Par Laure Balzano
Publié le 1er octobre 2010
Ordonnance
Sur le maintien de l’engagement militaire du service national du travail
concernant la jeunesse féminine en Alsace
fait le 25 juin 1942
§1
Pour l’Alsace, tenant compte des mesures particulières des §2 et 3, entre en vigueur la règlementation ci-après ainsi que les mesures administratives édictées pour son exécution et la complétant :
(1) Le décret du Führer et Chancelier impérial (Reichskanzlers) concernant la poursuite de la contribution à la guerre du Service National du Travail concernant la jeunesse féminine, du 19 juillet 1941 (Journal officiel I, page 463),
(2) La première circulaire d’application à ce sujet du 13 août 1941(Journal officiel I, page 491),
(3) La deuxième circulaire d’application à ce sujet du 29 novembre 1941 (Journal officiel I, page 742),
(4) La troisième circulaire d’application à ce sujet du 27 février 1942 (Journal officiel I, page 95).
§2
Les règles introduites au §1 devront être appliquées dans l’esprit du texte au cas d’application non immédiate.
§3
Les modifications ou compléments des mesures définies au §1 ainsi que les mesures administratives décrétées pour leur exécution et leur complément entrent en vigueur également en Alsace.
§4
Cette ordonnance prend effet au 1er avril 1942
Strasbourg, le 25 juin 1942
Le Chef de l’Administration civile en Alsace, Robert Wagner
Gauleiter et Lieutenant impérial (Reichsstatthalter)
Mention manuscrite en bas de page:
Pour la conformité de la copie
J. ( ?) Roesch Employé de police
Archives de Strasbourg, 50 MW 762. Trad. Michel Walter
Le 19 juillet 1941, le service auxiliaire de guerre appelé Kriegshilfsdienst (KHD) est créé par une ordonnance du Führer, elle-même complétée par un arrêté du ministère de l’Intérieur du Reich, le 13 août 1941.
Ce service, d’une durée de six mois, s’ajoutant au service de six mois dans le RAD et portant donc la durée d’incorporation obligatoire à un an, est introduit en Alsace le 1er octobre 1941. Ce n’est qu’en avril 1942 que l’ordonnance prend effet et seulement en octobre de la même année que les jeunes Alsaciennes y sont assujetties.
Les Directives pour l’exécution ultérieure dans l’engagement de la guerre du 1er août 1942 stipulent que les jeunes filles astreintes au KHD peuvent être affectées dans des entreprises d’armement (lieux de finition et bureaux) avec l’accord du délégué à la Défense du ministre du Reich pour armement et munition ; dans des usines de munitions (fabrication et bureau), l’intendance de l’artillerie, les parcs (stationnements) sanitaires des trois parties de la Wehrmacht ; dans les entreprises concernant la circulation, spécialement les chemins de fer desquels l’action est primordiale ; dans les hôpitaux militaires et autre ; dans l’éducation, surtout dans les régions de l’est ; (...) dans les foyers pour mères ou maisons de convalescence en tant qu’aides ménagères ; [et] en cas exceptionnel dans des entreprises internes auprès de la Wehrmacht et des autorités (Alsace, Lorraine, Luxembourg, régions frontalières et dans les nouveaux districts du Reich).
En complément, se reporter à l'article faisant le point sur les dates et durées d'incorporation au RAD et au KHD.
Il s’agit d’une photographie du dessin réalisé par un des nombreux STO présents dans l’usine de munitions avec Mme Faist et représentant l’un des avions fabriqués dans leur usine : un JU 352.
L’affectation dans les usines de munitions concerne la grande majorité des jeunes filles ayant dû effectuer leur service auxiliaire de guerre ou KHD. L'un des aspects les plus douloureux sans doute était de contribuer à un effort de guerre allemand destiné à combattre les Alliés.
J’ai été incorporée du 14 avril 1942 au 28 octobre 1942 au RAD puis tout le camp a été transféré à la Heeresmunitionsanstalt (...).L’usine entièrement militaire se trouvait à une vingtaine de kilomètres de la ville de Neu-Ulm dans la forêt. L’usine était entièrement souterraine à part deux baraques où nous travaillions. L’usine fabriquait des cartouches et des obus. Nous travaillions avec la dangereuse nitroglycérine. Je faisais partie de l’équipe affectée au pesage de la poudre : portions de 62,5 grammes par dose. Une autre équipe remplissait les cartouches (5 x 62,5 grammes plus un tissu extrêmement explosif qui touchait le détonateur). Le détonateur ne devait pas être vissé à fond et la cartouche devait être manipulée avec beaucoup de précaution. Une équipe devait enduire les cartouches de graisse et protéger la cartouche par un couvercle à enduire avec l’antirouille minium, un travail très sale. Ensuite les cartouches devaient être rangées dans des paniers pour partir au front. Un panier contenait trois cartouches et trois obus, ils étaient chargés sur des camions par des STO. Nous les incorporés nous touchions une solde de 1 Reichsmark qui nous était versée tous les dix jours. Nous logions dans de grandes baraques en bois à l’extérieur de l’usine dans des dortoirs de vingt-six places. Pour entrer dans l’usine ; il fallait marcher en rang sous la surveillance d’officiers artificiers, et il fallait déposer la carte d’identité délivrée par l’usine jusqu’au soir. Tout notre travail était sous contrôle d’artificiers qui circulaient entre nos rangs car nous ne pouvions avoir sur place qu’un kilo de nitroglycérine. Les doses pesées et déposées dans des cadres en bois étaient régulièrement enlevées pour passer à un contrôle qui était effectué par des Allemands.
