébrer la France, patrie des Alsaciens.

L’évolution de la place de l’enseignement religieux en AlsaceRevenir au début du texte

La question des dispenses

L’enseignement religieux constitue un enseignement en conformité avec les deux textes initiaux, la loi Guizot de 1833 qui préconise un enseignement de religion, avec la possibilité d’une dispense, puisque les maîtres sont déjà appelés à suivre la volonté du père. La loi Falloux de 1850 fait de la religion une discipline d’enseignement. Ces dispositions avaient été confirmées par la législation du Reichsland, la religion étant discipline d’enseignement obligatoire, avec un programme d’enseignement…

Des adaptations avaient été rendues nécessaires au retour à la France : les élèves venus de France, scolarisés en Alsace, pouvaient être dispensés de l’enseignement de la religion (circulaire du 15 mars 1920), diverses entorses étaient possibles pour les élèves alsaciens également. En effet, à partir du 31 décembre 1921, une dispense pouvait être demandée au préfet (circulaire Alapetite).

Doc. 6. Circulaire du 31 décembre 1921 du Commissaire général de la République à Messieurs les Préfets

Il ne vous a pas échappé qu’au cours des récents débats sur le budget d’Alsace et de Lorraine, la Chambre des Députés a manifesté une certaine émotion quand on a affirmé que l’enseignement religieux était obligatoire dans les écoles, sous peine de l’application des sanctions prévues par l’ordonnance du 18 avril 1871.

La Chambre a paru rassurée cependant par l’affirmation apportée par Monsieur Schuman, député de la Moselle, que des dispenses étaient accordées.

Il y a une indication dont nous devons tenir compte : aux termes de l’ordonnance précitée, c’est à Messieurs les Sous-préfet qu’il appartient de statuer sur les demandes de dispense de la fréquentation scolaire, demandes, dont la dispense de l’enseignement religieux n’est qu’un cas particulier. Vous voudrez bien inviter ces fonctionnaires à examiner très attentivement, de concert avec Messieurs les Inspecteurs primaires, les demandes qui leur seraient adressées par les familles, en vue d’obtenir que leurs enfants soient dispensés de l’enseignement religieux. Cet enseignement reste obligatoire dans les écoles confessionnelles. Mais il convient d’accueillir les demandes de dispense avec le plus grand libéralisme, de façon à concilier l’observation de la loi sur l’obligation scolaire avec le respect de l a liberté de conscience des familles.

Coll. Das Elsass von 1870 bis 1932. Alsatia, Band IV : Karten, Graphiken, Tabellen, Dokumente, Sach- und Namenregister, 1938, p. 576-577.

La circulaire du 17 juin 1933 de Guy La Chambre tranchait dans le sens d’une autorisation des dispenses.

Doc. 7. Circulaire de Guy la Chambre, 17 juin 1933

Le maintien de la législation locale dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle a conservé dans toutes les écoles à l’enseignement religieux le caractère obligatoire d’une matière faisant partie intégrante des programmes.

Cependant il a toujours été admis, tant par l’Administration allemande que par l’Administration française que des dispenses de cet enseignement pouvaient être accordées. Celles-ci ont fait jusqu’à présent, suivant l’ordre d’enseignement et de la nature des écoles et suivant même la religion d’origine des élèves l’objet de règlements et de formalités différentes. Ces différences de régime ne cessaient pas que de provoquer dans les familles quelque surprise et parfois même un certain mécontentement.

Il m’est donc apparu qu’il y aurait lieu d’unifier la procédure employée pour recueillir la manifestation de la volonté des parents et d’en simplifier les modalités.

Au lieu d’une demande écrite de dispense adressée soit au recteur pour l’enseignement secondaire, soit au Sous-préfet pour l’Enseignement primaire, il y aura lieu à l’avenir d’admettre dans tous les cas la déclaration faite au chef de l’Etablissement, par les parents ou les tuteurs que les enfants ne suivront pas l’enseignement religieux. Cette déclaration emportera immédiatement ses effets, sans qu’elle soit soumise à la décision d’une autorité administrative ou scolaire.

