Par Laure Balzano
Publié le 1er octobre 2010
Une intense propagande a été mise en place en Alsace pour faire appel au volontariat mais celle-ci n’a pas donné les résultats escomptés. Aussi les nazis sont-ils passés très rapidement à la contrainte.
Ordonnance
Sur l’obligation au service de travail en Alsace du 8 mai 1941
En vertu des pouvoirs qui me sont conférés par le Führer, j’ordonne :
§1
(1) Tous les habitants de sexe masculin ou féminin du territoire de l’Alsace entre l’âge de 17 ans révolus et de 25 ans
révolus peuvent être appelés à accomplir des travaux dans le cadre du Service national du Travail.
(2) Les citoyens allemands sont soumis à la réglementation légale régissant le Service national du Travail.
§2
La réglementation légale du Service national du Travail est appliquée dans cet esprit.
§3
Cette ordonnance entre en vigueur au jour de sa promulgation. Elle reste en vigueur jusqu’à l’introduction en Alsace de la loi sur le Service national du Travail.
Strasbourg, le 8 mai 1941
Le Chef de l’Administration civile en Alsace
Robert Wagner
Gauleiter et Lieutenant impérial (Reichsstatthalter)
Archives de Strasbourg, 50 MW 762. Trad. Michel Walter
Avec l’arrêté du 8 mai 1941 est introduite l’obligation du service au travail pour les hommes et femmes d’Alsace de 17 à 25 ans.
Le service fut alors porté à une durée initiale de six mois. Toute incorporation était précédée d’une convocation au conseil de révision où des médecins et officiers allemands venaient juger de l’aptitude de ces jeunes gens au travail.
La convocation au conseil de révision était envoyée au domicile de l’intéressée souvent très peu de temps avant la date de convocation et la date d’incorporation. Ce délai, bref, laisse penser que les nazis redoutaient des désertions et tentaient d’en réduire l’importance, le manque de temps réduisant de beaucoup la possibilité d’une organisation sérieuse pour échapper à cette obligation.
Journal officiel de l’Empire
Chapitre 1
1944 Publié à Berlin le 21 avril 1944 n. 18
Décret du Führer
Concernant la durée du service au sein du Service national du Travail de la jeunesse féminine, du 8 avril 1944
I
La durée de service au sein du Service national du Travail de la jeunesse féminine, y compris le Service militaire auxiliaire, pour le personnel engagé dans la défense aérienne ainsi que pour le personnel astreint au service obligatoire de travail réservé pour être engagé dans la défense aérienne, est prolongée de 6 mois, et donc portée à un an et demi au total.
II
(1) Pour les autres personnes astreintes au service de travail du Service national du Travail de la jeunesse féminine la durée d’un an y compris le service militaire auxiliaire est maintenue.
(2) Les personnes astreintes au service du travail actuellement engagées dans le Service militaire auxiliaire seront libérées au plus tard le 1er juin 1944.
III
Le Chef du Service national du Travail (Reichsarbeitsführer) décrète les règles légales et administratives relatif à l’application et au complément de ce décret.
Fait au Quartier général du Führer, le 8 avril 1944
Le Führer
Adolf Hitler
Le Ministre d’Empire (Reichsminister) et Chef de la Chancellerie impériale (Chef der Reichskanzlei)
Dr. Lammers
Archives de Strasbourg, 50 MW 762. Trad. Michel Walter
Le 8 avril 1944, le gouvernement d’Hitler décidait de prolonger la durée de service des femmes versées dans la défense antiaérienne. Elles voient ainsi leur temps de service prolongé de six mois, soit une durée totale d’un an et demi.
Si, à la date de ce décret, le gouvernement fixe encore une date limite à partir de laquelle toutes les personnes astreintes au service du travail doivent être libérées, soit le 1er juin 1944, il ne tarde pas à modifier encore la durée du service puisqu’à partir de novembre 1944, la durée du service a été dite illimitée.
En complément, se reporter à l'article faisant le point sur les dates et durées d'incorporation au RAD et au KHD.
La convocation au conseil de révision a été souvent douloureusement ressentie et les familles alsaciennes semblent avoir été particulièrement inquiètes de l’incorporation de leurs filles, plus encore que de celle de leur fils.
Dans l’attente de jours meilleurs, mes parents m’ont inscrite dans une école ménagère à Strasbourg pour la rentrée de septembre-octobre 1941 et ceci aussi pour éviter une éventuelle incorporation. Hélas, rien n’y fit ! Il n’y avait que les filles mariées qui échappaient à la convocation. Et il y en eut plus d’une qui s’est engagée dans une union pas toujours durable et heureuse.
