banniere
espace
puce Paysage…
puce L'œil du paysage
puce Nature & art
contemporain

puce Les époques
du paysage
L'œil du paysage
Caspar David Friedrich, "Le voyageur au-dessus de la mer de nuages", 1818 | Kunsthalle, HambourgCaspar David Friedrich, Le voyageur au-dessus de la mer de nuages, 1818.
Kunsthalle, Hambourg
D’abord, il y a le paysage familier, celui que hante le rêve et l’enfance. Sol natal auquel nous renvoie une nostalgie rétrospective – celle des poèmes de Hölderlin, par exemple. Mais aussi tous ces environnements de la banalité qui ont marqué notre histoire individuelle, voire collective.

C’est en ce sens que, frappé du coin du souvenir, aucun paysage n’est laid. Goûter un paysage relève d’un savoir-habiter. Pour éventuellement se fondre en lui : le hanter tout autant qu’il nous hante, dans une sorte de chiasme qui anticipe notre perte. Toutefois il s’agit de réaliser que, bien avant nous, d’autres ont assumé cette singulière osmose. C’est en ce sens qu’un paysage est aussi un héritage, c’est-à-dire l’expression d’une culture, le reliquat d’une tradition.
En d’autres termes, qui dit "paysage" dit "terroir", c’est-à-dire ce fragile compromis entre la ténacité industrieuse de l’homme et la réticence de la terre. Car on n’échappe pas à la terre et pas davantage on n’échappe à ses multiples visages que sont les paysages : ceux précisément qui nous la rendent familière. Notre être psychique est à l’unisson de cet enracinement-là.

Ainsi, nos paysages extérieurs se prolongent dans nos paysages intérieurs, pour éventuellement nous donner l’opportunité de mieux les quitter. La caresse des voyages réside bien toute entière dans la fuite des paysages. Elle a aussi son amertume : l’effort désespéré de les serrer dans des boîtiers photographiques. Car, distance oblige, l’œil esthétise le paysage – et se fait par conséquent d’autant plus vorace (on peut être boulimique de paysages comme on l’est de nourritures).


Du côté de ce qui nous regarde

Qu’est-ce qu’un paysage ? Juste une image, et peut-être un peu plus : l’esquisse en creux d’un labyrinthe, la promesse d’un vertige. C’est ainsi qu’il aura fallu "inventer" le paysage, entre le 18ème et le 19ème siècle, puis sa version kitsch : la carte postale. Invention du paysage qui, par ailleurs, est étrangement contemporaine de cette invention de l’homme qui étonnait tant Michel Foucault.
Image issue du film "La prisonnière du désert" de John Ford (1956) | Action/Théâtre du Temple, ParisImage issue du film La prisonnière du désert de John Ford (1956).
Action/Théâtre du Temple, Paris
Dans la mesure où il invite à la déambulation, le paysage est donc le plus long détour qui nous ramène en fin de compte à nous-mêmes. Car qu’est-ce que l’homme si ce n’est un horizon – précisément l’horizon derrière lequel il aura juré de se perdre (Christophe Colomb découvrant un continent vierge, c’est-à-dire cette pure ivresse des lointains) ? On reverra utilement les films de John Ford, dont le grand art a consisté, au dire de ses meilleurs critiques, à filmer les paysages comme des visages et les visages comme des paysages, où l’on retrouve en définitive la plus haute tentation qui est celle de l’extase contemplative. Rappelons cette trivialité : dans paysage il y a "paix", au moins phonétiquement.

Et si le salut pour l’âme consistait à passer du côté du regard que les choses posent sur nous ? Car, de même que pour les œuvres d’art, il se passe avec les paysages cette chose étrange : les voyant, nous nous sentons davantage vus que voyants. Indépassabilité du chiasme…

Marc Pfleger
Professeur de philosophie
détaché au CRAC Alsace (Altkirch)

print Imprimer la page top Haut de page