In memoriam Hector Berlioz
Ma démarche, depuis une vingtaine d'années, s'inscrit délibérément dans la recherche d'un langage lyrique authentique, une sorte de "beau chant".
Ainsi, dans mon travail de compositeur,
le rapport texte/musique est fondamental, sans concession aucune, et se démarque volontiers d'une recherche purement stylistique.
Fidèle aux démarches qui ont été les miennes dans l'écriture de mes opéras précédents comme La ultima puerta ou le dernier combat de Clorinde, Dans l'éclat du moment, c'est la mélodie qui est au centre du processus ; mais il s'agit d'une mélodie génératrice d'un langage vertical "épais" plutôt que celui d'un discours affirmant une priorité harmonique. Je n'oublie pas la rencontre avec mes aînés, la culture post sérielle dans laquelle j'ai pu évoluer mais c'est bien le chant qui prime. Dans le cas de l'opéra Aux sources du fleuve, le point de départ a été la rencontre entre auteur, metteur en scène, sculpteur, compositeur. L'atelier de création né de cette rencontre a engendré l'élaboration d'une histoire, la recherche et la définition de personnages. Adolphe Sax caricaturé en jeune Sylphide par Étienne Carjat (s.d.).
Photo : BNF, ParisDéjà à ce stade, les idées compositionnelles se mettent en place. En rapport avec Berlioz, son époque, le traité d'orchestration, une part privilégiée est consacrée aux instruments à vent, car l'ouverture de l'opéra est écrite pour un orchestre d'harmonie.
Concernant le "Berlioz enfant", j'ai souhaité donner la parole aux enfants en leur confiant une scène entière, façonnable sur mesure en fonction des circonstances. Ainsi, la version qui sera créée en Isère dans le cadre du Festival Berlioz n'aura aucun rapport avec celle prévue aux Dominicains de Haute-Alsace. L'invention et la conctruction de "gaffophones" est un clin d'œil au personnage de la célèbre BD, mais est aussi en rapport avec l'époque de Berlioz, celle de son contemporain Adolphe Sax, époque caractérisée par une évolution flagrante de la facture des instruments à vents.
Le travail collectif avec Annie Tasset, Yvonne Quinzii et Catherine Reboul-Berlioz a débouché sur un sujet universel, celui du compositeur, de son décalage avec le milieu souvent hostile dans lequel il évolue. La fiction de Berlioz — Euphonia — est sans nul doute une expression de ce(s) décalage(s). Cette fiction est un des éléments que l'on retrouve raconté, transposé.
Le choix des personnages est aussi en décalage. Berlioz qui est nommé "le compositeur" est confié à une voix de baryton basse alors que la tradition voudrait que ce soit un ténor. Méphisto est un personnage double confié à deux voix différentes de contre ténor et baryton. Les voix féminines sont omniprésentes. Il s'agit de représentations diverses de la femme imaginaire qui a hanté Berlioz toute sa vie.
Gérard Garcin
Compositeur
To be or not to be ou les méandres de la création
Labyrinthe ou lit majestueux, les voies de la création restent souvent impénétrables, en ce qui concerne Berlioz plus encore que pour tout autre.
Portrait-charge d'Hector Berlioz par Étienne Carjat (1858).
Photo : Musée du Louvre, ParisComment associer ce personnage, cette longue figure étroitement et strictement vêtue, ce visage au regard dramatique à force de profondeur, ces lèvres serrées et l'inscription dans ces traits des douleurs, des chagrins, des amertumes, de la perte l'un après l'autre des êtres les plus chers, avec ce bouillonnement, la force vitale, la transcendance et la lumière de sa musique, ses opéras en particulier.
Comment rendre compte de ces facettes cohabitant sous la même "tignasse gigantesque" (comme le dépeint le poète Heine) : l'enfant Berlioz, les femmes si difficiles à aimer, si concrètes et évanescentes, comme une partie de lui-même dans un miroir, les faces obscures aussi, les démons intérieurs et les autres, jusqu'à la torture, jusqu'au tourment qui se résout dans un rire grinçant — Les Grotesques de la musique — ou dans une fable utopiste — Euphonia. Comment dire cette lutte constante pour dépasser la réalité qui colle aux semelles, qui crispe le corps, ferme la parole et ne laisse qu'une seule échappée à cette âme aux ailes d'amour et de musique : la sublimation.
Des personnages grandissent dans cette imagination bouillonnante et nourissent l'énergie du compositeur fasciné : Cellini l'orfèvre qui tord jusqu'au dernier souffle sa force créatrice dans les flammes de sa forge ; Didon l'amoureuse qui, son amour disparu, brûle sa vie sur le bûcher ; Faust qui vend son âme au diable pour boire à la coupe de la vie le plus longtemps possible.
Eugène Delacroix, Méphistophélès dans les airs, 1828.
Photo : Davison Art Center, MiddletonNotre compositeur, surgi de la terre dauphinoise, des douces collines de la Côte Saint-André, trempe sa plume dans la lave du Vésuve, nourrit de son propre cœur ses démons intérieurs, un surtout, Méphisto le double celui qui menace et qui rit, creusant jour après jour la plaie originelle, celle dont, pas plus qu'Amfortas dans Parsifal, ne guérit Hector, ce mal d'être dans l'absence de l'autre, ce désir qui ne s'éteint jamais.
Seul l'enfant par sa sincérité, par son innocence, sa soif d'amour et de connaissance, peut être le seul passeur vers les sphères supérieures, au-delà de la vie, au-delà de la mort, là où les êtres aimés deviennent des mondes de lumière.
C'est ainsi que l'homme Berlioz se met à ressembler à son œuvre :
« un paysage bizarre, nocturne, éclairé seulement occasionnellement par un sentimental jupon blanc de femme frissonnant ici et là ou par un éclair sulfureux d'ironie » (Heinrich Heine).
Sur scène, à travers le défilé où se mèlent les créatures de Shakespeare, les ombres familières et les empêcheurs de composer en rond, j'ai envie que le public voie la terre, les couloirs de la vie, les charpentes de l'âme, qu'il entende dans le dispositif scénique les vibrations des sons qui jaillissent et constituent le matériau même, la substance de cet homme qui au milieu de sa "vallée de larmes" crée de la musique, devient musique.
Annie Tasset
Metteur en scène
Une tête
La scénographie, en accord avec le texte et la musique, souligne d'une part la genèse, l'enfance d'Hector et ses rêves. L'apport d'éléments métalliques, qui sont réflexions, mouvements, portes qui s'ouvrent et se referment L'ombre de la tête de Berlioz sur le tissu blanc lors des répétitions.
Photo : F. Hauwelle | Agrandiret surtout éléments sonores à utiliser, est là pour orchestrer ses passions consécutives. D'autre part, une tête-échaffaudage en métal (Berlioz composait la musique dans sa tête, ne jouant pas d'instrument pour s'accompagner), tête bouillonnante, tête-espace de vie, de création, de joie et de tristesse, construction et feu, qui symbolise si bien son génie. Tête, mémoire d'Estelle et des excursions sur les monts du Dauphiné; tête, mémorial de notre fidélité à ce grand créateur.
Catherine Reboul-Berlioz
Scénographe
|