La convocation pour un conseil de révision me parvint. C’est à Haguenau qu’il eut lieu. Premier traumatisme ! Se présenter en très petite tenue devant des médecins assis à plusieurs derrière une table me fut des plus gênantes. Un certificat médical de la part de mon père médecin disant qu’à la suite d’angines, j’avais de l’albumine ne fut d’aucun secours. Je sortis de ce conseil apte au service. Fin octobre, la convocation à l’incorporation arriva. Je devais me présenter le 3 novembre 1941 en gare de Colmar. [...]
Témoignage écrit de Mme Braun Marianne
Certaines jeunes filles cherchaient à retarder ou à éviter leur incorporation par divers moyens. Se marier était a priori un moyen assuré, bien qu’il existe aussi au moins un cas de femme mariée ayant été incorporée dans la Marine. Des problèmes de santé, concernant les jeunes filles ou éventuellement des membres de leurs familles, pouvaient aussi être invoqués pour retarder la date d’incorporation mais ils n’ont généralement permis que des sursis.
Concernant le conseil de révision, il est à noter que l’obligation d’apparaître dans le plus simple appareil devant médecins et officiers allemands, se permettant parfois quolibets ou regards insistants, a souvent fortement marqué ces jeunes filles. Les examens entrepris étaient divers et consistaient surtout en des analyses de sang ou d’urines et en mensurations. Parfois les examens étaient plus poussés et les médecins auscultaient le cœur ou le poumon. Cependant, ils se contentaient souvent de demander les antécédents médicaux. Certains témoins évoquent aussi la présentation au conseil de révision de documents demandant une signature (sans forcément qu’ils sachent de quoi il s’agissait) mais le refus de signer n’a pas empêché leur départ.
Là-bas j’étais désemparée. La vie militaire commençait ! J’y ai passé ma première nuit loin de chez moi, sans savoir ce qui m’attendait et je pensais à mes parents qui devaient se faire énormément de soucis. Etant les premières filles à être incorporées, tout était inconnu [...]. Le lendemain matin c’est en train, direction Titisee-Seebourg, que le contingent se mit en route. [...] Avec trois autres Alsaciennes nous devions nous rendre à Amrigschwand. Nous étions encadrées par des cheftaines. Au terminus du train, nous prîmes un autocar jusqu’à Hochenschwand, station climatique du sud de la Foret noire. De là c’est à pied que nous atteignîmes le camp de baraques de bois après une bonne demi-heure. Des jeunes filles allemandes et autrichiennes qui faisaient également leur service s’y trouvaient déjà depuis un mois. On nous attribua nos chambrées. Bien sûr nous, les quatre Alsaciennes, avons été séparées. On nous convoqua à la lingerie pour nous donner nos uniformes [...]. Puis vinrent deux choses qui me choquèrent beaucoup : la douche matinale en commun et les WC communs
Témoignage écrit de Mme Braun Marianne
6h : réveil
6h15 : gymnastique à l’extérieur
6h45 : douche froide
7h : faire les lits au carré sinon tout valsait
7h15 : petit déjeuner (malt, confiture, deux morceaux de pain), chant et salut au drapeau
8h : initiation au travail du camp (brigades pour la cuisine, buanderie, repassage, nettoyage des chambres)
12h : déjeuner comprenant en général un plat unique
13h : leçon d’histoire (surtout inculquer leur théorie, leur idéologie)
14h : travaux manuels
15h : leçon de chants
16h : discussions diverses, recommandations de ce que nous devions faire chez les particuliers
17h : écouter la radio, les nouvelles puis le commentaire
18h : dîner (soupe, un peu de charcuterie, pommes de terre ou un plat sucré : semoule, compote de pommes)
19h : encore de la politique, lecture par la cheftaine.
20h : salut aux couleurs
21h : extinction des feux
... et ce pendant les quinze premiers jours après notre arrivée.
Témoignage écrit de Mme Held Lucie, 2002
Le RAD est un apprentissage de la discipline, des commandements, du salut, des marches et exercices physiques et prépare en cela à l’armée. Et même si le RAD dépend du ministère de l’Intérieur, on y revêt l’uniforme.
