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Entretien croisé

Extrait d'un entretien croisé entre Gérard Garcin et Annie Tasset, conduit par Dominique Dubreuil, ancien professeur d'esthétique générale au Conservatoire national de Région de Lyon.

Le héros ambivalent d'Euphonia

Dominique Dubreuil. Avec Aux sources du fleuve, on parle beaucoup de Berlioz, jusqu'à trouver une continuité d'inspiration à travers la descendance, et donc la sculptrice qui vit avec vous l'opéra sur son ancêtre. C'est Hector, ou quelqu'un d'autre ?

Les enfants entourant Jacques Bona, alias Hector Berlioz, et Sophie Marest au piano. Photo : F. HauwelleLes enfants entourant Jacques Bona, alias Hector Berlioz, et Sophie Marest au piano.
Photo : F. Hauwelle | Agrandir
Annie Tasset. Les deux, car les situations évoquées dans le livret et ses séquences renvoient évidemment au père de la Fantastique, mais nous sommes notre héros : le compositeur. Ce déplacement permet de réfléchir, via le cas Berlioz, sur le destin de l'opéra en général, sur les lois et les modalités de la création aujourd'hui. Les structures et les articulations deviennent ainsi moins rigides, et l'opéra accueille les suggestions de maintenant, dans l'Histoire en train de s'accomplir, dans la société. Cela donne aussi le "découpage" de l'ensemble — six scènes, une ouverture et un final —, qui n'est pas un décalage biographique, de nouveaux "épisodes de la vie d'un artiste", mais autant de moments symboliques qui parlent de la construction d'une personnalité fascinante... et fascinée par sa solitude, par les obstacles que le destin ou la société mettent à l'accomplissement de son génie. On pourrait même presque parler d'une géométrie variable de la structure, en fonction des "associés de plein droit" à la création : la première scène (l'enfant) sera fort différente d'Alsace en Dauphiné, parce que les modalités de travail des enfants et des adolescents sur la construction des instruments varient beaucoup. Mais nous avons aussi beaucoup appris "sur le terrain dauphinois", et parce que Catherine nous a permis de consulter des documents, notamment dans les archives de la mère du compositeur, qui ne figurent pas dans les recensions dites complètes sur Berlioz. Et bien sûr, on a tout lu de ce qui était publié de Berlioz ou sur ce qui révèle sa personnalité.

D.D. Par exemple, le fantastique hors-partition, quand il écrit son utopie d'Euphonia, la ville musicale et totalitaire ?

Gérard Garcin. Oui, sa fiction pour la Sicile en juin 2344, là où Hector se projette en un certain Xilef, « compositeur , préfet des voix et des instruments à cordes de la ville ». Affiche de La Damnation de Faust par Gustave Fraipont (1878). Photo : BNF, ParisAffiche de La Damnation de Faust par Gustave Fraipont (1878).
Photo : BNF, Paris
La lecture intégrale permet aussi de construire le personnage dialoguant avec ses propres personnages, ceux de Shakespeare, de Dante, ou Méphisto... ou Harriet Smithson.

D.D. L'amour qui unifie sa vie dans l'impossible ?

A.T. N'en croyez rien ! Ni elle, ni Camille Moke, ni les remplaçantes d'Harriet ne comptent autant qu'Estelle Duboeuf, celle qui émut tant le préado de 12 ans, dont il mit le prénom en titre de son premier opéra (autodétruit, bien sûr), et dont on peut penser qu'elle a été pour lui l'image de la Femme idéale. Un peu comme la Sylphide de son quasi-contemporain Chateaubriand, sauf que six mois avant la mort, Hector écrivait encore une lettre à Estelle ! D'autant que les relations avec la mère ont été exécrables : c'est dur, une mère qui vous maudit avant de disparaître ! Sans faire de psychanalyse à bon marché, la scène capitale peut "expliquer" bien des comportements, y compris ce visage de plus en plus raviné avec l'âge, cette dureté quasi-militante dans les relations avec les autres, les anathèmes lancés contre ceux qui s'opposent à lui ou simplement le mésestiment.

Le créateur hier et maintenant

D.D. Et son goût de plus en plus maniaque des honneurs officiels ?

A.T. Cela fait partie du personnage, sanglé dans son vêtement comme un officier psychorigide. Sans parler de la réalité du mépris et des injures qu'il a subis à travers sa musique... Oui, il s'épanouit chez lui un désir forcené de reconnaissance.

D.D. Et une haine de la démocratie dont témoigne sans trêve sa correspondance. Dans le florilège, en 1855 : « Notre empereur nous a délivrés de la sale et stupide république. » On a bien fait de ne pas le panthéoniser, il s'y serait senti en mauvaise compagnie !