Pour recevoir ces déclarations, il sera ouvert, dans le registre matricule des élèves de chaque école ou classe, une colonne intitulée : dispense de l’enseignement religieux. Dans cette colonne, les chefs d’établissements, directeurs d’écoles ou instituteurs, inscriront au regard des noms et autres indications concernant les élèves intéressées les mots : déclaration faite par le père (la mère ou le tuteur) à la date du …. Cette déclaration sera signée par son auteur, étant entendu qu’elle pourra être faite et enregistrée, soit au moment de l’admission de l’élève, soit à la rentrée d’octobre, soit à la rentrée de Pâques.

Bulletin Jean Macé, organe des sections alsaciennes de la Ligue française de l’enseignement, Strasbourg. Imprimerie alsacienne, 1933, n°5, juillet 1933, p. 2-4.
Avec l'accord gracieux de la Ligue de l'Enseignement.

Doc. 8. Réplique de la Ligue des Catholiques d’Alsace

La veille même du 14 juillet, la Ligue des Droits de l’Homme était en mesure d’informer l’opinion publique d’une circulaire émanant de la présidence du Conseil et dirigée contre les catholiques d’Alsace.

Depuis des mois, le gouvernement était sollicité par les sectaires des deux côtés des Vosges de violer à nouveau les promesses données à l’Alsace et d’élargir la brèche faite dans notre régime scolaire confessionnel par M. Herriot en 1925.

Le gouvernement a cédé aux sectaires. Tel est le fait gros en conséquence, que nous devons constater aujourd’hui. Ce qui donne sa gravité à l’heure actuelle, ce sont moins les attaques haineuses de la Loge, de la Ligue des Droits de l’homme, du Syndicat national des instituteurs, des radicaux, radicaux-socialistes et socialistes, que l’attitude du gouvernement qui s’associe à l’œuvre de destruction poursuivie par les sectaires en Alsace et en Lorraine.

La circulaire de la présidence du Conseil constitue une première concession aux partisans des lois laïques. Elle donne satisfaction à la première revendication qui, à la suite de la manifestation organisée par la Ligue d’action laïque à Strasbourg avait été formulée par la Ligue maçonnique de l’enseignement de Guebwiller, le 21 mai, et qui, selon les propres termes de la résolution, adoptée à cette occasion, doit préparer le terrain pour instaurer en Alsace au plus tôt l’école laïque.

La ligue des droits de l’homme se donne hypocritement l’air de vouloir sauvegarder la liberté des parents. Cette liberté était déjà garantie jusqu’ici. La Ligue des Droits de l’homme elle-même doit reconnaître, dans son communiqué, que, jusqu’à présent, les dispenses de l’enseignement religieux demandées conformément aux règlements en vigueur, étaient accordées sans opposition. La nouvelle circulaire, plutôt que d’assurer le respect des droits des parents, introduit un régime arbitraire, aggravant encore la confusion qui règne dès maintenant dans notre régime scolaire d’Alsace. L’école interconfessionnelle et la nomination d’instituteurs incroyants ont été les premières complications rendant plus difficiles l’enseignement religieux. En confiant officiellement aux directeurs d’école le soin d’accorder ces dispenses, qui seront données non seulement au début de l’année scolaire, mais encore à Noël et à Pâques, on tend à rendre plus forte la pression des services scolaires sur les parents et à donner à la dispense de l’enseignement religieux le caractère d’une formalité sans importance.

La Ligue des catholiques d’Alsace proteste de la manière la plus énergique contre cette circulaire de la présidence du Conseil et s’emploiera de toutes ses forces à repousser les provocations des sectaires. Comme en 1924-1925, nous opposerons aux assauts des adversaires le front unique des catholiques d’Alsace.

Bulletin Jean Macé, organe des sections alsaciennes de la Ligue française de l’enseignement, Strasbourg. Imprimerie alsacienne, 1933, n°5, juillet 1933, p. 6-8.
Avec l'accord gracieux de la Ligue de l'Enseignement.