La vie au camp est très rythmée avec, chaque jour, un programme précis pour les jeunes filles allemandes, autrichiennes, alsaciennes, mosellanes ou luxembourgeoises qui s’y trouvent. Une place importante est systématiquement accordée à la propagande. C’est seulement après cette période de stage à l’intérieur du camp que les Arbeitsmaiden sont autorisées à sortir travailler à l’extérieur.
Si la course à pied est l’un des exercices les plus fréquemment demandés aux jeunes filles, il ne constitue pas le seul sport pratiqué au camp et imposé par les cheftaines.
La natation, la danse, le saut en longueur et le saut en hauteur, les courses de relais ou même le ramassage de pommes de pins dans la forêt sont parmi certaines des autres activités pratiquées au camp du RAD le matin ou le soir, et parfois même matin et soir selon les exigences plus ou moins rigoureuses des cheftaines.
Sur cette photographie, trois jeunes filles jouent de la musique le jour des visites (Elternsonntag). Les nazis ont en effet fortement encouragé la musique -ou, du moins, certaines d'entre elles. Ils y voyaient un moyen de susciter l’adhésion plus ou moins consciente des individus, d’en faire des adeptes. Les chants interprétés au RAD sont parfois politiques ou patriotiques, comme avec Deutschland über alles, hymne national vantant la supériorité allemande. Néanmoins, même lorsque les chants folkloriques y sont privilégiés, il faut toujours considérer la volonté de marquer les esprits et de transmettre un héritage germanique.
Nos journées au début de ce stage s’écoulaient de la façon suivante : lever à 6 heures. Puis comme des militaires, rassemblement devant nos lits défaits en tenue de sport : short bleu, maillot blanc. La responsable de chambrée annonçait à la cheftaine les disponibles ou les malades. Puis au son de cloche (car tout marchait par cloche) : vingt minutes de sport au moins sur la pelouse centrale, et cela par tous les temps. Puis retour à la chambrée, toilette, lit à faire au carré (une cheftaine pendant le petit déjeuner passait chaque matin pour le contrôle avec une grande équerre, et faisait sauter les lits mal faits. Cela était noté sur son carnet, et plusieurs fois noté, l’Arbeitsmaid était privée de sortie le dimanche suivant).
Toujours au son de la cloche, on s’ébranlait pour le petit déjeuner, en tenue de jour. Elle était la suivante : robe bleue de France, tablier blanc, fichu rouge, veste marron, souliers hauts noirs, chaussettes grises. Je mettais souvent mon fichu rouge, je devenais de la sorte un drapeau français vivant. Puis une petite activité différente tous les jours : chants, cours politiques, danses folkloriques, etc. Puis la cérémonie au drapeau : tous les matins, le drapeau montait, il fallait lever le bras tout le temps de sa montée. Puis la cheftaine évoquait une parole du Führer et on chantait l’hymne allemand. C’était en somme la prière du matin. Le soir on remettait cela pour la prière du soir, c’est-à-dire on ramenait les couleurs.
Après la cérémonie du matin, les jeunes filles du service extérieur s’ébranlaient. Elles allaient travailler chez le paysan toute la journée et y mangeaient le midi. Elles revenaient le soir à 18 heures. Rassemblement à nouveau, devant nos baraques cette fois, et appel des numéros. J’avais le numéro n°32. On se plaçait selon le numéro. Puis on s’ébranlait dans les chambrées, et après une nouvelle toilette, il fallait revêtir le costume de ville ou de sortie : jupe en drap kaki, veste kaki avec croix gammée, chemisier, chaussures basses. Repas à 19 heures, informations au poste à 20h, discussion politique tous les soirs ; puis veillée, plus ou moins intéressante suivant les lunes du grand chef. À 21 h 45 : cérémonie au drapeau, à 22 heures : extinction des feux. (...)
Témoignage écrit de Mme Lélu Marie-Thérèse le 28 novembre 2002, rédigé à partir d’un journal tenu à l’époque et conservé
Les horaires ou activités peuvent quelque peu varier, bien sûr, d’un camp à l’autre, mais les principales activités mentionnées se retrouvent dans tous.
Il est par ailleurs intéressant de comparer les témoignages des jeunes filles incorporées avec ce que rapportaient les livres de propagande nazie qui mentionnaient des temps de sieste et des temps libres chaque jour, allant jusqu’à plus de deux heures.
La plupart des jeunes filles incorporées changeait d’employeurs au cours de leur six mois de service et travaillait tantôt à l’intérieur (Innendienst), tantôt à l’extérieur du camp (Aussendienst).
