Par Jean-Marc Siegel
Publié le 18 juin 2012
Les seigneurs font eux-mêmes que les pauvres deviennent leurs ennemis. Ils ne veulent pas supprimer la cause de la révolte. Comment cela peut-il finir bien à la longue ? Ah ! mes chers seigneurs, comme le Seigneur frappera joliment parmi les vieux pots avec une barre de fer ! En disant cela, je dois être rebelle. Soit !
Sermon imprimé et diffusé de Thomas Münzer, 1524 ou 1525.
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Thomas Müntzer, né en 1489 ou 1490 à Stolberg dans les montagnes du Hartz, développa très tôt une grande curiosité pour les études et, d’après Engels, pour les idées radicales. Il étudia à Frankfurt et à Leipzig et fut un temps chapelain dans un monastère, vers 1516-1518, lorsque la publication des 95 Thèses de Luther eut un grand effet sur lui et le décida à quitter le monastère et à se rendre sans attendre à Wittenberg.
L'extrémisme de ses idées déplut à Luther, mais Müntzer n’en devint pas moins pasteur à Zwickau, en 1520, où il rencontra, stimula et entraîna des communautés chrétiennes radicales qui se développaient alors dans la région. Animés d'une foi ardente, les anabaptistes ou re-baptiseurs, prêchaient la venue du Jugement dernier et du millénium et rejetaient le baptême des enfants, ne considérant comme valide que celui administré à des personnes adultes. Les autorités de Zwickau, inquiètes, expulsèrent Müntzer et ses partisans.
Ce dernier chercha en Bohême, en vieille terre hussite, un environnement plus favorable à son discours de plus en plus extrême, voire violent, dont témoigne le Manifeste de Prague de 1521. Si son hostilité à l’égard des prêtres catholiques ne se démentit jamais, la rupture avec Luther était également très profonde : sur des points essentiels tels que le baptême des enfants et l’Eucharistie, leurs vues étaient irréconciliables : Luther n’avait pas brûlé ses vaisseaux et gardait pour la transsubstantiation un attachement qu’il eut du mal à remettre en question. Pour Müntzer, au contraire, l’Eucharistie avait une valeur purement emblématique, mémorielle.
Après avoir tenté de soulever les princes contre les autorités catholiques, Müntzer trouva auprès des paysans révoltés contre les injustices féodales des partisans enthousiastes, à partir de l’été 1524.
Müntzer se joignit aux paysans dans leur révolte et guida celle-ci, justifiant par un discours apocalyptique leur colère contre l’ordre établi et les armées des princes. On le retrouve sillonnant toute l’Allemagne du sud avant la bataille de Frankenhausen (15 mai 1525), qui se termina par une défaite sanglante des paysans et initia un cycle de représailles terribles et de massacres destinés à rétablir l’ordre et la soumission des paysans.
À l’issue de la bataille, Müntzer fut capturé, emprisonné et torturé, puis décapité à Mülhausen, le 27 mai 1525.
Dans la ville de Mülhausen, en Thuringe, il rédigea les onze articles de Mülhausen qui devaient remplacer les institutions municipales par une sorte de théocratie radicale et violemment égalitaire, dans laquelle les philosophes marxistes - comme Friedrich Engels - ont vu l’une des premières expressions du communisme.
Aujourd’hui, la figure de Müntzer est largement ignorée dans les études sur la Réforme : on le considère souvent comme un exalté, une étoile filante, un épiphénomène aberrant.
Müntzer fut cependant celui qui catalysa ces idées radicales durant une période où rien ne semblait plus écrit d’avance.
Sa contribution à la Renaissance est intéressante, encore que tragique, en ce que les idées hardies qu’elle a stimulées dépassèrent les limites habituelles des communautés d’intellectuels pour se diffuser comme une traînée de poudre au sein du petit peuple, qui y vit, pour un temps, le chemin du Salut, de l’accomplissement de la parole de Dieu, mais aussi du progrès social.