Doc. 9. Modèle de déclaration, proposée par la Ligue de l’enseignement, aux pères des enfants profitant d’une dispense

Le soussigné déclare à Monsieur le Directeur de l’école de … que son fils ne doit plus assister à l’enseignement religieux.
Nom et prénom
Adresse

Bulletin Jean Macé, organe des sections alsaciennes de la Ligue française de l’enseignement, Strasbourg. Imprimerie alsacienne, 1933, n°5, juillet 1933, p. 40.
Avec l'accord gracieux de la Ligue de l'Enseignement.

Si la réponse des associations et des autorités catholiques fut une condamnation de la dispense, on retient également que l’Église utilisa diverses autres politiques visant à maintenir l’enseignement religieux : rappel des pères à leurs obligations, mais aussi risque de voir l’élève ne pas pouvoir recevoir la communion solennelle (avec la modification du règlement pour le renouvellement des vœux de baptême), mobilisation des soutiens politiques, diverses manifestations (à Strasbourg, le 24 septembre 1933)…

En fait, ce fut un combat politique alors que les demandes de dispenses restèrent inférieures à 0,5 % des élèves scolarisés et ne toucha pas les écoles confessionnelles.

Le maître et l’enseignement de la religion

La seconde question, au-delà du droit des élèves, touche à l’obligation pour les enseignements de dispenser en Alsace un enseignement de religion. En effet, la formation du maître, en Alsace, comportait des cours de religion, avec une épreuve de religion au concours.

Doc. 10. Discours d’Henri Guernut (1876-1943), en faveur d’une dispense d’enseignement de la religion pour les maîtres

Il y a des maîtres catholiques qui enseignent le catholicisme dans les écoles catholiques, des maîtres protestants qui enseignement le protestantisme dans les écoles protestantes, et des maîtres juifs qui enseignent le judaïsme dans les écoles israélites.

Tout cela peut paraître normal. Ce qui l’est moins, c’est que les maîtres qui ont été croyants et pratiquants dans leur jeunesse et qui, sous de respectables influences, ont cessé de croire et de pratiquer, sont tenus d’enseigner une religion à quoi leur conscience est devenue étrangère.

Comment, cela n’existe pas ? J’ai ici, dans mon dossier, une pétition de 432 instituteurs et institutrices des trois départements recouvrés qui supplient le Gouvernement de les délivrer.

Ici encore, je m’adresse aux catholiques, aux protestants, aux israélites croyants et pratiquants de cette Chambre et je leur demande : croyez-vous qu’il soit bon qu’un enseignement religieux soit donné par des mécréants ? Croyez-vous que la foi puisse aisément se communiquer par des mots froids et vides qui ne rendent pas le don d’une âme ?

Bulletin Jean Macé, organe des sections alsaciennes de la Ligue française de l’enseignement, Strasbourg. Imprimerie alsacienne, 1933, n°3, mai 1933, p. 10.
Avec l'accord gracieux de la Ligue de l'Enseignement.

Henri Guernut, instituteur de formation, promu professeur à la suite d’une bourse, passa par les prestigieux établissements de Louis-le-Grand. Juriste, il devint avocat et milita en faveur du capitaine Dreyfus et du socialisme. Secrétaire général de la Ligue des Droits de l’Homme, il devint après une carrière politique ministre de l’Éducation nationale. Partisan de la liberté de la presse, de la lutte contre le colonialisme, il est un des premiers à dénoncer le stalinisme.

Doc. 11. Réponse de Joseph Rossé (1892-1951)

On ne doit pas obliger un instituteur qui n’a pas la foi à donner l’enseignement religieux. C’est un point de vue que j’ai toujours défendu avec d’autant plus de force que je suis pédagogue moi-même et que je suis d’avis qu’un bon maître doit donner à l’enseignement toute l’empreinte de sa personnalité morale.

Par conséquent, il est impossible à un maître d’enseigner dans une école confessionnelle s’il ne croit pas.

Bulletin Jean Macé, organe des sections alsaciennes de la Ligue française de l’enseignement, Strasbourg. Imprimerie alsacienne, 1933, n°3, mai 1933, p. 19.
Avec l'accord gracieux de la Ligue de l'Enseignement.