Après avoir passé quelques jours au camp, nous sommes parties un matin pour aller travailler à l’extérieur, chez les fermiers où nous devions remplacer les hommes partis à la guerre. (...) À la ferme, nous avions différents travaux à exécuter dans les étables, dans les jardins et les champs (au printemps). Souvent les après-midi nous faisions la lessive, le raccommodage, le repassage, ou nous cherchions les enfants à l’école. En somme nous secondions la fermière. (...) Régulièrement la Führerin passait chez la fermière pour se rendre compte du travail que nous faisions. Toutes les quatre semaines on nous a changé de ferme. Quand nous étions de corvée au camp, il nous fallait faire le service à la cuisine, à la buanderie, au repassage, etc. (...)
Témoignage oral de Mme Bauer Jeanne, le 26 octobre 2002
À l’intérieur du camp, les tâches demandées sont pour l’essentiel des tâches ménagères.
Le travail à l’extérieur du camp consistait surtout, mais pas exclusivement, à travailler pour des paysans, soit à des tâches ménagères, soit à des tâches agricoles.
Je partis un lundi matin chez mon premier paysan. (...) En principe je devais aider la grand-mère. (...) Le travail que je faisais était assez fatiguant : il fallait nettoyer le bistrot tous les jours, descendre des caisses de bière, en remonter d’autres, lever les verres, laver les tables, chaises, etc. (...) L’après-midi j’aidais la grand-mère dans toutes les tâches de la maison : entretien du linge, jardinage, ménage, faire le pain de la maisonnée, nourrir la volaille, les cochons, (...) dégermer des pommes de terre. (...) Elle me donnait à faire les besognes les plus dures. Nous avons planté les pommes de terre et les betteraves à la main (...). Cette épopée dura cinq semaines environ. (...)
Ma seconde place fut merveilleuse. (...) C’est chez Mme H. que je fis la fenaison et la moisson dans une ambiance familiale. (...) La moisson se faisait à grands cris dans une odeur de poussière, de sueur, de chants, de gaieté, de blagues, de repas plantureux en plein air. (...) Puis j’eus ma permission. Mes parents ne reconnaissaient plus leur fille. (...) Le 14 septembre 1943, j’eus ma dernière place. Ma paysanne encore jeune (dont le mari était au front et qui avait une petite fille de cinq ans) se faisait aider par un prisonnier français (...) breton. (...) Je partais au champ avec le prisonnier presque tout le temps, faisais avec lui et elle la petite fenaison, l’arrachage des pommes de terres et des betteraves. (...)
Témoignage écrit de Mme Lélu Marie-Thérèse le 28 novembre 2002, rédigé à partir d’un journal tenu à l’époque et conservé
Le travail demandé par les paysans était variable selon l’époque de l’année mais aussi selon les personnalités de chacun d'eux. Ils pouvaient leurs réserver les tâches les plus dures ou, au contraire, les intégrer de manière joviale dans leur quotidien.
Après une adaptation de quelques jours on nous envoya à ce à quoi nous étions destinées : le travail chez les particuliers des environs soit pour 8 jours ou quatre semaines au maximum. Personnellement j’ai été envoyée quelques jours chez une couturière où je n’étais d’aucun secours, chez une femme enceinte [...] qui [me demandait de nettoyer sa cave où elle] élevait un cochon au noir, et chez des paysans à une dizaine de kilomètres (toujours à pied) où j’ai dû exécuter du ménage, de la cuisine et du raccommodage de sacs de toiles. [...] Mes plus longues périodes de travail furent dans un hôtel nommé Alpenblick et dans une laiterie. L’hôtel appartenait au chef du parti local et nous avons été traitées (nous étions deux filles) comme du personnel subalterne, devant prendre nos repas sur un coin de table de cuisine. Après avoir fait un rapport à notre cheftaine, on nous autorisa à déjeuner dans la salle du restaurant. J’avais la tâche de faire, le matin le ménage des appartements privés des propriétaires, et l’après-midi le tri des pommes à la cave. [...]
Mon deuxième emploi, des plus conviviaux, fut dans une laiterie. La gentillesse de la patronne m’a mis du baume au cœur. Lorsqu’elle a su d’où je provenais, elle n’a pas voulu que je fasse des travaux trop durs. Le matin j’aidais à la laiterie : service du lait et nettoyage du matériel, l’après-midi je collais les tickets d’alimentation sur des feuilles, à défaut de colle, avec des pommes de terre en robe des champs chaudes. Elle a eu le courage de me révéler qu’elle n’était pas nazie et m’a même proposé de me faire passer en Suisse au cas où il y aurait la débâcle. Elle anticipait largement ! [...] C’est finalement au printemps [1942] que je rejoignis ma famille, heureuse d’être rentrée saine et sauve et contente aussi lorsque je songe que les jeunes filles incorporées après moi ont dû servir un an puis durant toute la guerre et que certaines ont été amenées à accomplir des travaux beaucoup plus astreignants. [...]