A.T. C'est un autre problème. On peut le voir aussi comme un obsessionnel, voire comme doté d'un aspect schizophrénique. Baudelaire, qui mourra deux ans après lui, se comportera de façon un peu analogue. Tout cela est à lire en fonction de la façon dont une société "reçoit" et traite les artistes.

“Un concert à mitraille”, caricature de Grandville parue dans L'illustration (1845). Photo : BNF, Paris"Un concert à mitraille", caricature de Grandville parue dans L'illustration (1845).
Photo : BNF, Paris
G.G. Et c'est un problème sans âge particulier ! Le créateur est aussi dans la société d'aujourd'hui, le principe de réalité de l'institution se heurte toujours à l'idéal de l'écriture et de sa représentation. Ainsi on comprend bien que Hector ait voulu accomplir la transgression esthétique, par exemple à travers son Grand Traité d'Instrumentation. Et il aurait voulu que le monde artistique, à plus forte raison mondain, "suive", le malheureux ! Forme de naïveté d'une sorte de Candide... qui nous interpelle encore aujourd'hui sur la question du "progrès en art". Il nous demande aussi : où est la hardiesse maintenant ? En effet, ce que nous écrivons, puisqu'on ne doit plus dire : « Musique contemporaine, c'est quoi ? » Est-ce que cela a un sens de vouloir accomplir l'écriture en puisant dans le grand livre sonore dont les échos nous reviennent sans arrêt dans la vie quotidienne, en sortant de notre cabinet de travail et de notre tour d'ivoire ? Ne pas vouloir l'académisme, cela nous fait réfléchir sur la portée des musiques ethniques, sur les nouvelles chorégraphies non officielles, sur le rap, etc. Berlioz promenait bien son Harold en Italie parmi les musiciens populaires, avec leurs instruments qui ne sont pas admis dans les orchestres et symphonies pour salles de concert. La vie, la vraie vie ! Et puis, il y a quelque chose à quoi j'ai toujours voulu m'appliquer dans ma composition, peut-être aussi parce que je viens plutôt de l'instrumental et de la flûte en particulier : la traduction mélodique de la parole, un langage de "beau chant", compréhensible et émouvant même si intégré à d'autres discours de nature polyphonique plus serrée. Un langage qui respecte la poésie, et nous parle de sa magie...

Retour au paradis perdu de l'enfance

D.D. Cela retourne à l'enfance et nous y fait revenir, par le côté premier, "innocent" de la poésie malgré les complexités de l'écriture. Hölderlin le dit : « Je voulais être une comète, elles fleurissent de feu et sont dans leur pureté pareilles à l'enfant. »

G.G. Oui, l'enfant est au début, au cœur, à la fin de l'opéra. C'est lui qui, à l'épilogue, ouvre les portes de la mémoire et dirige le défilé. Les enfants sur scène, durant la représentation du 13 mai 2005. Photo : F. HauwelleLes enfants sur scène, durant la représentation du 13 mai 2005.
Photo : F. Hauwelle | Agrandir
Bien sûr, avec cette présence active des enfants dans la dramaturgie de l'ensemble, on a voulu éviter le côté "garde montante et descendante" de Carmen, mais surtout inscrire l'enfance dans l'activité de la composition au sens global du terme. La composition de la vie en somme. Aussi, Annie et moi nous laissons pour l'avenir tout proche de la mise en place une large part à la scène I : les enfants y seront ainsi plus pleinement créateurs, à l'image du compositeur, nous les avons fait travailler dans ce sens. Dans le grenier du jeu, il y aussi les instruments à inventer. Et là ce sera l'aboutissement des jeux actifs menés dans le cadre d'implication périscolaire depuis plusieurs mois : le céramophone, parce que le travail a eu lieu à Guebwiller, une ville dont la céramique est une spécialité inscrite dans le paysage artisanal. Et le "gaffophone"...

D.D. De chez Gaston ?

G.G. Tout à fait ! On aurait pu appeler cela "adolphogaffophonie" : Adolphe Sax, le grand contemporain de Berlioz, a beaucoup fait pour inventer des instruments que pouvaient rêver les créateurs de sons, pour incarner leurs désirs et leurs utopies. Et dans Euphonia, Berlioz donne pour correspondant à Xilef un certain Shetland, lui aussi « compositeur et préfet des instruments à vent ».

A.T. Et la part "berliozienne" de la sculpture imaginée par Catherine sera aussi sonnante. À la Côte Saint-André, nous devrions avoir un grand ensemble de ces inventions, en coordination avec la construction d'un aménagement du site festivalier : un orchestre de fosse, un orchestre de vents disséminé dans le décor, et en tout cas des instruments originaux, comme les cors des Alpes qui retentiront pour l'Ouverture. Et les fanfares, comme celles derrière lesquelles Hector a raconté qu'il courait, quand il n'était qu'un gamin du bourg bas dauphinois... On le disait bien, les scènes capitales : elles ne sont pas toutes tragiques !

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