pour
cela un quelconque pardon. Même dans leur propre famille, la plupart
des survivants juifs se turent alors, pendant des années, taraudés
par la question de savoir ce qui leur avait permis de tenir le coup ;
dans les témoignages recueillis pour Témoigner –
Paroles de la Shoah, chacun a son hypothèse : « j’étais
jeune et solide », « je croyais en Dieu », « je
n’y croyais pas », « j’étais bête
», « j’étais intellectuel », « j’étais
révolté », « j’étais inconscient
», etc. Tentatives de compréhension, qui s’expriment
pour cacher le doute insupportable. Primo Levi approche sans doute un
peu plus de la réalité, en percevant un faisceau de petites
raisons, de petites étincelles d’humanité préservée
qui au total conduisirent à sa survie – autant dire une succession
de toutes petites chances, de tout petits hasards.
Les Juifs qui avaient survécu sur place ou étaient revenus
d’exil se turent eux aussi: après avoir été
désignés, isolés, haïs, massacrés, ils
n’aspiraient désormais qu’à se fondre dans la
masse, devenir des citoyens avant tout anonymes, n’être ni
vus ni entendus comme Juifs.
Le silence des nationaux non juifs était aussi teinté de
culpabilité : à part les Justes, qu’avait-on fait
devant la catastrophe ? Les militaires n’avaient pas tenu compte
de la destruction dans leurs choix. La population civile, hormis la Résistance
— et encore : combien de convois pour Auschwitz sabotés ?
—, avait été passive. Des collaborateurs ou trafiquants,
des dénonciateurs voulaient surtout se faire oublier, de même
que bon nombre de fonctionnaires, notamment dans la police et la justice.
Le silence fut observé peu ou prou dans tous les pays d’Europe.
Quelques historiens, juifs pour la plupart, se mirent au travail, sans
grand écho. Quelques témoins écrivirent, sous des
formes et dans des styles variés. |
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Certains,
comme Primo Levi, eurent du mal à trouver un éditeur.
Les silences sur les autres génocides de l'Holocauste. Tsiganes,
témoins de Jéhovah, homosexuels, handicapés, élites
polonaises, républicains espagnols, prisonniers de guerre russes
: au mieux certains furent confondus dans l’appellation générique
"déportés et résistants". Mais on nia
ici ou là le caractère génocidaire de la destruction
des Tsiganes, que l’on continua même à considérer
et à traiter de façon discriminatoire – encore aujourd’hui
ils subissent des restrictions de circulation et de stationnement, ou
bien sont parqués, dans quasiment tous les pays d’Europe
où ils passent. Les homosexuels ne sont quasiment nulle part
reconnus officiellement comme victimes — en France, différentes
associations ne daignent pas les connaître — et les historiens
ne les mentionnent qu’exceptionnellement.
Ces
extraits de textes sont tirés de Enseigner l'Holocauste au
21ème siècle, publication sous la direction de Jean-Michel
Lecomte, rédigée dans le cadre du projet du Conseil de
l'Europe intitulé "Apprendre et enseigner l'histoire de
l'Europe du 20ème siècle" (Éditions du Conseil
de l'Europe, Strasbourg, 2001).
Ce guide, composé de 50 fiche et fondé sur les travaux
d'auteurs aussi incontestés que Raul Brawning, et sur des témoignages
directs, notamment ceux de Primo Levi, de Hermann Langbein et de personnes
interviewées par Claude Lanzmann, propose aux enseignants une
somme de connaissances leur permettant de construire une progression
pédagogique.
La version intégrale de cet ouvrage est consultable en ligne
sur le site Internet de l'AIDH (Association Internet pour la promotion
des droits de l'homme) à l'adresse www.aidh.org/Racisme/shoah/holo/.
Elle est également disponible en téléchargement
au format PDF [enseigner_holocauste.pdf
- 134p. - 589 Ko].
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