Témoignage écrit de Mme Braun Marianne
Si la majorité des jeunes filles étaient envoyées chez des paysans, il existe d’autres affectations possibles. C’était la responsable du camp qui décidait des affectations et qui pouvait intervenir pour prolonger un service ou au contraire l’interrompre.
Le temps de service était variable selon les camps. Il pouvait être de quinze jours comme d’un mois ou de six semaines. Dans certains cas, la cheftaine octroyait l’autorisation de prolonger le service d’une Arbeitsmaid sur simple demande de l’employeur, tandis que d’autres cheftaines refusaient scrupuleusement toute prolongation ou encore ne l’accordaient qu’à certaines Arbeitsmaiden de manière privilégiée.
Chaque recrue devait prêter serment au Führer par ces mots : Je jure de garder une fidélité inébranlable au Führer du Reich et du Peuple allemand. Je lui jure une obéissance absolue, à lui et aux chefs nommés par lui. Je jure de remplir consciencieusement mes devoirs de service et d’être une bonne camarade pour tous les membres du Service du travail d’État.
Le serment intervient à la fin de la formation, sauf rare exception, et conditionne généralement la sortie du camp. Pour cette occasion, elles doivent porter l’uniforme de gala et la broche du RAD.
Ce dont je me souviens encore, c’est de la cérémonie d’obédience au Führer. Nous les Alsaciennes, nous avions convenu de murmurer n’importe quoi lors du serment de fidélité. Il en fut de même tous les matins pour la levée des couleurs.
Témoignage écrit de Mme Braun Marianne
Sur cette photographie, un groupe de jeunes filles est réuni en cercle autour du drapeau, la main levée.
Le salut du drapeau se distingue du serment au Führer, fait au même lieu et place, dans la mesure où il est répété tous les jours et, ce, durant toute la durée du service. Le serment, quant à lui, n’est prononcé qu’une seule fois.
Tous les matins, les jeunes filles du camp se doivent d’assister au lever du drapeau, une obligation renouvelée en soirée pour la descente des couleurs du mât.
Le moment du lever de drapeau nazi se veut un moment solennel et important de la vie du camp. Il est souvent accompagné d’un chant. Ce drapeau semble devoir dominer l’ensemble du camp puisque le mât se situe très souvent en son centre ou, du moins, au centre d’une cour prévue à cet effet.
Certaines incorporées de force ont considéré ce cérémonial comme une simple formalité qui ne les a pas perturbé spécialement. D'autres s’y sont refusées, soit qu’elles n’aient pas juré fidélité tout en faisant attention de n’être pas prises, soit qu’elles aient choisi d’aller voir la cheftaine du camp pour manifester leur refus.
L’Umschulung dura trois semaines pendant lesquelles nous restions confinées à l’intérieur ; après quoi ce fut le solennel serment au Führer, bras levé, en uniforme devant le drapeau. À ma grande surprise, je fus convoquée déjà après quinze jours au bureau de la Führerin m’annonçant que pour la parade devant le drapeau, je devais comparaître en uniforme sans m’en indiquer le motif. En cercle avec mes compagnes qui portaient la robe bleue de travail, je m’entendis proclamer par la cheftaine (en allemand) : Comme notre Léonie a déjà eu de bons résultats au bout de quatorze jours, elle mérite de prêter serment dès aujourd’hui. Répétez après-moi [s’adressant à Léonie seule] : je jure de prêter une fidélité à toute épreuve au Führer, au Reich et au peuple allemand. Je compris aussitôt la motivation de l’exception qui m’était faite et les filles n’en étaient pas dupes. Je ne pouvais échapper sans risque à la formulation de ce serment qui aurait pu passer inaperçu prononcé par toutes huit jours après.
Sœur Léonie Obrecht de la Congrégation de la divine providence de Ribeauvillé, Souvenirs d’une Malgré Elle
Aucune autorisation exceptant les Alsaciennes n’a jamais été accordée quelque soit la compréhension dont pouvait vouloir faire preuve la responsable du camp. Se risquer à le demander restait bien sûr très dangereux et seule une incorporée de force a témoigné d’une telle démarche (sur la soixantaine de témoignages recueillis).