Témoignage écrit de Mme Heim Alice, 2002
J’ai été incorporée au KHD du 16 mai 1944 au 31 octobre 1944. Tout le camp au complet est parti au K.H.D mais nous étions répartis en différents lieux. On nous avait annoncé le départ, la raison et le lieu de notre affectation mais sans nous autoriser toutefois à revoir nos familles [avant]. J’ai été affectée à Hettstedt pour contrôler des douilles qui défilaient sur un tapis roulant dans une usine de munitions. (...) Nous ne devions pas divulguer de renseignements sur l’usine.
Témoignage écrit de Mme Jung Charlotte, 2002
Le travail variait d’abord parce que les munitions à produire variaient mais aussi parce que les jeunes filles ne travaillaient pas aux mêmes étapes. Une surveillance stricte était d’usage.
Celles qui étaient affectées à la couture des sachets de poudre V1 et V2 avaient par exemple leur numéro d’ouvrière qui était placé sur le sachet qu’elle cousait, sans aucun doute pour prémunir d’éventuels sabotages.
Certaines jeunes filles étaient affectées au tri et au contrôle des douilles circulant devant elle sur un tapis et devaient jeter les pièces défecteuses dans un tonneau qui partait au remaniement. Toutes avaient l’obligation de ne rien divulguer de leurs activités.
Les affectations dans les tramways sont plus rares que celles dans les usines de munitions.
C’est vers le 13 novembre 1944 que nous arrivons à Aachen (Aix-la-Chapelle). (...) Nous logeons à l’Hôpital central de la ville. Ce grand établissement comporte au dessus du dernier étage un grenier immense qui a été aménagé pour recevoir les KHD. La moitié des filles travaillaient à l’Hôpital. (...) Avant de prendre notre service on nous apprend à conduire le tramway au cas où il arriverait quelque chose au wattman. (...) Notre uniforme est alors celui du tramway, tailleur noir avec boutons argentés et calot noir également. En dehors du service nous mettons nos habits personnels. Autour du cou nous avons la caisse, celle-ci est composée de quatre rangées. Suivant la valeur, nous introduisons la pièce dans l’une de ces rangées. Pour rendre la monnaie le cas échéant nous sortons une pièce au bas de la rangée en pressant vers le haut. C’est simple. Nous donnons le billet, puis le soir après avoir rempli la feuille comptable nous la remettons au siège des tramways d’Aachen. La vie est assez régulière. Nous n’avons pas de patrons ou une Führerin sur le dos. Quelle chance de ne pas être en usine. Surtout je rencontre beaucoup de Français. Ils sont S.T.O.
Témoignage de Sœur Andrée (qui n’était pas novice au moment de son incorporation) à la Doctrine chrétienne, 2002
Un imprimé spécial datant du 1er août 1942 stipulait que l’engagement dans les tramways supposait une aptitude corporelle pour les exigences spécifiques, un examen médical approfondi, une aptitude caractérielle (honnêteté) et si possible un engagement volontaire pour l’emploi.
Les candidates à ce travail devaient donner leur consentement par signature. En cas de refus elles étaient envoyées dans les usines de munitions ou d’autres affectations mais ne pouvaient en aucun cas rentrer. La signature ne signifie pas qu’elles étaient volontaires pour le service du KHD mais qu’elles préféraient l’effectuer aux tramways plutôt qu’ailleurs, dans la mesure sans doute où le travail était moins pénible et la liberté plus grande.
Les bombardements fréquents des villes allemandes constituaient sans nul doute une ombre sérieuse au tableau.
Au mois de mai 1944 nous avons quitté le camp d’Arrach (...). Certaines sont allées dans des usines d’armement ; quant à moi , j’ai été commandée à Munich dans les tramways. Arrivées là-bas, nous avons d’abord dû passer un examen oral et écrit puis une formation assez compliquée car il fallait connaître les noms des rues par cœur, avoir une bonne mémoire. Nous logions dans un couvent, les religieuses nous faisaient le ménage et la cuisine, car du temps des nazis elles n’avaient pas le droit d’exercer leur profession. Nous étions une trentaine dans un dortoir. Le service commençait à 5 heures du matin aussi nous levions nous à 4 heures. On travaillait en 3 x 8 heures. (...) Les conducteurs des tramways étaient souvent des français (STO). Ca nous arrangeait beaucoup, au moins nous pouvions parler français, mais il ne fallait pas se faire attraper. Souvent les dimanches où nous étions libres, nous nous retrouvions avec eux. Hélas, à Munich, nous avons subi pendant ces six mois beaucoup de bombardements américains. Nous, au tramway, nous étions davantage en danger, car nous étions obligés de rouler jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’électricité dans les lignes. Souvent, très souvent, nous avons aperçu des avions sans pouvoir trouver d’abri. Il fallait faire vite et courir. (...) Après un bombardement, les tramways ne pouvaient souvent plus circuler pendant deux à trois semaines. Nous étions alors commandés pour d’autres travaux, quelques unes dans les bureaux, d’autres devaient travailler à déblayer et à faire des tranchées, etc.
Témoignage oral retranscrit de Mme Bauer Jeanne datant du 26 octobre 2002
Les jeunes KHDmaiden n’avaient pas le droit de descendre des tramways lors des alertes mais devaient attendre qu’il n’y ait plus d’électricité dans les lignes pour pouvoir abandonner leur poste.
Elles ont d’ailleurs reçu des formations au début de leur service pour apprendre à conduire le tramway au cas où le conducteur serait blessé ou tué.