Joseph Rossé, homme politique, avait lui aussi été instituteur. Sorti premier de la promotion 1913 de l’École normale, il milita au sein des milieux catholiques. Déplacé en 1919 à la suite d’une circulaire jugée antifrançaise, il connut une carrière syndicale, défendant en particulier les instituteurs du cadre local, avant d’être destitué comme instituteur en 1926. Journaliste, autonomiste, malgré un procès, il fut élu député de Colmar.

Un nouveau programme d’enseignement religieux est appliqué, à partir du 1er octobre 1933. Près de 400 instituteurs s’opposèrent alors à cette obligation de donner ce programme religieux… La proposition qui leur est faite fut la démission. S’y ajoute le cas de l’étudiante Fouilleron, qui, n’ayant jamais suivi l’enseignement religieux demanda, avec l’appui du maire de Guebwiller, a être dispensée de l’épreuve du concours d’entrée de l’École normale… La recteur argumenta que seule la note de zéro interdirait la poursuite du concours pour cette candidate…

Aux origines d’un enseignement de la morale

Un enseignement de morale fut mis en œuvre, bien que non prévu par la loi. Cet enseignement est lui-même combattu par l’Église et ne sera définitivement autorisé que par le décret du 10 octobre 1936.

Doc. 12. Décret du 10 octobre 1936

Les enfants dispensés de l’enseignement religieux réglementaire, par la déclaration écrite ou verbale et contresignée, faite au directeur d’école, par leur représentant légal, recevront, au lieu et place de l’enseignement religieux, un complément d’enseignement moral.

Les diverses questions touchant aux sœurs

Les municipalités souhaitant créer des écoles interconfessionnelles entendent remplacer progressivement les sœurs par des institutrices laïques. À Strasbourg, à la suite d’un décès, en mars 1927, sœur Solange assure le remplacement jusqu’à la fin de l’année. Deux institutrices laïques sont nommées pour lui succéder à la rentrée.

La réplique est la manifestation du 2 octobre 1927, ainsi qu’une plainte adressée par l’évêque de Strasbourg au président Poincaré. Rappelant le patriotisme des sœurs, il présente le remplacement comme l’expression d’une politique anticléricale.

Doc. 13. Description de l’enseignement des sœurs, à moment de la Libération, en 1945

Qui n’a pas vu une Sœur de Ribeauvillé enseigner le français à des bouts de filles ayant six à sept ans, n’a rien vu. Les méthodes qu’elles emploient sont celles du jour, celles de l’université, dites directes et actives. Les Sœurs les possèdent, en apprennent les progrès dans les revues et conférences pédagogiques, qu’elles suivent régulièrement avec leurs collègues laïques. Elles les renouvellent et les perfectionnent avec beaucoup d’ingéniosité. Pour l’enseignement du français, elles ont abandonné la méthode simultanée et l’abbé Mertian, estimant à juste titre que les enfants ayant fait exclusivement de l’allemand pendant cinq ans, on peut sans inconvénient laisser dormir cette langue pendant quelque temps. Son sommeil n’est que très relatif, puisqu’à la maison les enfants parlent plus souvent l’alsacien, comme c’est leur droit, que français. C’est donc la méthode directe qui est appliquée dès le début pour apprendre une langue presqu’entièrement nouvelle. Naturellement, la Sœur institutrice, qui possède l’alsacien, s’en sert tout de même dans les cas difficiles pour suppléer aux gestes et aux dessins.

Il nous est arrivé de surprendre une Sœur dans sa classe et d’assister à son enseignement de français.

LORSON Pierre. Les Sœurs de Ribeauvillé. Paris : Alsatia, 1946, p. 107-108.
(Droits réservés).

Des manuelsRevenir au début du texte

Joseph Gruss (1852-1933), chanoine honoraire de la cathédrale de Strasbourg, collabora en particulier à la presse catholique, en particulier le Volksfreund, dont il devint le propriétaire. Promoteur du milieu associatif catholique, il rédigea en particulier ce manuel, en service à l’école des filles d’Andlau. Dépassant le seul cadre d’un manuel d’histoire sainte, il comporte l’ensemble des personnages et des lieux saints d’Alsace, en particulier l’exemple de Marienthal.

Doc. 14. Manuel d’histoire sainte de l’abbé Gruss