Une certaine méfiance vis-à-vis des Alsaciennes peut, assez souvent, être notée et il n’était pas rare que ces femmes soient séparées dans les différentes baraques du camp.
Les cas d’harcèlement important et permanent des cheftaines auprès d’Alsaciennes restent toutefois rares. Les jeunes novices incorporées de force étaient quant à elles accueillies parfois avec une égale méfiance voire une certaine antipathie mais certaines novices témoignent au contraire de comportements sinon bienveillants au moins neutres à leurs égards. Les comportements varient donc selon les personnalités des cheftaines et non en fonction de directives clairement établies par le régime.
Une certaine estime
Dès la deuxième veillée, la cheftaine a demandé aux Alsaciennes de raconter aux autres notre libération. Très vite je les ai mis à la page... Je leur ai dis notre tristesse, nos volets clos... On me regardait effaré. La cheftaine me dit d’un ton sec que je devais mentir, les actualités au cinéma leur avaient montré tout autre chose. (...) La cheftaine a alors demandé aux autres Alsaciennes de dire la vérité. Elles avaient trop peur des représailles, les pauvres, et ont préféré dire qu’elles n’avaient rien vu. (...) Quelques jours avant mon départ, la cheftaine me fit venir dans son bureau et me dit toute l’estime qu’elle avait pour moi étant une jeune fille fière qui ne change pas de drapeau comme de chemise.
Méfiance vis-à-vis des Alsaciennes
Nous les cinq Alsaciennes, on ne nous envoya pas tout de suite chez le paysan mais on nous garda six semaines au camp pour les travaux journaliers : cuisine, repassage, lavage, jardinage. D’ailleurs tout le camp ne fut envoyé à l’extérieur qu’après le passage de l’Oberführerin, une cheftaine encore supérieure à la notre, qui le premier dimanche au camp nous attribua l’insigne rond avec R.A.D. gravé dessus ainsi que la croix gammée entrelacée de gerbe de blé. Il fallait jurer fidélité au drapeau, l’honnêteté et le travail. Les représailles auraient été pour nos parents si nous ne suivions pas les ordres donnés. Il fallait filer droit. Huit jours après notre arrivée, nous devions renvoyer nos effets civils.
Témoignage écrit de Mme Lélu Marie-Thérèse le 28 novembre 2002, rédigé à partir d’un journal tenu à l’époque et conservé
Le 10 novembre [1943] au soir, nous sommes arrivées à destination, c’est-à-dire à Arrach, dans la forêt bavaroise, non loin de la frontière tchèque. [...] Nous étions trop loin pour déserter. La Führerin, d’origine polonaise, était plus dure avec les Alsaciennes. Nous étions en 1944 soit vers la fin de la guerre, et la Führerin nous a une fois dit que si la guerre devait se terminer, elle fusillerait toutes les Alsaciennes. (...) Le soir la Kamaradschaftälteste [l'aînée de la chambrée considérée comme la responsable] passait regarder après 10h si tous le monde était là puis elle fermait à clef. (...)
Témoignage oral de Mme Bauer Jeanne, le 26 octobre 2002
Arrivée au camp d’Eppingen, en Bade du Nord, je fus accueillie par les Lagerführerinnen et Maiden comme une bête rare, étant annoncée comme future religieuse. Suivirent les rituels propres à tous les camps féminins : distribution du linge (déjà porté par les précédentes incorporées), attribution des chambrées aux lits superposés avec matelas rembourrés à la Holzwolle (fibre de laine et de bois) ... et dès le lendemain débutèrent les cours de lavage de cerveau pour l’endoctrinement aux idées nationalistes. (...) Je dois dire que je fus bien acceptée par l’ensemble, toutes solidaires pour un malheureux destin qu’on nous faisait subir. (...) [Mais] la cheftaine Hauptführerin profitait de toutes les occasions pour me traquer et m’humilier. Je devais exécuter les travaux les plus durs et sales à l’intérieur et aux alentours du camp. (...) La Führerin faisait régulièrement la tournée pour s’enquérir si les paysans étaient satisfaits de nos services. Ne supportant pas d’éloges sur mon compte, elle me retirait pour des travaux internes au camp. Je fus affectée à différents emplois dont un long séjour à la cuisine en tant que responsable.
Sœur Léonie Obrecht de la Congrégation de la divine providence de Ribeauvillé, Souvenirs d’une Malgré-Elle